Nous savons comment se construisent les démocraties dans l’Afrique contemporaine. Nous nous sommes appropriés le regard méprisant des colonisateurs sur nos sociétés traditionnelles à un point tel que nous ne cherchons jamais à questionner celles-ci et encore moins la politique telle qu’elle se vit dans nos Etats actuels afin d’en tirer une lumière qui tordrait le cou à l’incurie de nos dirigeants. Comme les colonisateurs d’hier, nous pensons qu’il n’y a rien à tirer de nous-mêmes et que la démocratie occidentale est l’unique horizon de notre temps. Nous nous voyons encore et toujours comme les colonisateurs nous voyaient.
Rappelons, à titre d’illustration, la saillie de l’homme politique belge Gérard Deprez qui déclinait en ces termes l’offre de faire partie d’un nouveau gouvernement de la Communauté française en juillet 1999: « Je n’irai pas dans ce gouvernement de Pygmées ». Cette sortie médiatique, un brin raciste, lui avait valu un retour de flammes ironique de la part de deux de nos professeurs de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), Pierre de Maret et Daou Véronique Joiris. Le titre de leur carte blanche publiée par le quotidien Le Soir annonçait déjà les couleurs: « Les Pygmées sont des grands ». Les auteurs ont démontré combien ces derniers avaient bien des choses à apprendre aux Occidentaux en matière de gouvernance: « Certes, ils n’ont pas de gouvernement, mais ils ont une organisation politique qui voit l’émergence de leaders sur base de leurs qualités humaines et professionnelles. Les affaires de la communauté sont gérées sur le mode du consensus et la palabre sert à convaincre et à éviter les diktats d’une majorité, si faible soit-elle. La sphère politique n’apparaît pas comme largement autonome de la vie quotidienne. Chacun peut y apporter son point de vue. Non, décidément, la comparaison est plutôt flatteuse et d’autant plus que les Pygmées nous apparaissent emblématiques de l’arc-en-ciel politique. Des libéraux, ils ont l’individualisme et l’esprit d’entreprise, des socialistes, la générosité et le souci de la collectivité et des écolos, le profond respect de la nature et l’esprit frondeur. Vive le pouvoir Pygmée! ».
Professeur de management des ressources humaines à l’Insead, la grande école de commerce de Fontainebleau, Manfred Kets de Vries leur répond en écho quand après avoir abondamment étudié les Pygmées, il affirme avoir trouvé en eux « des règles de management bien utiles pour nos entreprises du 21e siècle! ». Ses thèses exposées dans le magazine économique Bizz de septembre 2000 dresse sous forme de conseils, une longue liste des caractéristiques des sociétés Pygmées dont nous ferions bien de nous inspirer. En voici quelques extraits: « Freinez l’individualisme: selon leur système égalitaire, chacun dépend des autres pour la nourriture, les chasseurs forment un bloc et le fruit de la chasse doit être partagé; faites la fête: le système des rites de passage contribue à l’esprit d’entreprise, à la cohésion du groupe et à sa motivation; mettez vos employés à l’épreuve: des trekkings par exemple équivalent aux épreuves initiatiques physiques des Pygmées et donnent l’occasion aux nouveaux venus d’assimiler les valeurs du groupe; humanisez votre entreprise: chez les Pygmées, transmettre le mythe de la création est essentiel, comme dans une entreprise communiquer les valeurs de la société ».
Les descendants des colonisateurs nous ont étudiés. Ils ont remis en cause l’anthropologie coloniale. Mais nous, nous ne nous étudions pas. Nous avons fait nôtre le rabâchage systématique des colonisateurs contre nos cultures. Nous continuons à vouer un culte béat aux apports culturels des autres. Ainsi, en politique, quand un Occidental se dit libéral, socialiste, écologiste, marxiste, social-chrétien, etc., on trouvera toujours des Africains s’autoproclamant comme tels sans se poser la question de savoir ce que ces idéologies représentent en politique africaine. Puisque les Occidentaux ont au cours de leur histoire évoqué des alliances contre nature, il y aura toujours des Africains pour leur emboiter le pas en stigmatisant à leur tour des alliances contre nature dans leurs pays respectifs. Nous venions de suivre l’un d’eux sur la chaine de télévision A24. Après que le Parti lumumbiste unifié (PALU) et le Mouvement de libération du Congo (MLC) se soient réunis le 9 mars à Kinshasa en vue de peaufiner une alliance électorale, un Congolais, jouant au civilisé ou au Mundele-Ndombe, a crié à qui voulait l’entendre que celle-ci était contre nature. Interviewé de son côté par Congo Indépendant le 14 mars, l’ancien secrétaire national adjoint à la communication de l’UDPS, Dori Dumbi, a reproché au Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement qui avait vu le jour en juin 2016 à Genval en Belgique d’être « contre-nature ». Mais existe-t-il seulement des alliances contre nature en politique congolaise?
Déjà en Occident, l’expression contre nature, s’agissant des alliances entre partis aux idéologies antagonistes, est tombée en désuétude. La politique ultralibérale menée par le tandem Margaret Tacher-Ronald Reagan, couplée à la fin de la guerre froide ainsi qu’à l’exercice du pouvoir par la gauche, a fini par provoquer la crise des idéologies. Aujourd’hui en France, par exemple, le parti d’Emmanuel Macron est et de droite… et de gauche. Avant cela, des alliances entre partis de droite et de gauche ont eu lieu dans bien de démocraties occidentales. Même l’extrême droite, jadis traité en pestiféré, est devenu fréquentable et accède au pouvoir de manière décomplexée, sans émouvoir les citoyens comme jadis. Car, l’autonomisation de la sphère économique par rapport au politique a rendu gestionnaires les dirigeants de tous bords qui peuvent dès lors négocier et se mettre ensemble pour gouverner. Face à cette nouvelle réalité sociopolitique, une autre expression, également décomplexée, a été inventée. On ne parle plus d’alliance contre nature, mais d’alliance arc-en-ciel.
Le discours sur les alliances contre nature ne colle donc plus aux réalités actuelles des démocraties occidentales. A fortiori, en Afrique où les idéologies restent suspendues en l’air, puisque ne mobilisant personne à commencer par les élites importatrices d’idéologies elles-mêmes. Les partis africains sont généralement des « Ligablo » ou des coquilles vides. A cet égard, parler d’alliance contre nature revient à tout simplement démontrer qu’on a une grande capacité à singer l’homme occidental. Les Pende et les membres d’autres ethnies du Kwilu qui adhèrent au Palu resteront fidèles à ce « Ligablo » même si Antoine Gizenga se déclarait libéral, socialiste, marxiste, écologiste, mobutisme, etc. Il en est de même des militants des autres « Ligablo » qui, dans la majorité des cas, suivent quelqu’un de leur coterie.
Ce qui est intéressant dans le discours congolais ou africain sur les alliances contre nature, c’est que pour construire des démocraties effectives, les Congolais et bien d’autres Africains doivent avant tout se réveiller du long sommeil dans lequel les a plongés l’anthropologie coloniale et qui leur fait dire des bêtises dont ils sont fiers et dans lesquelles ils puisent leur orgueil. Entre deux ou plusieurs « Ligablo », il ne saurait y avoir quoi que ce soit de contre nature. Car, la nature d’un « Ligablo », c’est d’être un « Ligablo ». Une coquille vide! Et qui se ressemble s’assemble.
Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo
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