L’avènement de l’Etat de droit serait-il le « cadeau » que le Congo-Kinshasa recevra à l’occasion de ses soixante années d’existence en tant qu’Etat? C’est la question que se posent des observateurs. Le 30 juin prochain, l’ex-Zaïre va commémorer son soixantième anniversaire. Le bilan, on le sait, est plus que contrasté. Ce n’est pas le sujet de cet édito.
Depuis une dizaine de jours, un seul sujet occupe les conversations dans les milieux congolais. Et ce tant dans les 26 provinces du pays qu’à l’étranger. Il s’agit de ce que d’aucuns appellent déjà « l’affaire Kamerhe ».
Directeur de cabinet et allié politique du président Felix Tshisekedi, Vital Kamerhe est détenu, depuis 8 avril, à la Prison centrale de Makala. Il lui est reproché des malversations présumées dans le cadre du « programme de 100 jours » du chef de l’Etat. Il va sans dire qu’il continue de jouir de la présomption d’innocence.
Les partisans du « dircab » Kamerhe ont crié « au complot! ». Un complot qui aurait pour but, selon eux, de barrer la route au Président de l’UNC (Union de la nationale congolaise). Celui-ci n’a jamais fait mystère de son ambition de devenir calife à la place du calife à l’horizon 2023.
Après le tribunal de paix, le tribunal de grande instance de Kinshasa/Matete a rejeté la demande de libération provisoire introduite en faveur du prévenu. « VK » risque de passer plusieurs jours encore à Makala. Et ce jusqu’au moment où le magistrat instructeur aura la conviction que sa remise en liberté n’aura pas un « effet désastreux » sur les autres devoirs d’enquête.
Sur les réseaux sociaux, le débat fait rage entre les pro- et les critiques de « VK ». Chacun y va de son argument.
A tort ou à raison, des Zaïro-Congolais tentent de dépasser le débat « politico-politicien » en se focalisant sur les « aspects positifs » pouvant découler de cet « événement judiciaire ».
Pour eux, le dossier judiciaire sous examen devrait constituer « le point de départ » d’un véritable « renouveau » de la justice congolaise. Une justice juste, impartiale et humaine. Aussi, « Vital » devrait-il avoir droit, comme le proclame l’article 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial.
En soixante années de vie politique, les Congolais n’ont jamais vu un seul directeur du Bureau ou cabinet présidentiel se faire auditionner par des magistrats avant d’être placé en garde à vue.
Ces Congolais rêvent de l’avènement non seulement d’une justice (réellement) indépendante mais aussi d’un Président de la République qui se comporte en « Serviteur de l’Etat » en conformant ses actes aux règles de droit. Ce qui implique l’obligation de rendre compte.
Comme souvent à pareil événement, le procureur général près la Cour d’appel de Matete, Adler Kisula Betika Yeye, est perçu, malgré lui, comme une réincarnation de « Zorro le justicier ». D’autres le comparent à Eliot Ness, cet agent spécial du Trésor américain qui a inspiré le film « Les incorruptibles ». Le rôle d’Eliot Ness y est campé par l’acteur Kevin Costner. Une certitude: le magistrat Kisula et son équipe sont entrés dans l’Histoire.
Restons néanmoins lucides! Depuis la nuit de temps, les magistrats congolais broient du noir. Sans jeu de mots. Adler Kisula et les membres de son équipe ne viennent pas d’une autre planète. Ils font partis de la société congolaise. Ce sont des hommes et des femmes faits de chair et de sang. Des hommes et des femmes qui aspirent à une vie quotidienne meilleure pour eux-mêmes et les membres de leurs familles. Il faut craindre que Kisula et les autres soient confrontés aux mêmes « réalités congolaises », si ce n’est déjà le cas.
Si le chef de l’Etat est animé de la ferme résolution de doter le pays d’une justice indépendante et efficace – « où les juges ne sont soumis dans l’exercice de leur fonction qu’à l’autorité de la loi » (article 150-2 de la Constitution) -, il n’y a pas trente-six solutions. Il devrait premièrement insérer l’amélioration de la situation sociale des magistrats parmi les grandes priorités de son quinquennat qui est déjà amputé de 15 mois. Il devrait deuxièmement responsabiliser le Conseil supérieur de la magistrature à jouer son rôle dans l’élaboration du budget annuel de fonctionnement réaliste de l’Institution « Cours et tribunaux ».
La médiocrité n’est pas une fatalité. La rectitude n’est pas non plus l’apanage d’un peuple ou d’une race. Blanc, noir ou jaune, l’homme reste perfectible. Il n’est mauvais que lorsqu’il évolue dans un « mauvais système » ou dans des « mauvaises conditions ».
Les peuples qui gagnent se sont approprié le credo selon lequel « pour être vertueux, l’homme a besoin d’un minimum de bien-être ». C’est le prix à payer pour doter le Congo-Kinshasa d’une justice (réellement) indépendante.
Baudouin Amba Wetshi