Rappelons-nous de deux messages présidentiels. D’abord celui, solennellement annoncé « important », que les annales de l’histoire politique du pays retiendront comme le plus court adressé à la nation par un président de la République congolaise depuis soixante ans: il a duré six minutes chrono. L’opinion a vu et a entendu le chef de l’Etat Félix Tshisekedi, air grave, ton martial, gestuelle de combat, annoncer sa volonté, après une sincère et courageuse autocritique des deux premières années de sa mandature dont il a jugé le bilan négatif, de réexaminer les termes de l’accord de la coalition gouvernementale FCC-CACH et de l’élargir – les grands défis auxquels est confronté le pays l’exigeant – sous une autre forme et « selon sa vision », en une « Union Sacrée de la Nation », une sorte d’appel au ban et à l’arrière-ban national. Il y a ensuite eu celui par lequel il a rendu compte aux Congolais des conclusions des « consultations nationales » initiées par lui durant plusieurs semaines où l’on a vu défiler au Palais de la Nation les représentants de plusieurs organisations politiques et de diverses corporations socioprofessionnelles. La dynamique de « changement » était enclenchée…
L’idée de lancer l’Union Sacrée de la Nation a certainement été un reflexe de survie politique de la part du président de la République, conséquence des fortes divergences avec ses anciens partenaires du FCC qui ne l’auraient pas ménagé, qui « bloquaient » ses actions et qui, pis, lui auraient fait dévorer, selon ses dires, des « humiliations ». La pesante, gênante et trop visible présence de Joseph Kabila – qui convoquait à temps et à contretemps « ses » ministres et autres mandataires publics à son antre de Kingakati, s’installant ainsi aux yeux d’une certaine opinion en co-président de la République – aura été l’expression publique des « vexations » subies de la part de ce dernier. Le clash a longtemps été annoncé. « Cette coalition s’en ira en eau de boudin », prédisait, il y a plus d’une année, un observateur avisé de la scène politique congolaise. Les réciproques menaces et injures, que des attitrés (et des improvisés) « communicateurs » se chargeaient de proférer, ont tenu lieu d’actes de bravoure et… de gestion de l’Etat! Il y a finalement eu le feu, à force d’avoir frénétiquement gratté les allumettes par les uns et les autres, qui a complètement consumé l’accord de coalition.
Qu’est-ce l’Union Sacrée de la Nation? Celle-ci se veut à la fois un grand rassemblement national avec une harmonieuse unité de vues entre le Gouvernement et le Parlement – y parviendra-t-on avec une large et hétéroclite coalition? – et une majorité d’action appelée, devant l’absence de performances du gouvernement Sylvestre Ilunga Ilunkamba, à produire des résultats dont les « coalisés » devront se prévaloir en 2023, Félix Tshisekedi plus intéressé que tous les autres et qui invite pour cela le peuple congolais à se mettre avec ardeur au travail, à se retrousser les manches: « Kisalu me banda ». S’impose dès lors un choix judicieux des membres du prochain gouvernement et des gestionnaires des autres institutions publiques, le casting de nos « Excellences ministres » actuellement en fonction n’ayant visiblement pas été rigoureux, les facteurs politiques, bien que tout aussi importants, avaient largement primé sur la compétence et l’expérience.
« Il n’y a pas de mauvaise troupe, il n’y a que de mauvais chef », dit l’adage. Membre du parti politique ayant le plus grand nombre de députés et disposant d’une majorité parlementaire confortable, économiste de formation, professeur d’université, plusieurs fois ministre et gestionnaire d’entreprise publique, le premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba n’aura pourtant pas été à la hauteur de la tâche. L’arithmétique parlementaire et son cursus de grand clerc n’auront pas suffi comme gages de réussite. Il lui aura manqué une qualité nécessaire à la fonction: celle de meneur d’hommes. Il laisse l’image d’un « fonctionnaire » froid, homme le papiers, à peine visible et avare de parole, qui estima de devoir s’exprimer par… écrit et par le truchement de son directeur de communication pour faire connaître ses opinions! En tant que chef du gouvernement et ainsi premier de cordée, les aptitudes de manager politique et de communicateur lui ont fait défaut, celles qui permettent d’amener le groupe aux sommets, déficit dû probablement à son débit lent et lourd, et à une absence de disposition aux débats contradictoires et « tendus », à répondre aux attaques permanentes de l’opposition et de la société civile, ambiance propre à toute vraie démocratie. Coordonnateur de l’action de l’Exécutif, premier ministre est une fonction éminemment politique qui est loin d’être une sinécure. Peu dans le microcosme politique congolais actuel peuvent l’assumer dans les circonstances présentes faites de grands et pressants défis à relever.
J’avoue d’emblée que l’opinion que j’émets ici n’est pas celle d’un analyste neutre. Parmi les potentiels premiers ministrables, j’estime que Jean-Pierre Bemba est, dans le personnel politique du moment, le mieux outillé pour la fonction et est donc l’homme de la situation pour plusieurs et bonnes raisons: le président du MLC a été un créateur et un gestionnaire d’entreprises. Il connaît les difficultés auxquelles font face les opérateurs économiques, eux les créateurs de richesses et d’emplois. Il se présentera à eux en bon interlocuteur. Economiste et financier de formation universitaire, il connaît les questions économiques du pays, notamment pour avoir assumé la fonction de vice-président de la République en charge des questions économiques et financières, responsabilité qu’il assuma avec grande compétence et efficacité, de l’avis même de ses adversaires. Jean-Pierre Bemba est à la tête d’un parti politique qui a pignon sur rue et de rayonnement national. Il est ainsi un des acteurs politiques les mieux informés et bien au fait des problèmes géopolitiques du pays.
Le devoir citoyen, celui de rétablir la démocratie mise à mal jadis par le régime de l’Afdl, avait contraint Jean-Pierre Bemba à prendre la tête d’une opposition armée. Il aura guerroyé pendant cinq ans. Comme premier ministre, les conversations avec les chefs militaires ne se limiteront pas aux seuls problèmes d’argent pour l’achat d’armes et le paiement des soldes de militaires, mais aussi sur les stratégies de guerre et le déroulement des opérations. C’est donc avec un regard d’expert, en connaisseur de l’art de la guerre, de familier des champs de bataille qu’il suivra les problèmes d’insécurité à l’Est du pays et de l’urgence du retour de la paix dans cet espace géographique où il s’était autrefois et personnellement investi, d’aucuns se rappelleront, dans la pacification des esprits, notamment en Ituri. Il y a lieu de souligner ici que sa position de ressortissant de l’Ouest du pays – d’acteur, de médiateur « neutre » -, facteur non anodin, lui avait facilité les contacts avec les divers protagonistes et belligérants locaux.
Ayant longtemps vécu en Europe, Jean-Pierre Bemba connaît bien le monde occidental et plusieurs de ses dirigeants. Ceux de l’Afrique également. Il est un bon communicateur, de contact aisé autant avec le monde politique et intellectuel qu’avec les masses populaires. Il est par ailleurs un parfait bilingue français-anglais, atout linguistique qui facilitera les échanges directs avec le monde diplomatique anglophone. Enfin, son important poids politique dans le pays et la sympathie dont il jouit de la part des populations congolaises – qui font de lui une « machine pourvoyeuse des voix électorales » (son soutien à la candidature de Martin Fayulu en 2018 l’a éloquemment prouvé) – contribueraient à créer la confiance entre ces dernières et le gouvernement de l’Union Sacrée de la Nation, et au bénéfice politique de certains de ses alliés d’aujourd’hui et de… 2023.
Intelligence largement au-dessus de la moyenne, maturité politique acquise par des années de gestion des hommes et des dures expériences de la vie, compétence technique et leadership efficace avérés, esprit républicain, Jean-Pierre Bemba, qui est aujourd’hui en bonne entente citoyenne avec le président de la République Félix Tshisekedi, se présente actuellement, en tant qu’individualité, en une chance particulière pour le Congo dont il serait, pour des considérations non objectivement fondées, regrettable de se passer. Puissions-nous privilégier l’intérêt supérieur du pays en ces moments des grands défis sociaux, économiques, politiques et sécuritaires à relever…
Wina Lokondo