A la fin et au début de chaque année, deux commémorations chargées d’émotion et de consternation sont organisées au Congo-Kinshasa. Le 30 décembre 1998, des combattants d’une des rébellions créées par le Rwanda de Paul Kagame dans une quête d’hégémonie ethnique et d’expansion territoriale, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), et des soldats rwandais et burundais ont massacré 800 Congolais dans la localité de Makobola au territoire de Fizi dans la province du Sud-Kivu, la plupart brûlés vifs. Ce crime de guerre et crime contre l’humanité, qui attend réparation 21 ans après, a été documenté minutieusement dans le Rapport du Projet Mapping élaboré par le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Le rapport décrit « les violations les plus graves des droits humains et du droit international humanitaire commises au Congo-Kinshasa entre mars 1993 et juin 2003. On y dénombre un total de 617 « cas graves de massacres, de violences sexuelles et d’attaques contre des enfants, ainsi que des exactions commises par une série d’acteurs armés, notamment des armées étrangères [du Rwanda, de l’Ouganda et, dans une moindre mesure, du Burundi], des groupes rebelles [portés à bout de bras par le Rwanda et l’Ouganda] et des forces du gouvernement congolais ».
Chaque 4 janvier, le Congo-Kinshasa commémore la « journée des martyrs ». Car, le 5 janvier 1959, des Congolais s’étaient soulevés à Kinshasa alors Léopoldville contre les autorités coloniales belges. Celles-ci avaient interdit une manifestation pacifique programmée par le parti politique ABAKO. La répression fut d’une extrême violence. Au moins 49 personnes perdirent la vie, marquant ainsi un tournant décisif vers l’indépendance qui eut lieu le 30 juin 1960. Pourtant, quand en 1956 l’universitaire belge Jef Van Bilsen publia un texte intitulé « Un plan de trente ans pour l’émancipation de l’Afrique belge », il s’éleva un tollé général contre lui. Dans leur aveuglement, les dirigeants belges étant convaincus d’avoir mis en place une colonisation modèle dans laquelle les colonisés ne se révolteraient jamais au point de réclamer leur indépendance. Ce crime contre l’humanité attend également réparation, 61 ans après.
Le Congo-Kinshasa organisait l’un après l’autre ces deux commémorations. Le message des cérémonies à Makobola était entre autres de demander au gouvernement actuel d’accélérer les enquêtes sur ce massacre. La consternation et la soif de justice s’exprimaient en ces termes à Makobola même : « À l’époque, nous avons beaucoup souffert. Ce qui nous énerve, c’est quand aujourd’hui, par exemple, nous voyons parfois des gens qui sont pointés du doigt dans les massacres ici chez nous et qui ont été promus depuis à des grades et de hautes fonctions ou à des postes gouvernementaux [par Joseph Kabila]. Nous voulons que le gouvernement de Félix Tshisekedi nous rende justice ». Pendant que la mémoire de ce massacre restait vive de même que la quête de justice, avec les premiers responsables pointés du doigt dont les Rwandais Paul Kagame et James Kabarebe, une vidéo faisait le buzz dans les réseaux sociaux le soir du 4 janvier. On y voit le soir même un homme politique congolais et non des moindres sabler le champagne en compagnie de son épouse lors de la cérémonie de mariage d’un fils de James Kabarebe à Kigali. Il s’agit de Vital Kamerhe.
Quand le protocole donne la parole à Kamerhe, on entend d’abord des voix l’exhorter à s’exprimer en Kinyarwanda/ Il opte plutôt pour la langue française. Toute honte bue, Kamerhe félicite son « grand frère et ami James d’avoir élevé un enfant intelligent ». Puis, il félicite les mariés, après les parents de l’heureuse élue, et leur transmet les félicitations du président Félix Tshisekedi qui, selon les propres termes de Kamerhe, aurait « protesté contre James pour ne l’avoir pas invité ». Se présentant comme un Mushi du Kivu, cette partie du pays où Kabarebe a semé massivement la désolation et la mort pendant de longues années, Kamerhe exprime son respect pour la tradition du peuple Mushi en offrant 30 vaches aux mariés pour, dira-t-il, « renforcer les liens entre le Kivu et le Rwanda ». Kamerhe pense-t-il un seul instant que les Rwandais en face de lui applaudissaient frénétiquement un homme politique respectable ? Ne se moquaient-ils pas de l’étendue du déshonneur de l’homme politique congolais ? Jusqu’à ce jour, c’est-à-dire 25 ans après, le régime de Paul Kagame ne traque-t-il pas les responsables du génocide des Tutsi et Hutu modérés parce qu’il s’agit là d’un crime contre l’humanité ? Les nombreux crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité commis par ce régime scélérat au Congo-Kinshasa ne sont-ils pas aussi imprescriptibles que le crime de génocide ?
Comme si le manque de scrupule ou l’immoralité politique de Kamerhe ne suffisait pas, vers 23h00, l’instrument de propagande par excellence de Joseph Kabila, Télé 50, a étalé le même déshonneur dans son émission « Club 50 ». Pendant toute la soirée, trois messages défilaient dans la bande en bas de l’écran avec le même titre de « Balkanisation de la RDC ». Premier message : « Le cardinal Ambongo accuse Paul Kagame du Rwanda et Yoweri Museveni de l’Ouganda de déverser leurs populations à l’Est ». Deuxième message : « Le Cardinal Fridolin Ambongo dénonce le plan machiavélique du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi de peupler le Grand Kivu via de fausses guerres ». Troisième message : « Les événements donnent raison au président honoraire Joseph Kabila qui l’a toujours décriée même du haut de la tribune des Nations Unies ».
Pour son émission, Jean Marie Kasamba, qui n’a jamais caché son rôle de propagandiste, qu’il soit l’intervieweur ou l’interviewé, avait invité 4 journalistes. Comme le cardinal dénonçait le même mal que le héros de Télé 50 Joseph Kabila, on se serait attendu à ce qu’on se félicita de l’intervention même tardive du premier. Mais que n’a-t-on pas entendu de ces journalistes et de Jean Marie Kasamba lui-même ? Le Cardinal serait un homme politique de Lamuka. Ses propos consisteraient à donner la raison qui manquait à Adolphe Muzito d’attaquer le Rwanda. Aujourd’hui, il n’y aurait aucune raison de s’attaquer au Rwanda. Le Rwanda aurait eu de bonnes raisons d’attaquer le Congo-Kinshasa pour neutraliser les rebelles hutu. Si le Rwanda est devenu premier producteur de coltan, on ne devrait s’en prendre qu’à la fraude transfrontalière. Pourtant, les circuits criminels du pillage des richesses congolaises par le Rwanda ont été largement documentés. Le cardinal saperait la diplomatie payante du président Félix Tshisekedi et de la coalition FCC-CACH. Il discréditerait les efforts victorieux des FARDC. Il découragerait les investisseurs à venir donner du travail aux Congolais. Il ne serait qu’un ingrat. D’abord parce que le président Tshisekedi et le tout Kinshasa politique avaient fait le déplacement de Rome pour assister à la messe de son intronisation. Ensuite parce que le président Tshisekedi lui a offert une voiture. L’Eglise catholique en a eu pour son grade. Elle ne serait qu’une Eglise des colonisateurs ; ce qui aurait justifié la naissance du Kimbanguisme et de Mpeve ya longo. On croirait rêver.
Comble de l’ironie, le même 4 janvier, les FARDC dont Jean Marie Kasamba et ses 4 pseudo-journalistes vantaient les mérites pour mieux diaboliser le cardinal Ambongo répondaient en écho au prince de l’Eglise catholique. Dans un communiqué signé par leur porte-parole, le général major Léon-Richard Kasonga, les forces armées congolaises déclaraient être confrontées à une guerre « non conventionnelle » dont le but était d’exécuter un plan de balkanisation du pays sur ses frontières.
Dans l’architecture gouvernementale actuelle où les partis politiques ne sont que des petites et moyennes entreprises aux mains de leurs fondateurs et où le pouvoir du président de la république demeure incontrôlé, le Congo-Kinshasa peut-il se redresser un jour avec des élites politiques et intellectuelles aussi effrontées ? Peut-il être respecté dans le concert des nations avec une classe politique et une intelligentsia aux mœurs aussi corrompus par l’intérêt personnel et la puissance de l’argent ? Peut-il s’en sortir avec des ministres et hauts commis de l’Etat adeptes du « djalelo », cette bassesse d’esprit née sous le mobutisme et exacerbée sous le kabilisme et qui voudrait qu’à chaque déclaration publique, nos dirigeants rivalisent en obséquiosité envers le despote de l’heure juste pour continuer à goûter aux délices du pouvoir pendant qu’en coulisses, ils se permettent d’insulter le même despote ? Ce 5 janvier, ce fut le tour de Willy Bakongo Wilima, ministre d’Etat en charge de l’Enseignement primaire, secondaire et technique (EPST), d’exceller dans ce registre pitoyable. Invité de l’émission « JMK Today » de Télé 50, il a passé son temps à crier à qui voulait l’entendre qu’il est un « lieutenant de Kabila », un « soldat de Kabila » ou encore un « Kabiliste dans le sang » qui cesserait de s’intéresser à la politique aussitôt que le kabilisme n’aurait plus de place au pays. Il y a lieu de se demander quelle était la couleur du sang de cet énergumène originaire de l’ancienne province de l’Equateur, de sa naissance jusqu’à ce qu’il devienne sans doute par un coup de chance un client et thuriféraire du despote Joseph Kabila.
Chacun peut répondre en âme et conscience aux questions ci-dessus. En ce qui me concerne, cela fait près de trois décennies que je m’époumone à déclarer que la voie démocratique exogène choisie pour notre émancipation collective depuis la conférence nationale souveraine et le dialogue de Sun City fait partie de notre misère et non de sa solution. Une misère qui s’accentue au fil des années, surtout sur le plan de la morale politique. Comme le note si bien dans Kiosque Magazine le ministre burundais de la Défense Emmanuel Ntahomvukiye : « Le peuple de la RDC fait la honte de l’Afrique. C’est le seul peuple au monde qui applaudit encore son bourreau au 21ème siècle au moment où certains Congolais pleurent les 10 millions de victimes à la suite des guerres interminables imposées par le criminel multirécidiviste Paul Kagame ».
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