La nouvelle s’est répandue jeudi 11 juillet comme une « mauvaise blague ». C’est désormais officiel! Après Antipas Mbusa Nyamwisi, Freddy Matungulu Mbuyamu quitte le navire « Lamuka ». Il rejoint Abidjan où il va siéger, durant trois ans, parmi les administrateurs de la Banque africaine de développement (BAD). Fin juillet prochain, l’ancien ministre de l’Economie, finances et budget dans le tout premier gouvernement de « Joseph Kabila » devait prendre en charge la Présidence tournante du présidium de cette coalition politique qui ne compte plus que quatre membres fondateurs. A savoir: Jean-Pierre Bemba, Moïse Katumbi, Martin Fayulu et Adolphe Muzito. Un « petit fossé philosophique » semble séparer les deux premiers aux deux autres. Les premiers cités prônent le « pragmatisme » consistant en une « opposition constructive » à l’égard du président Felix Tshisekedi Tshilombo. Les seconds semblaient jusqu’au 12 mai dernier s’accrocher mordicus à « la vérité des urnes » sur l’élection présidentielle du 30 décembre 2018.
Dans la soirée de jeudi, l’auteur de ces lignes a contacté, par écrit, Freddy Matungulu afin, dans un premier temps, d’obtenir l’authentification de l’information faisant état de sa désignation en qualité d’administrateur à la BAD. Et, dans un second temps, réaliser une brève interview. Pour toute réponse, l’ancien économiste au Fond monétaire international à Washington s’est contenté d’afficher un tweet diffusé par le média kinois « Top Congo » sur son compte Twitter.
On peut y lire ces mots: « Freddy #Matungulu administrateur #BAD ». « Sa candidature a été soutenue par la #RDC » reconnait un leader@_Lamuka [non-autrement identifié, Ndlr] qui ne sait pas dire « si sa fonction lui permettra d’être actif en politique ».
Réputé posé et très peu friand des envolées lyriques, Matungulu s’est muré dans un silence pour le moins étrange au moment où certains membres de la coalition Lamuka ne juraient que par « la vérité des urnes ». Quelle était sa position?
MUTISME
Depuis la signature de la Convention portant transformation de l’ancienne plateforme électorale – ayant porté Martin Fayulu à l’élection présidentielle du 30 décembre 2018 – en coalition politique, des observateurs avaient noté le « mutisme » éloquent que gardait « Freddy ». C’est à croire que l’homme était (déjà) soumis à un devoir de réserve. Par qui?
Les « cartésiens » d’estimer que Matungulu ne faisait que conformer son comportement aux « axes principaux » énumérés dans ladite Convention. Ces axes sont au nombre de quatre. Il est vrai que « la vérité des urnes » n’y figurait pas.
Les « réalistes », eux, avaient une lecture plus prosaïque. « Freddy Matungulu et Felix Tshisekedi ont des liens qui dépassent la sphère politique », soutiennent-ils. Et d’ajouter que Madame Matungulu serait la fille de Mbwakiem Nyaroliem, un vieux camarade de lutte à Etienne Tshisekedi wa Mulumba. « Cette situation mettait Freddy Matungulu dans l’embarras face à Felix Tshisekedi ».
Lors de la « manifestation pacifique » organisée le 30 juin dernier par Martin Fayulu, personne n’a vu l’ombre de Matungulu. Pire, celui-ci n’a fait aucune déclaration publique. Le « Président élu », comme d’aucuns aiment appeler le président de l’ECIDé, n’avait à ses côtés que l’ancien Premier ministre Adolphe Muzito.
ACROBATIES DIALECTIQUES
Dimanche 7 juillet, Matungulu Mbuyamu Ilankir est intervenu dans un débat, sur le thème « Les mutations politiques en RDC ». La rencontre était organisée par des membres de la diaspora congolaise des Etats-Unis d’Amérique à Charlotte (Caroline du Nord). On imagine que l’assistance piaffait d’impatience d’être fixée enfin sur la position de ce membre fondateur de Lamuka. Hélas, La prestation du « professeur » n’a guère répondu aux attentes.
Au lieu d’aller droit au but, le « scientifique » qu’est censé être le « prof » Matungulu s’est livré à quelques contorsions voire des acrobaties dialectiques en commençant par donner lecture d’une tribune qu’il avait publiée in tempore non suspecto en… 2015! Le thème portait sur la nécessité de respecter la vérité des urnes afin de garantir « la légitimité au sommet de l’Etat ».
HAUT CONSEIL NATIONAL DE RÉFORMES INSTITUTIONNELLES
Dans son article, le Président de « Congo na Biso » plaidait pour « l’implication des citoyens dans le choix de leurs dirigeants ». C’est ici que « Freddy » est sorti du bois en soulignant que « cette position est conforme à la proposition de sortie de crise signée le 10 mai dernier par [Martin] Fayulu ». Il n’est pas allé par quatre chemins en clamant le « soutien » qu’il apporte « à la substance » de cette suggestion.
Selon Matungulu, la démarche entreprise par le « patriote Fayulu » [Ndlr: la création d’un Haut conseil national de réformes institutionnelles, HCNRI] « rappelle dans le fond l’impérieuse nécessité pour notre pays de mener des réformes susceptibles de permettre l’établissement au plus tôt d’un processus électoral respectueux du choix de l’électeur ». En français facile, la traduction serait comme suit: le combat pour « la vérité des urnes » est reporté aux prochaines consultations politiques.
Pour la petite histoire, Fayulu avait prévu d’être assisté au HCNRI par Freddy Matungulu et Adolphe Muzito. Il n’était manifestement pas au fait des tractations qui se déroulaient au niveau de la Présidence de la République.
Après le départ de Mbusa et de Matungulu, il ne reste plus que quatre « leaders » au sein de Lamuka. D’un côté, les « modérés » Bemba et Katumbi. De l’autre, les « radicaux » – ou prétendus tels – Fayulu et Muzito. Va-t-on assister à la naissance de deux ailes dissidentes de cette coalition lors de la réunion prévue le 20 juillet prochain à Lubumbashi?
Au moment de boucler ces lignes, un vent favorable a fait atterrir à notre « box » un communiqué de presse revêtu de la signature de Freddy Matungulu. « Fait à Abidjan », le texte est daté du 10 juillet 2019.
DÉBAUCHAGE?
L’intéressé y explique, en liminaire, que « le mandat triennal de la Banque Africaine de Développement » (BAD) pour le Burundi, le Cameroun, la République du Congo (Brazzaville), la République Centrafricaine, la République démocratique du Congo et le Tchad a pris fin le 30 juin 2019. « Ce mandat qui était porté par le Cameroun pendant les trois dernières années revient désormais à notre pays, la RDC, qui l’exercera au cours des trois prochaines ».
Matungulu d’aller à l’essentiel: « Soucieux de s’assurer de la bonne représentation de notre pays auprès de cette grande institution financière continentale, il a plu à SEM le Chef de l’Etat (sic!), Felix Antoine Tshisekedi Tshilombo, de me désigner pour assumer le mandat confié à la RDC. (…)« . « J’ai répondu favorablement à l’appel et souhaite dire ma gratitude au Président de la République qui par cet acte d’ouverture, réaffirme sa volonté de privilégier l’intérêt supérieur de l’Etat et de rassembler les Congolais au-delà des clivages et affrontements politiques nuisibles à la nation ».
Quid de la participation du tout nouvel administrateur de la BAD dans les activités de la coalition Lamuka? La réponse tombe au dernier paragraphe du communiqué: « Ce nouvel engagement international me réimpose des devoirs de réserve. J’entends dès lors prendre une distance conséquente de mes activités politiques militantes y compris dans Lamuka (…)« .
A Charlotte, Freddy Matungulu – dont le savoir-faire en matière économique et financière ne peut être mis en doute -, n’avait pas manqué d’étonner le public venu l’écouter en déclarant que la coalition Lamuka était devenue un « état d’esprit ». Chacun pourrait épiloguer sur cette nomination aux allures de « débauchage ».
Baudouin Amba Wetshi