Docteur en médecine et professeur de neurologie à l’Université de Kinshasa, ancien ministre du Tourisme et environnement du gouvernement éphémère du Premier ministre Etienne Tshisekedi wa Mulumba, Tharcisse Loseke Nembalemba continue à revendiquer son appartenance au « tshisekedisme ». Pour lui, un second mandat à la tête du pays serait l’occasion pour Felix Tshisekedi de corriger les « erreurs de casting » du premier mandat. Ancien secrétaire national aux Relations extérieures de l’UDPS, ce natif du Sankuru est candidat au poste de gouverneur de cette « turbulente » province. Il s’estime capable de jouer le rôle de « rassembleur ». Il commente la situation générale au Congo-Kinshasa. INTERVIEW.
Bruno Mavungu Puati, ancien secrétaire général de l’UDPS, est décédé récemment. Comment avez-vous accueilli la nouvelle de la mort de votre ancien « camarade » du parti?
Bruno Mavungu n’était pas seulement un ami, il était devenu un « frère » pour moi. Nous avons entretenu une collaboration étroite. Lui, en tant que secrétaire général de l’UDPS et moi dans ma position qui n’était pas très claire de conseiller et médecin du président Etienne Tshisekedi wa Mulumba. Souvent, il passait par mon canal pour faire aboutir certains « dossiers sensibles » à soumettre au Président. Malheureusement, il avait quitté l’UDPS avant moi à la suite d’une mise en place effectuée par le président Etienne Tshisekedi. Bruno est resté « Combattant » jusqu’au bout.
strong>Vous venez de dire que vous avez quitté l’UDPS. Etes-vous resté « tshisekediste »?
Pur et dur! Je fais partie du petit cercle de ceux qui connaissent vraiment le « tshisekedisme ». C’est le président Etienne Tshisekedi wa Mulumba qui m’a donné le goût de la politique. Un moment donné, il m’a dit d’adhérer à l’UDPS. Je garde un souvenir mémorable de ce grand homme d’Etat qui nous a quittés.
Avant de prendre votre carte de membre de l’UDPS, vous avez été co-fondateur de l’ECIDé avec Martin Fayulu. On vous retrouvera par la suite, successivement à l’AFDC-A de Bahiti Lukwebo et son aile dissidente dirigée par l’ex-ministre Néné Ilunga Nkulu. Aux dernières nouvelles, il semble que vous avez rejoint le parti travailliste de Steve Mbikayi. Devrait-on parler de « vagabondage politique » comme le disait Etienne Tshisekedi?
Ça n’a rien à voir avec le vagabondage politique! Interrogé par des journalistes sur sa carrière politique, l’ancien président guinéen, Alpha Condé, disait: « En politique, on s’adapte tout en restant constant par rapport aux valeurs idéologiques ». Dans le même registre, Gérard Kamanda wa Kamanda avait estimé que « la politique n’est pas rectiligne. Elle est sinusoïdale ». Je suis un social-démocrate. Je suis attaché au progrès social comme mon mentor politique, Etienne Tshisekedi. Je n’ai pas changé.
Etes-vous toujours enseignant à l’Université de Kinshasa?
Toujours! Outre la neurologie, j’enseigne d’autres branches de neurosciences.
Que pensez-vous de la crise qui règne au sein de l’UDPS?
Je ne peux pas faire des commentaires sur ce qui se passe dans mon ancien parti l’UDPS. Ma propre formation politique est une « cadette » de l’UDPS. Elle existe depuis quatre ans. Il s’agit de « l’Alliance des démocrates pour le progrès social ». Nous restons dans la même famille. C’est malheureux ce qui se passe à l’UDPS pour le moment. Fort heureusement, le parti compte en son sein des femmes et des hommes dotés de la capacité d’apporter des solutions idoines. Et ce en commençant par le Président élu au congrès Felix Antoine Tshisekedi.
L’article 96 de la Constitution interdit au Président de la République d’exercer « toute responsabilité au sein d’un parti politique »…
C’est vrai! Il reste l’autorité morale de l’UDPS. C’est une formation politique que nous avons chéri pendant des années. On ne peut pas laisser brader ce label par des individus qui croient que ce parti est devenu leur « affaire personnelle ».
A qui faites-vous allusion?
Je ne fais allusion à personne. Le statut du parti reste un document fondamental pour clarifier la situation. Des membres commencent à élever des voix pour exiger le respect des règles.
Que répondez-vous à ceux qui ont parlé « d’immaturité » à la vue d’une banderole placardée sur la façade du siège de l’UDPS assortie de la croix gammée du Nazisme et la mention: « Kabund-Hitler dégage » ?
Je ne fais aucun commentaire. Je déplore simplement l’usage de ces symboles honnis dans le monde entier. Ce sont des choses difficiles à évoquer au XXIème siècle après ce qui s’est passé sous le régime hitlérien.
Après votre entrée dans le gouvernement du Premier ministre Samy Badibanga en décembre 2016, vous avez été suspendu de l’UDPS par Jean-Marc Kabund, alors secrétaire général de ce parti. Il semble que vous n’aviez pas présenté vos moyens de défense…
J’en garde un très mauvais souvenir dans la mesure où j’ai été sanctionné sans avoir été entendu. Il y a avait deux griefs. Primo: il m’a été reproché d’avoir trouvé un local devant abriter le siège du secrétariat national aux Relations extérieures à Bruxelles. Un lieu où l’on pouvait regrouper toutes les activités de l’UDPS en Belgique. Et d’avoir ouvert illégalement un compte bancaire. Toutes ces démarches ont été accomplies avec la « bénédiction » du président Etienne Tshisekedi. Le fameux compte bancaire était géré par Guylain Nyembo et moi. Ce compte a permis au parti d’apurer les retards de cotisation à l’International socialiste. Au moment où nous parlons, l’UDPS a accumulé des retards de contribution. C’était de la médisance et de la jalousie. Secundo: Il m’a été reproché d’avoir présenté mes civilités à Samy Badibanga qui venait d’être nommé Premier ministre. Ce dernier était non seulement membre de l’UDPS mais surtout notre ami. Je tiens à préciser que Felix Tshisekedi et Jean-Marc Kabund avaient fini par reconnaître que le parti avait eu « la main trop lourde » à mon égard.
Dans une précédente interview avec notre journal, vous avez dit que Felix Tshisekedi « n’est pas un adversaire. Nous sommes dans la même coalition ». C’était avant l’implosion de la coalition Fcc-Cach. Qu’en est-il aujourd’hui?
Rien n’a changé: notre parti est, depuis le début, membre de l’Union sacrée. Le « progrès social » constitue notre « ADN » commun.
Quelle est, selon vous, la situation générale du pays?
C’est une question difficile. Il est difficile de décrire la situation d’un pays comme le Congo.
Comment va le Congo-Kinshasa?
Je ne peux pas dire que le pays va bien. Certains secteurs ont connu une petite embellie. D’autres, vont très mal. Dans ce dernier cas de figure, je peux citer la santé, l’enseignement et les infrastructures. Je vis souvent à l’intérieur. Cette description procède dans l’arrière-pays. Le président Felix-Antoine Tshisekedi Tshilombo s’en est rendu compte lors de sa tournée dans le « Grand Kasaï ». C’est une réalité. Le chef de l’Etat est arrivé au Sankuru pendant que je me trouvais « en quarantaine » en Europe. Ma formation politique a fait partie du comité d’organisation de l’accueil.
Lors d’un précédent entretien, vous avez déclaré qu’à l’avènement de Felix Tshisekedi à la tête du pays, le dollar américain s’échangeait contre 1.650 CDF. Quel est le taux d’échange en ce moins de janvier 2022?
Le taux actuel tourne autour de 2.100 CDF pour un dollar. Mais ce n’est pas le plus important. Le taux de change entre la monnaie nationale et la devise américaine dépend de plusieurs paramètres sur lesquels le chef de l’Etat n’a aucune prise sur ces facteurs. Il ne faudrait pas perdre de vue la Pandémie du Covid-19 qui a tout perturber la situation dès le mois de mars 2020, une année après l’investiture.
Ce lundi 24 janvier 2022, le président Felix Tshisekedi totalise trois années à la tête du pays. Selon vous, qu’est-ce qui a changé?
C’est un peu l’histoire du verre à moitié vide et à moitié plein. Jusque-là, il n’y a pas beaucoup d’embellie. Il y a urgence de prendre des mesures réformatrices.
Un exemple?
C’est le cas notamment de la lutte contre la corruption. Il faut arriver à sanctionner les détourneurs de deniers publics. Il faut qu’il y ait une symbiose entre l’Inspection générale des finances et la Cour des comptes. Je persiste et signe: il faut sanctionner les « voleurs ». Nous sommes le seul pays au monde où l’on applaudit les « kleptomanes ».
D’aucuns pourraient vous rétorquer que plusieurs personnalités ont été emprisonnées: Vital Kamerhe, Willy Bakonga, Eteni Longondo…
Où sont-ils au moment où nous parlons? Je laisse l’opinion répondre…
Revenons aux trois années de pouvoir de « Fatshi »…
Le chef de l’Etat s’est rendu compte qu’il ne pourra pas réaliser son programme en un seul mandat. C’est pour cette raison qu’il ne fait plus mystère de sa volonté de solliciter un deuxième mandat. Le Congo est un pays trop vaste. On ne peut pas tout résoudre en un seul terme. On ne doit pas lui en vouloir. Il essaie de faire le maximum notamment dans la diplomatie. Je pense qu’il a fait beaucoup dans certains secteurs. Il y a encore beaucoup à faire. Il y a deux secteurs à cibler. D’abord, le ministère de l’Intérieur. J’aimerais qu’on revienne sur le concept « ministère de l’Administration du territoire ». Pourquoi? Simplement parce que l’intérieur du pays se meurt. Sur les 26 gouverneurs qui représentent le Président de la République en province, il y a peut-être une poignée qui assume ses responsabilités. C’est le moment de mettre un soin particulier dans l’élaboration du profil du chef de chaque exécutif provincial. Autre ministère à cibler: le ministère du Travail et de l’Emploi. Ce dernier département est essentiel pour la lutte contre le chômage et la pauvreté. Nous avons l’habitude de négliger ce ministère. Une erreur. Autre secteur à cibler: tous les métiers qui évoluent dans l’informel. Ce secteur brasse plusieurs milliards.
Après le spectacle donné par les confessions religieuses, des voix se sont élevées pour restituer l’organisation des élections au ministère de l’Intérieur. Quel est votre avis?
Je suis catégoriquement contre. C’est une option à exclure dans la situation politique actuelle. Il y a lieu de craindre que le ministère de l’Intérieur rende la situation pire que la Commission électorale nationale « indépendante » (sic!).
Etes-vous candidat au poste de gouverneur du Sankuru?
Oui, je le confirme. Je me présente sous la bannière du « Front patriotique 2023 ». Le Front souhaite ardemment la réélection de Felix Tshisekedi en 2023. Nous sommes convaincus que le casting changera au cours du second mandat. Le chef de l’Etat finira par se rendre compte que des « erreurs de casting » sont au centre des problèmes qui jalonnent ce premier mandat. Nous souhaitons que le président Felix Tshisekedi Tshilombo rempile afin de préserver la stabilité institutionnelle.
Revenons au Sankuru. Apparemment la querelle « séculaire » entre les Ekonda et les Eswe continue à faire rage…
J’entends jouer le rôle de « rassembleur ».
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi