Tharcisse Loseke: « Felix Tshisekedi n’est pas un adversaire. Nous sommes dans la même coalition »

Natif du Sankuru, médecin neurologue, Tharcisse Loseke Nembalemba est un homme qu’on ne présente plus. Ancien ministre de l’Environnement et tourisme dans le gouvernement éphémère du Premier ministre Etienne Tshisekedi wa Mulumba en 1992, co-fondateur de l’ECIDé avec Martin Fayulu Madidi, il finit par adhérer à l’UDPS où il occupera brièvement le poste de secrétaire national aux Relations extérieures laissé vacant par… Felix Tshisekedi Tshilombo. Patatras: il est suspendu par Jean-Marc Kabund. En décembre 2016, Tharcisse Loseke est nommé vice-ministre des Finances dans le gouvernement du Premier ministre Samy Badibanga Ntita. Il occupe actuellement le poste de directeur de cabinet du ministre de l’Emploi Nene Nkulu Ilunga. Interview –

Comment allez-vous?

Je me porte bien. Je suis venu faire un bilan de santé.

Que devenez-vous depuis votre passage dans l’équipe gouvernementale de Samy Badibanga en tant que vice-ministre des Finances?

Je suis professeur d’université et médecin neurologue clinicien. J’ai mes activités politiques habituelles. Pour le moment, je dirige mon parti politique « Alliance des démocrates pour le progrès social » (ADPS) qui fait partie du regroupement politique AFDC et alliés, membre de la grande plateforme « Front commun pour le Congo » (Fcc).

Pour une bonne compréhension, êtes-vous un allié de l’AFDC-A aile Nene Nkulu Ilunga?

Effectivement, c’est elle qui en est l’autorité morale. Pour votre information, j’exerce actuellement les fonctions de directeur de cabinet de la ministre Nene Ilunga Nkulu, ministre d’Etat à l’Emploi, travail et prévoyance sociale.

Vous avez été secrétaire national aux Relations extérieures de l’UDPS avant d’entrer dans le gouvernement Badibanga. Si c’était à refaire, feriez-vous le même parcours?

Oui, je le ferai. Le parcours politique est juché de plusieurs événements. C’est peut-être le destin qui en décide à tout moment. J’ai été membre de l’ECIDé avec Martin Fayulu. Lors des élections générales de 2011, nous avons mis sur pied une structure qui a soutenu Etienne Tshisekedi wa Mulumba à l’élection présidentielle. Il s’agit de la « Dynamique Tshisekedi Président » (DTP). En 2012, le président Tshisekedi m’a demandé de faire partie de ses « conseillers privés » au sein de l’UDPS. Après avoir consulté notamment Fayulu, j’ai adhéré avec fracas dans cette formation politique. Lors d’un « remaniement » du parti, je suis devenu secrétaire national aux Relations extérieures.

Et après?

Nous avons procédé à une « auto-évaluation » du parti. Il s’agissait de savoir si nous devrions poursuivre la lutte que nous la menions ou s’il fallait changer de fusil d’épaule en nous engageons dans une « cohabitation ».

Une cohabitation?

Oui, une cohabitation avec d’autres forces politiques en présence.

Etes-vous en train de dire que l’UDPS envisageait déjà de « convoler » avec le PPRD?

Il faut tenir compte du contexte. A l’issue du conclave des « forces politiques acquises au changement » à Genval, en Wallonie, nous avons créé le Rassemblement de l’opposition (Rassop). C’était en juin 2016. Durant le conclave et après, notre regroupement s’est retrouvé sous pression de la « communauté internationale ». Celle-ci était convaincue que les élections ne pouvaient plus être convoquées au mois de septembre. L’Envoyé spécial des Etats-Unis pour les Grands lacs, Tom Perrielo, a exhorté le Rassop à examiner l’idée d’une participation à un « gouvernement de transition » afin de préparer les élections ensemble avec la majorité présidentielle.

Et alors?

A l’UDPS, nous devions faire le choix entre la poursuite de la « confrontation » et la « cohabitation » avec les forces politiques regroupés au sein de la majorité présidentielle. Les partisans d’une « cohabitation » étaient nombreux. Cette dernière position n’était pas partagée par le président Etienne Tshisekedi wa Mulumba qui mit son veto. C’est dans ces circonstances de temps que s’est tenu le « dialogue politique inclusif » sous la facilitation d’Edem Kodjo. Ces assises ont suivies par la nomination de Samy Badibanga – alors président du groupe parlementaire UDPS et alliés à l’Assemblée nationale – au poste de Premier ministre. On a entendu crier au « débauchage » alors que « Samy » avait personnellement informé le président Etienne Tshisekedi. D’aucuns ont fait semblant de renier le nouveau « Premier » en le qualifiant de « traître » alors que tout le monde le côtoyait.

Vous voilà vice-ministre des Finances…

Avant de rentrer à Bruxelles, je suis allé saluer le nouveau chef du gouvernement qui est, par ailleurs, un ami de longue date. La nouvelle s’est aussitôt ébruitée. C’est le début ma « diabolisation » dans l’UDPS. J’apprendrai à mon arrivée en Belgique que j’étais suspendu pour des raisons que je considère fallacieuses. Il m’a été reproché d’une part l’ouverture d’un compte bancaire au nom du secrétariat national aux Relations extérieures et d’autre part, d’avoir été saluer le Premier ministre Badibanga « sans autorisation ». J’ai aussitôt rejeté le premier motif d’autant que ce compte est toujours ouvert à l’ING. Nous l’avons ouvert avec Felix Tshilombo Tshisekedi avec le quitus du président Etienne Tshisekedi. Le compte était destiné à héberger les dons et autres legs. « Samy » m’a téléphoné en me disant: « Vous êtes suspendu dans ce parti. C’est le début de votre descente aux enfers. Je vous offre un poste dans mon gouvernement ». C’est ainsi que je suis rentré à Kinshasa. J’ai vu en premier lieu le président Etienne Tshisekedi. A ma grande surprise, il n’était pas au courant de ma suspension. Il m’a dit ces mots: « Personne ne peut vous suspendre sans mon avis puisque c’est moi qui vous ai fait venir à l’UDPS ».

Qui finalement avait décidé votre suspension?

C’est Jean-Marc Kabund. J’ai été suspendu sans avoir été entendu. Dès ce moment, j’ai compris que ma place n’était plus à l’UDPS. J’ai informé le président Etienne Tshisekedi que j’allais entrer dans le gouvernement Badibanga. Après un temps de silence, il me dit: « Docteur, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise? Si vous avez choisi de vous émanciper, je n’ai rien à dire. Je vous souhaite bon vent. Soyez toujours un combattant ». C’était ma dernière conversation avec le président Etienne Tshisekedi.

Que répondez-vous à ceux qui étaient surpris de vous retrouver à la tête d’un « vice-ministère » alors que vous aviez déjà dirigé un « ministère full »?

La raison est simple: tous les portefeuilles ont été distribués. Le Premier ministre m’a donné le dernier poste qui restait.

Successeur de Badibanga, le premier ministre Tshibala vous « débarque » du gouvernement…

C’est une longue histoire. Lorsque Bruno Tshibala a été arrêté à l’aéroport de Ndjili, j’ai été la personne qui faisait la liaison entre lui et le président Etienne Tshisekedi. Et ce jusqu’au moment où nous avons arrêté la stratégie de le faire sortir de Makala. Il s’agissait, pour lui, de simuler qu’il était en froid avec l’UDPS et voulait faire allégeance au pouvoir.

Le président Etienne Tshisekedi est-il au courant de cette « stratégie »?

Je n’en sais rien. Il reste que c’est un stratagème qui a été adopté.

Confirmez-vous que le prisonnier Bruno Tshibala a été « visité » à Makala par des émissaires de « Joseph Kabila »?

C’était justement dans le cadre de la stratégie mise en place afin qu’il sorte de prison. La fin justifie les moyens. Bruno Tshibala vivait difficilement sa détention. Il avait maigri. Après sa libération, il y a eu des fuites. On a commencé à le stigmatiser dans l’UDPS.

Le Tout-Kinshasa-politique le suspectait de « flirter » avec le « clan Kabila »

C’est dans ce contexte qu’a eu lieu le « dialogue » de la Cenco au Centre interdiocesain. Comme vous le savez, le futur Premier ministre devait être issu du « Rassop ». C’est au moment décisif de désigner le Premier ministre que le président Etienne Tshisekedi nous a quittés.

Qu’en est-il d’un pli fermé qu’il avait laissé avec l’identité du « premier ministrable »?

Personnellement, je n’ai jamais entendu parler de cette missive. Je ne peux ni confirmer ni infirmer l’existence de celle-ci. Bruno Tshibala est aussitôt nommé Premier ministre. Il me dit dans un premier temps que je fais partie des « ministrables ». Il me dira, par la suite, que « mon nom a posé problème ».

Lequel?

Il ne m’a jamais fourni de plus amples détails.

Vous avez été un des proches d’Etienne Tshisekedi jusqu’à occuper le poste de secrétaire national de l’UDPS en charge des Relations extérieures. Aujourd’hui, vous faites partie d’un regroupement politique qui fait partie du « Fcc ». Quelles sont les convergences idéologiques qui existent entre l’ancien de l’UDPS que vous étiez et la mouvance kabiliste?

Je me suis retrouvé au sein de la plateforme Fcc par le truchement du regroupement politique AFDC-A lequel défend les mêmes valeurs que moi.

Quelles sont ces valeurs?

L’idée de base est et reste le progrès social.

Quels sont les points de convergences idéologiques que vous avez avec le Fcc?

Le Fcc est une plateforme électorale. L’objectif était de conquérir le pouvoir ensemble et de gouverner. C’est comme un gouvernement de coalition dans lequel chaque composante a son idéologie et son programme. Notre ambition est de travailler ensemble pour le bien du peuple congolais. Le Fcc qui a la majorité au gouvernement et dans les deux chambres est en coalition avec ceux qui le combattaient jadis. Où est le problème en ce qui me concerne?

Cela fait vingt mois depuis l’avènement de Felix Tshisekedi à la tête de l’Etat. Sans parti pris, qu’est-ce qui a changé, selon vous?

Il y a d’abord l’alternance démocratique…

Que répondez-vous à ceux qui clament qu’il n’y a pas eu d’alternance du fait que l’ancienne majorité n’a pas été remplacée par une nouvelle?

Le constat est là: le pilote de « l’avion Congo » n’est plus le même. Dans notre pays, le pouvoir d’Etat a toujours été symbolisé par le chef de l’Etat, le numéro un de la République. C’est un signal fort. Le président Kabila a respecté ses deux mandats avant de faire un pas de côté.

D’aucuns pourraient vous rétorquer qu’il a fait un pas de côté deux années après l’expiration de son second mandat…

Ce sont des circonstances exceptionnelles qui ont entraîné le « glissement ».

Qu’est ce qui a changé globalement?

Il y a une coalition qui dirige le pays. Celle-ci doit être évaluée au bout d’une année d’exercice. Sur le plan économique et social, les choses ne tournent pas bien.

Quand aura lieu cette évaluation?

Elle est en cours entre les composantes Fcc et Cach qui se réunissent régulièrement. Nous aurons bientôt les résultats de ces « tractations ». Je ne peux m’empêcher de relever que c’est une catastrophe sur le plan économique et social. A titre d’exemple, à l’arrivée du président Tshisekedi au pouvoir, le dollar américain s’échangeait contre 1.650 Fc. Aujourd’hui, il faut 2.100 Fc pour acheter le même dollar.

Quelle en est la cause, selon vous?

Il y en a plusieurs: l’absence d’investissements, la Covid-19. Il y a plusieurs facteurs. Outre cela, il me semble que le casting y est pour quelque chose. Vous avez deux composantes qui ont fait un « mariage » tout en ayant des intérêts divergents. C’est pourquoi j’insiste sur l’évaluation de cette coalition. A cette allure, on se demande bien qui va porter le chapeau en 2023. Une évaluation sans complaisance est nécessaire afin que les années qui restent soient consacrées au social.

Qu’en est-il de la situation au plan sécuritaire?

C’est un drame. A l’Est du pays, c’est le statu quo. On continue à déplorer des assassinats et des tueries. On assiste à une résurgence du banditisme à travers le pays.

Faut-il élire le Président de la République au suffrage indirect?

Il faut d’abord voir si l’article de la Constitution relatif à l’élection du Président de la République au suffrage universel n’est pas « verrouillé ». Dans le cas contraire, je n’ai rien à redire.

Quel est l’état de vos relations avec le président Felix Tshisekedi?

On ne se voit pas beaucoup. Nos relations sont bonnes.

A quand remonte votre dernier contact téléphonique?

Nous avons eu un contact lors d’un forum à l’hôtel du Fleuve, ex-Kempisky. Nous avons « blagué » durant une trentaine de secondes. Felix Tshisekedi n’est pas un adversaire. A preuve, nous sommes dans la même coalition.

 

Propos recueillis à Bruxelles par Baudouin Amba Wetshi

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