« Elu » gouverneur de la province de Tanganyika en février 2019 – dans une ambiance faite de ruse et d’arbitraire -, Zoé « Kabila » a été destitué, jeudi 6 mai 2021, dans les mêmes conditions par une motion votée par 13 députés provinciaux sur 25. Retenu à Kinshasa, l’intéressé, réputé antipathique et dédaigneux, n’a pu faire valoir ses droits à la défense. Lors du vote du gouverneur et de son adjoint en février 2019, Théodore Mugalu, ancien chef de la maison civile de l’ex-raïs et Jaynet « Kabila » ont fait partie des « observateurs » électoraux. Chaque grand électeur était doté, par « Zoé », d’un stylo muni d’une caméra pour filmer le bulletin glissé dans l’urne. Christian Mwando Kabulo était le challenger. Une certaine propagande présente le frère de l’ex-président « Joseph Kabila » en « bâtisseur ». Un éloge discutable! La députée nationale Jaynet « Kabila » a invité les habitants de Kalemie à « se prendre en charge ». Un appel à la révolte!
Conseil des ministres. Au cours de la réunion du conseil des ministres, vendredi 7 mai, le président Felix Tshisekedi Tshilombo a, dans sa communication, dit sa « préoccupation » du fait de « l’instabilité » qui règne dans les institutions de plusieurs provinces. Cette instabilité est « caractérisée par la déchéance de certains gouverneurs de provinces et des conflits permanents entre les gouverneurs et les Assemblées provinciales ». Le chef de l’Etat a demandé au vice-Premier ministre en charge de l’Intérieur d’inviter la Ceni (Commission électorale nationale indépendante) à procéder à l’organisation des élections de gouverneur dans les Régions concernées.
A tort ou à raison, certains observateurs ont apprécié modérément l’instruction présidentielle. Pour eux, Felix Tshisekedi « s’est substitué au gouvernement ». Les mêmes observateurs estiment que le sort de « Zoé », alias « Monsieur frère de… », paraît scellé. Une situation qui préfigure la fin de la « dynastie Kabila ».
Destitution. C’est le mardi 4 mai que l’on apprenait l’existence d’une motion de censure qui a été notifiée à l’équipe du gouverneur Zoé « Kabila ». La nouvelle fut annoncée par Cyrille Kimpu, rapporteur de l’Assemblée provinciale du Tanganyika. Jeudi 6 mai, 13 députés sur 25 ont adopté ladite motion. Etiquetés Fcc (Front commun pour le Congo), les 12 autres parlementaires provinciaux auraient boycotté la séance plénière.
Plusieurs griefs sont articulés à l’encontre de « Zoé »: mauvaise gestion, manque de leadership, arbitraire, incompétence, manque de considération vis-à-vis de l’Assemblée provinciale, conflictuel. Sans omettre le détournement de 3 milliards, huit cent millions de FC destinés aux paiements des salaires et indemnités de sortie des membres de cabinets du gouvernement précédent.
De l’avis général, il y a eu vice de forme. Au motif que le gouverneur n’était pas présent pour faire valoir ses droits de la défense. « C’est une violation flagrante de la procédure », s’exclament certains chroniqueurs qui invoquent le troisième alinéa de l’article 19 de la Constitution: « Le droit de la défense est organisé et garanti ».
Réactions. Seul gouverneur de province ayant rechigné à adhérer à l’Union sacrée de la nation (USN) prôné par le chef de l’Etat, « Zoé » y voit la cause de son infortune. L’homme avait renouvelé son « inacceptation » le 9 mars dernier. C’était lors de la visite à Kalemie d’une délégation venue de Kinshasa. Les délégués kinois avaient, semble-t-il, pour mission d’identifier une majorité parlementaire en faveur de l’USN. Ceci explique-t-il cela?
La députée nationale Jaynet « Kabila » est sortie de son devoir de réserve en exhortant la population de Kalemie « à se prendre en charge ». Traduction: révoltez-vous. Pour elle, les habitants de Tanganyika devraient dénoncer la violation des textes légaux. On imagine que la « jumelle » de l’ancien chef de l’Etat s’est souvenue du premier alinéa de l’article 64 de la Constitution qui stipule: « Tout Congolais a le devoir de faire échec à tout individu où groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation de la présente Constitution ». Les anciens opposants invoquaient la même disposition contre le pouvoir despotique de « Kabila ».
On apprenait, dimanche 9 mai, que des « jeunes gens » proches du Fcc auraient attaqué les habitations des « parlementaires révolutionnaires ». « Zoé » a lancé un « appel au calme ». Il a saisi la Cour constitutionnelle. En réalité, la chute de « Zoé » ne suscite pas que du déplaisir. Bien au contraire.
Zoé qui? Né, semble-t-il, en 1979, le gouverneur destitué du Tanganyika constitue, à l’instar des autres membres de sa fratrie, un véritable mystère pour la grande majorité des Congolais. Celle-ci a toujours mis en doute leur filiation au feu président Laurent-Désiré Kabila. Nul ne connait la véritable identité des membres de cette fratrie. Mtwale? Kanambe? Nul ne connait non plus le parcours personnel de « Zoé ». Un homme sans passé au même titre que « Joseph » et « Jaynet ». La « famille » vit entre-soi en évitant un contact suivi avec le reste de la population congolaise.
Il importe d’ouvrir la parenthèse. Dans son ouvrage « Histoire du Congo, Les quatre premiers présidents », publié en février 2002 aux éditions Secco & Cedi, par Célestin Kabuya-Lumuna Sando, on peut ce qui suit à la page 37: « (…), pour des raisons évidentes de clandestinité il [Joseph Kabila] s’est aussi appelé Kabange, Mtwale, Hyppolite ». Début juin 2006, la dame Sifa Mahanya, la mère putative du successeur de Mzee, accorde une interview au quotidien bruxellois « Le Soir ». Elle y déclare que « Joseph » et « Jaynet » ont étudié au Lycée français de Dar es Salaam. Dans sa fiche de candidature aux élections législatives de 2011, « Jaynet » mentionne tout sauf ce « détail ». Etudes primaires: Green Valley Primary School (Uganda). Etudes secondaires: Irambo Secondary School (Tanzanie). Etudes universitaires: Namibie. Qui affabule? Dans un portrait intitulé « Le vrai Kabila », publié dans le numéro 3 (juillet/août 2006) de la « Revue pour l’intelligence du monde », le journaliste François Soudan écrit notamment: « Joseph et Jaynet, qui n’ont connu jusque-là que l’école de brousse du parti, sont inscrits sous des noms d’emprunt (Kabange, puis Kanambe) dans un collège francophone de Dar es Salaam ». Quelle est le véritable patronyme de cette famille? Fermons la parenthèse.
C’est en juin 2006, à la veille du premier tour de l’élection présidentielle, que les Congolais en général et les Kinois en particulier ont découvert « Zoé ». C’était lors de la campagne électorale. « Joseph » affrontait Jean-Pierre Bemba Gombo.
Un homme violent. Le 19 octobre 2010, « Zoé » a défrayé la chronique. Et ce pour avoir ordonné à ses gardes de passer à tabac les agents de police de circulation Yandu et Mukoyo. C’était au rond-point Socimat. Les deux policiers ont commis le « crime-de-lèse-frère du Président » en ne donnant pas priorité au cortège de celui-ci.
« L’homme d’affaires ». Arrivé au Congo-Zaïre en 1997 lors de la prise du pouvoir par l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo), « Zoé » n’avait pas un sou. Aujourd’hui, il est devenu immensément riche. Sa « promotion sociale » coïncide avec l’accession de son frère aîné à la tête de l’Etat. C’était le 26 janvier 2001. Mzee Kabila est décédé dix jours auparavant.
« Zoé » devient, coup sur coup, propriétaire dans la capitale, d’un restaurant VIP (« O’café ») et d’un centre de fitness (Shark Club). Il a construit à Moanda, province du Kongo Central, un luxueux complexe hôtelier au bord de l’Océan atlantique. L’appétit venant en mangeant, l’homme s’est octroyé le monopole des imprimés de valeurs de l’Etat (passeports, timbres fiscaux, permis de conduire etc.). Sans omettre les plaques d’immatriculation et divers formulaires destinés à la DGI (Impôt), DGDA (Douanes) et DGRAD (Recettes administratives et domaniales). Selon des sources, les autocars qui transportent les voyageurs au bas de la passerelle d’embarquement à l’aéroport de N’djili appartiendraient à « Zoé ».
Ivre de son influence, « Zoé » qui porte le postnom de Mwanzambala fait déguerpir Dominique Sakombi-Inongo de son domicile à Ma Campagne. A l’époque, l’ordre d’expulsion (réquisition) fut signé par Kisula Betika, alors procureur de la République près le Tribunal de grande instance de la Gombe. C’était en janvier 2010. Un nouveau certificat d’enregistrement fut délivré au profit du sieur Elie Lungumbu, ancien agent de l’ANR, qui n’était qu’un prête-nom pour « Zoé ».
Député national. Les membres de la fratrie « Kabila » se font passer pour des originaires du Katanga en référence à leur père « putatif » Laurent-Désiré Kabila. Lors des élections législatives du 28 novembre 2011, « Zoé » est « élu » député à Kalemie, chef-lieu de ce qui était encore le District du Tanganyika. Et pourtant, l’homme n’a ni résidence ni domicile dans cette partie du pays où il n’y a jamais passé une seule nuit. Le nouvel « élu du peuple » se rend très rarement à l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Rares sont les Congolais qui se souviennent d’une de ses interventions au Palais du peuple.
L’interview à J.A. Depuis l’accession de « Joseph » à la tête de l’Etat congolais, les membres de la fratrie « Kabila » se comportent comme si l’ex-Zaïre était un « héritage » voire une « prise de guerre ». Dès 2013, le successeur de Mzee ne faisait plus mystère de sa volonté de demeurer au pouvoir au-delà de l’expiration de son second mandat le 19 décembre 2016. Trois mois avant cette date soit au mois de septembre, « Zoé » qui n’a jamais maîtrisé la langue française décide d’accorder une interview à l’hebdomadaire parisien « Jeune Afrique ». Parlant sans doute, par procuration, il lance ces quelques mots: « Joseph Kabila n’a nullement l’intention de s’éterniser à son poste, mais nous se sommes pas prêts à abandonner le pouvoir à n’importe qui ». Tout un programme.
« Joseph Kabila » investit au Tanganyika. Dès le mois de janvier 2016, le « futur ex-Président » décide de réaliser des grands travaux à Kalemie. La piste d’atterrissage de l’aéroport passe de 1.700 à 2.500 mètres. Coût: 18 millions $. Une firme française a installé des balises pour les vols nocturnes. Un stade omnisport est érigé au Quartier Kichanga. Montant: 10 millions $. Un pont est jeté sur la rivière Lukunga. Pourquoi cet intérêt subit? Cette région est séparée de la Tanzanie par le lac Tanganyika. Selon des sources, le sous-sol de cette entité serait riche en minerais dont le fameux lithium. Il y aurait, par ailleurs, des « traces » des hydrocarbures sous le lac. La construction d’un bateau de 3.500 tonnes est financée. D’où provient tout cet argent? Mystère! Blanchiment? Selon un rapport de l’IGF (Inspection générale des finances), une somme de 42 millions de $ ont été affectée dans le Tanganyika. Elle provenait de la taxe « Go pass » perçue par la Régie des Voies aériennes (RVA).
Au cours de cette même année 2016, « Joseph Kabila » a fait acheminer plusieurs chars dans le Tanganyika. Nul ne sait la destination donnée à cet arsenal parti de Kinshasa via le port d’Ilebo et Lubumbashi. Destination finale: Kalemie. Le 30 décembre 2018, les Congolais sont allés aux urnes pour choisir leur nouveau Président et les membres du Parlement. En février 2019, c’est l’élection de gouverneur des provinces.
Zoé « élu » gouverneur. En avril 2019, « Zoé » prend ses fonctions de gouverneur de la toute nouvelle province de Tanganyika issue du démembrement de l’ex-Katanga. Lors du vote, Jaynet « Kabila » fait partie des « observateurs ». Tiens! Tiens! Il en est de même de Théodore Mugalu, ancien chef de la maison civile de « Joseph Kabila ». Dans une sorte de bravade, « Zoé » va recevoir à déjeuner, en mars 2020, plusieurs centaines d’anciens combattants du M23 « en formation » à la Base de Kamina. Que sont devenus ces hommes à la loyauté flottante?
On le voit, les membres de la fratrie « Kabila » n’ont jamais voulu s’intégrer dans la société congolaise. Pourquoi? Cette famille mystérieuse pourrait constituer à terme un danger pour la paix et l’intégrité du territoire national. Ses membres donnent l’impression d’être « en mission ». Laquelle? Une certitude: la destitution de « Zoé » est intervenue dans la même ambiance qui a prévalu lors de son « élection ». Une ambiance empreinte de ruse et d’arbitraire.
Baudouin Amba Wetshi