Une « guerre larvée » se déroule actuellement dans la localité de Minembwe située entre Mwenga, Fizi et Uvira dans la province du Sud-Kivu. Les populations autochtones (Bafuliiro, Bembe, Vira) reprochent à des émigrés Banyarwanda dits « banyamulenge » de vouloir s’accaparer de leur terre. « Likambo ya mabele », disent les Kinois. Selon des sources, les Banyarwanda dont question seraient épaulés par des soldats de l’armée régulière rwandaise (RDF) et ceux des FARDC.
Mercredi 5 février, l’auteur de ces lignes reçoit un appel téléphonique. Qui est au bout du fil? Le correspondant préfère garder l’anonymat. L’homme dit se trouver aux environs d’Uvira à la frontière entre le Congo-Kinshasa et le Burundi. « Il y a en ce moment une guerre de conquête territoriale à Minembwe. Cette guerre est menée par ceux qui se font appeler Banyamulenge, dit-il. Le Rwanda de Paul Kagamé profite de la naïveté des dirigeants congolais pour tenter d’occuper cette partie du territoire national. Si Minembwe tombait, nous allons perdre l’Est du pays. Zoé Kabila a déjà commencé à faciliter l’infiltration des Banyarwanda à Kalemie ».
Selon notre interlocuteur, il y a d’un côté des « envahisseurs » représentés par quatre groupes armés rwandais et burundais. Il cite: Gomino, Tumanireo, Red Tabara et Forebu. « Les membres de ces quatre groupes appartiennent à l’ethnie tutsie. Des individus portant des tenues des Forces armées congolaises ont été aperçues avec ces combattants ».
A en croire ce « correspondant », des officiers des FARDC appuieraient ces bandes armées. Il semble que les autorités burundaises seraient en alerte. « Le gouvernement burundais a compris que des troupes tutsies rwando-burundais chercheraient à s’emparer de Minembwe pour s’en servir comme base arrière d’une prochaine offensive contre le Burundi ».
CINQUIÈME COLONNE
Face à ces « agresseurs », il y a des populations autochtones bafuliiro, bembe, vira qui se seraient constitués en « combattants-résistants » maï maï à la tête desquelles trônerait l’insaisissable « général » Yakutumba. « L’armée congolaise est noyauté par des Rwandais. L’intégration des ex-combattants du Cndp et du M23 en son sein a permis au Rwanda de Kagame d’y infiltrer une sorte de cinquième colonne ». L’homme ne s’arrête pas là. « Les FARDC se sont ligués avec les soldats rwandais pour combattre nos combattants-résistants ».
Au mois de septembre 2019, notre journal avait recueilli les propos de notre confrère Cyprien Wetchi. Celui-ci venait de réaliser une enquête sur le terrain. « Un problème de cohabitation oppose les Tutsi banyamulenge et les populations autochtones », résumait-il.
Selon lui, les autochtones disent avoir accueilli des émigrés Banyarwanda en 1959 au lendemain de la « révolution hutue ». Ceux-ci entendent ériger Minembwe en un « espace territorial bien à eux ». Ils auraient désigné des « chefs coutumiers » qui sollicitent leur reconnaissance auprès du ministère de l’Intérieur. Le problème? « Ces chefs coutumiers n’ont aucune assise sociale avec le territoire convoité », souligne Cyprien.
On le sait, au Congo-Kinshasa, chaque groupe ethnique est localisé dans un espace territorial bien déterminé. La « communauté banyamulenge », elle, n’a jamais existé que dans l’imagination de ses promoteurs.
Lorsqu’on tape le patronyme « Issac Gisaro Muhoza » sur le moteur de recherche de Google, la réponse tombe aussitôt: « Il a été le tout premier Munyamulenge ayant émergé dans l’Administration de la politique au Zaïre ». Gisaro fut élu « commissaire du peuple » (député national) lors des élections législatives de 1977 pour la Zone (commune) d’Uvira. Il serait le « concepteur » du « label » « Banyamulenge ». L’objectif était de faire une nette distinction entre les Tutsis Banyarwanda et les « Tutsis zaïrois ».
RECONQUÉRIR LA NATIONALITÉ, ARMES À LA MAIN
Le vocable « Banyamulenge » a été popularisé à partir d’octobre 1996 au lendemain du déclenchement de la guerre dite de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo) ou « guerre des Banyamulenge ». Ceux-ci prétendaient avoir pris les armes pour « reconquérir leur nationalité zaïroise ». Un acte de félonie.
Depuis Kigali, un certain Muller Ruhimbika publiait, à l’époque, des communiqués au nom de la « communauté banyamulenge » pourtant introuvable parmi les ethnies et tribus répertoriées depuis l’époque coloniale. « Il existe une seule nationalité congolaise. Elle est attribuée, à la date du 30 juin 1960, à toute personne dont un des ascendants est ou a été membre d’une ethnie ou d’une de tribu, établie sur le territoire du Congo avant le 18 octobre 1908 », stipule l’article 9 de la toute première Constitution de la République démocratique du Congo promulguée le 1er août 1964.
En 1971, le président Mobutu Sese Seko avait, par ordonnance-loi datée du 26 mars, accordé la nationalité congolaise de manière collective aux « personnes originaires du Rwanda-Urundi établies au Congo à la date du 30 juin 1960 ». Ce texte controversé et impopulaire fut abrogé en 1981 par la restauration de l’acquisition de la nationalité congolaise par demande individuelle.
MANQUE DE LOYAUTÉ
L’arrivée au pouvoir du Front patriotique rwandais, à Kigali, en juillet 1994 n’a pas peu contribué à une détérioration durable des relations entre les peuples congolais et rwandais. Des ex-Zaïrois ont été atterrés de reconnaître des anciens camarades avec lesquels ils avaient grandi parmi les cadres et combattants de l’AFDL. « Les autochtones [de Minembwe] reprochent aux Banyamulenge d’avoir pris les armes en 1996 contre leur pays d’accueil », conclut Wetchi. Ce précédent incline à s’interroger si les Banyarwanda dits « Banyamulenge » ne se tromperaient pas d’époque.
Au moment où des personnalités congolaises de premier plan (le cardinal Fridolin Ambongo, l’ancien premier ministre Adolphe Muzito) ne cessent de dénoncer, à tort ou à raison, la « balkanisation » du territoire national qui serait en préparation dans certains pays voisins, une bonne frange de l’opinion congolaise a les yeux braqués sur l’actuel ministre en charge de la Décentralisation et affaires coutumières, Azarias Ruberwa. Celui-ci n’a jamais fait mystère de son manque de loyauté à l’égard de l’Etat congolais. L’homme aime se présenter en « défenseur » non pas de l’intérêt général mais de ceux des « Banyamulenge » qui sont en réalité des anciens émigrés Banyarwanda. Il en est de même de son compère, le député national Moïse Nyarugabo. « Les Congolais ont toujours été hospitaliers. Et tout ce qu’ils demandent aux Banyamulenge se résume au respect des lois congolaises et la non-intervention dans les affaires politiques », souligne notre correspondant.
Chacun a le droit d’aimer ou de ne pas aimer Honoré Ngbanda Nzambo ko Atumba, ancien conseiller spécial du président Mobutu Sese Seko en matière de Sécurité et leader de l’Apareco (Alliance des patriotes pour la refondation du Congo). L’ancien officier de renseignement ne laisse personne indifférent. Dans une récente vidéo, il invite les Congolais en ces termes: « Levons-nous contre la balkanisation ». Notre « correspondant particulier » va plus loin: « Lors de son passage le 19 janvier à Londres, Felix Tshisekedi a dit n’importe quoi devant la diaspora en prétendant que les Banyamulenge étaient des Congolais. C’est un dossier qu’il ne maîtrise pas. Nous devons cesser d’être naïfs ».
Baudouin Amba Wetshi