BILAN DE LA SESSION
Le 10 décembre dernier, Félix Tshisekedi, président de la République, a terminé son discours sur l’état de la nation avec des éloges aux députés nationaux congolais sur leur « production législative remarquable ». Vraiment ?
« J’ai parlé de tout et de tout le monde sauf de vous [députés]. Je vous félicite pour votre production législative remarquable, ayant permis de doter notre pays, au courant de l’année qui s’achève, des cadres normatifs essentiels à la marche de la nation […] « , déclare, le samedi 10 décembre 2022, Félix Tshisekedi devant les Parlementaires réunis en congrès pour suivre le discours du chef de l’État sur l’état de la nation. Une reconnaissance qui contraste avec des images des députés congolais endormis dans l’hémicycle qui circulent souvent sur les médias sociaux. D’ailleurs, quelques mois plus tôt, ce sont des salaires estimés à plus de 20.000 dollars des élus nationaux qui avaient suscité l’indignation. Talatala a par ailleurs révélé que près de 200 députés ne participaient jamais au vote de prorogation de l’état de siège.
Et si on s’interrogeait vraiment sur ce travail « remarquable » des députés congolais pouvant justifier le fait qu’ils soient grassement payés ou mieux traités. Talatala lève le voile sur la production législative de la session ordinaire septembre 2022.
Une session essentiellement budgétaire mais un budget voté hors délai
Comme toujours, le calendrier des travaux de la session, essentiellement budgétaire, s’annonçait très ambitieux: 50 arriérés législatifs et 14 nouvelles matières. À temps, dès l’ouverture de la session, le gouvernement Sama Lukonde dépose le projet de loi des finances pour l’exercice 2023. Christophe Mboso, président de l’Assemblée nationale, confirme, dans la foulée, que la « priorité sera accordée à l’examen et au vote » de ce projet de budget. Mais les choses ne se passent pas comme annoncé. La procédure législative prend du retard.
Le début de l’examen du projet de loi de finances commence en effet le 28 octobre, soit 44 jours après la date de son dépôt. Pourtant, selon la loi relative aux finances publiques, l’Assemblée nationale dispose de 40 jours pour adopter ce projet de loi, à compter de la date de son dépôt. Normalement, le projet de budget devrait donc être voté au plus tard le 24 octobre 2022. Son adoption n’est finalement intervenue que le 15 décembre, soit 52 jours après le délai légal.
Un autre facteur du retard: la loi portant reddition des comptes de la loi des finances de l’exercice 2021. L’examen du projet de loi de finances de l’année lui est subordonné. À la chambre basse du Parlement, son examen n’a commencé que le 18 octobre pour se terminer le 22 novembre 2022.
Tableau récapitulatif des procédures législatives pour les exercices budgétaires 2020-2023
Exercice budgétaire | Date de dépôt du projet de budget | Début de l’examen | Date de recevabilité | Date d’adoption | Retard cumulé |
2023 | 15 septembre 2022 | 28 octobre 2022 | 1 novembre 2022 | 15 décembre 2022 (une nouvelle fois) | 52 jours |
2022 | 15 septembre 2021 | 15 novembre 2021 | 18 novembre 2021 | 17 décembre 2021 (une nouvelle fois) | 54 jours |
2021 | 30 octobre 2020 | 13 novembre 2020 | 14 novembre 2020 | 3 décembre 2020 | 0 |
2020 | 8 novembre 2019 | 19 novembre 2019 | 20 novembre 2019 | 15 décembre 2019 | 0 |
Comme l’indique ce tableau, pour les deux derniers exercices budgétaires (2022 et 2023), l’Assemblée nationale n’a jamais pu adopter le projet de loi des finances dans le délai. Et entre 2020 et 2021, le gouvernement Ilunkamba, lui, a toujours déposé avec un grand retard le projet des lois de finances, en violation des textes légaux.
Quatre propositions de loi adoptées
À la fin de cette session, les députés n’ont adopté que quatre propositions de loi sur les 42 enregistrées dans le calendrier, soit 9,5 %. Il s’agit de la proposition de loi sur l’aviation civile, celle portant régime pénitentiaire en RDC, celle modifiant et complétant la loi fixant les principes fondamentaux relatifs à l’organisation de la santé publique et celle relative à la protection et à la responsabilité des défenseurs des droits de l’homme en RDC.
Comme lors de précédentes sessions, depuis 2020, le taux des propositions de loi adoptées par session ne dépasse jamais la barre de 11% des initiatives législatives des députés enregistrées dans le calendrier de la session.
Comme le démontre le graphique ci-haut, les initiatives législatives des députés sont le parent pauvre du travail parlementaire. Même si sept nouvelles propositions de lois ont été déposées ainsi qu’une pétition avant la clôture de la session. Elles concernent la santé, le secteur minier et les droits humains.
La part belle au gouvernement
Depuis la mise en place de Talatala, l’adoption des projets de loi, initiative du gouvernement, bat souvent le record. À la fin de la session de septembre 2022, au total, les députés ont adopté 44 textes législatifs dont 40 projets de loi et seulement quatre propositions de loi.
Ces initiatives du gouvernement sont, pour la plupart, des projets de loi de ratification des accords de prêt ou de coopération ainsi que les prorogations successives de l’état de siège sur une partie du territoire national.
Au cours de cette session, l’Assemblée nationale a également adopté le projet de loi fixant les principes fondamentaux relatifs à la protection et à la réparation des victimes des violences sexuelles liées aux conflits et des victimes des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. Cette initiative législative a été portée par Albert Fabrice Puela, ministre des Droits humains, avec une implication remarquée de Denise Nyakeru, première dame de la RDC.
Notons enfin que certains de ces projets de loi ont été adoptés en mode « urgence ». C’est le cas notamment du projet de loi autorisant la ratification de l’accord commercial entre le gouvernement de la RDC et le gouvernement du Burundi.
Quid des travaux en commission?
En ce qui concerne le travail parlementaire à l’Assemblée nationale, les séances publiques – dans l’hémicycle et documenté sur Talatala– ne représentent que la partie émergée de l’iceberg, selon certains députés consultés. Dans les coulisses du Palais du peuple se tiennent les différents travaux en commission. Ces derniers jouent un rôle fondamental et important dans l’élaboration des lois. C’est par exemple lors des travaux en commission que l’ensemble des amendements à des différents textes soumis en plénière est d’abord examiné.
Lors de son discours de clôture de la session, Christophe Mboso a d’ailleurs rappelé les auditions des membres du gouvernements et des gestionnaires des entreprises et établissements publics à l’occasion, notamment, du vote de la loi des finances et de l’évaluation de l’état de siège. Leurs rapports des travaux en commission seront attendus lors de la session de mars 2023, a déclaré Mboso lors de la clôture de la session de septembre 2022.
Et la sécurité?
Dans le calendrier de la session budgétaire, des matières concernant la sécurité ont été enregistrées, mais pas toujours traitées. Attendu et repris depuis 2020 dans le calendrier des sessions parlementaires, le projet de loi portant modalités d’application de l’état d’urgence et de siège n’a pas été déposé par le gouvernement.
Dans un contexte sécuritaire pourtant dominé par la résurgence de la rébellion du Mouvement du 23 mars(M23), l’Assemblée nationale n’a pas non plus examiné la proposition de loi portant organisation et fonctionnement des FARDC, initiée par Josué Jive Mufula. Encore moins la proposition de loi portant instauration d’un service militaire obligatoire d’un an en RDC, déposée par Daniel Mbau.
Sur le terrain, le ministère de l’Enseignement supérieur et universitaire envisage désormais d’organiser une formation militaire en faveur de tous les nouveaux étudiants à partir de l’année académique 2022-2023.
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Ange Makadi Ngoy
Photo: Félix Tshisekedi, président de la RDC lors de son discours sur l'état de la nation au Palais du peuple, le 10 décembre