L’improbable « coalition » Cach-Fcc survivra-t-elle à la crise – aux allures d’ « heure de vérité » voire de « lutte finale » – née suite à « l’éviction » de la Cour constitutionnelle suivie de la nomination à la Cour de cassation des juges Noël Kilomba et Jean Ubulu étiquetés pro-Kabila? Dans une lettre datée du 20 octobre 2020, adressée au Président de la République, la présidente du Bureau de l’Assemblée nationale, Jeanine Mabunda, et son collègue du Sénat, Alexis Thambwe, n’assisteront pas, mercredi 21 octobre, à la cérémonie de prestation de serment de nouveaux juges que l’on présente, à tort ou à raison, comme des « fatshistes ». A en croire certaines sources, le boycott de cette solennité ne ferait pas l’unanimité au sein de la « mouvance kabiliste ». Mardi soir, le Protocole d’Etat procédait à la « mise en place » à l’hémicycle du Palais du peuple.
Au moment d’entamer la rédaction de ce « papier », une nouvelle tombe: le Fcc/Pprd interdit à ses membres d’assister à cette manifestation. Il invite la « population » à « résister » à toute tentative de « passage en force » ce mercredi 21 octobre au Palais du peuple. Décryptage: il n’est pas exclu que les « Imbonerakure » du Fcc/Pprd, reconnaissables par leurs bérets rouges, s’invitent à la prestation de serment des juges nommés à la Cour constitutionnelle.
Lors de la réunion du Conseil des ministres qu’il avait présidé le vendredi 16 octobre, Felix Tshisekedi Tshilombo avait refilé la « patate chaude » au « Premier » Sylvestre Ilunga Ilunkamba. Celui-ci et le ministre chargé des Relations avec le Parlement, Déo Nkusu Bikawa, étaient chargés « de prendre toutes les dispositions » pour permettre au protocole d’Etat d’organiser « correctement » la cérémonie de prestation de serment des nouveaux juges devant remplacer Benoît Lwamba, Noël Kilomba, Jean Ubulu.
Habitué à afficher un air « faussement naïf », « Felix » savait que l’actuel chef du gouvernement ne bougera pas le petit doigt. Natif du Katanga – où « Joseph Kabila » serait, semble-il, « chez lui » -, cacique du Pprd, Ilunga doit son poste à la seule volonté de l’ex-Président de la République et « autorité morale » du Fcc. Le Front commun pour le Congo fonctionne à l’image d’une secte. Chaque membre doit faire allégeance à l’ex-raïs, qui fait office de « gourou ».
LA COUR DU ROI PETAUD
Dans une déclaration diffusée dans la presse kinoise, on apprenait, dès samedi 17, que Ferdinand Kambere, le secrétaire permanent adjoint du Pprd, aurait « instruit » le Premier ministre Ilunga de ne pas exécuter l’ordre présidentiel. Un comble! Traduction: les membres du gouvernement portant le label Fcc/Pprd ne sont pas au service de toute la nation. Ils sont avant tout au service des intérêts du « clan kabiliste ». On se croirait à la cour du Roi Pétaud.
Quid des préoccupations ayant guidé les législateurs de 2005? C’est le cas notamment de celles destinées à « assurer le fonctionnement harmonieux des institutions de l’Etat » et à « éviter les conflits ». Une chose parait sûre. La confiance est rompue entre l’Institution « Président de la République » et le Premier ministre en exercice. La collaboration entre les deux hommes ne tardera pas à devenir houleuse. On peut autant de l’avenir de la coalition Cach-Fcc. Et ce en dépit du fait que Felix Tshisekedi déclarait le 1 er octobre à Bruxelles son aversion d’une crise .
Par lettre n° 2087/10/2020 datée du 19 octobre, le « dircab » ad intérim Cashemir Eberande Kolongele, agissant au nom du Président de la République, a demandé aux présidents des deux chambres du Parlement d’organiser cette manifestation solennelle. « Nous sommes surpris d’être à nouveau saisis par la Présidence pour l’organisation de cette cérémonie alors que le dernier Conseil des ministres chargeait le Premier ministre et le ministre chargé des Relations avec Parlement », notent, en liminaire, Jeanine Mabunda et Alexis Thambwe. Le ton est résolument irrévérencieux.
Lors d’une audience leur accordée, mardi 13 octobre, par le président Felix Tshisekedi, les deux Présidents de ces organes délibérants avaient évoqué la question relative à cette « célébration ». L’entrevue s’est terminée en queue de poisson. « Nous avons débattu de façon tout à fait sincère avec le chef de l’Etat sur des questions concernant le bon fonctionnement de la Cour constitutionnelle », déclarait Thambwe à la sortie. Ajoutant qu’ils ont dit au premier magistrat du pays « leur attachement aux textes ». Mabunda d’enchaîner: « L’attachement aux textes reste le principe fondamental et sacré du Parlement ».
Juridiction pénale du chef de l’Etat et du Premier ministre, la Cour constitutionnelle connait l’interprétation de la Constitution et juge les contentieux électoraux. Fraudeur impénitent, « Kabila » tient à faire main basse tant sur la Ceni (Commission électorale nationale indépendante) que cette haute juridiction. C’est ça l’enjeu. Des pro-« Kabila » suspectent « Felix » de vouloir faire de même.
« FAIT ACCOMPLI »
En parcourant la missive conjointe précitée signée par les deux présidents de chambres, on est surpris de n’y trouver aucune base juridique destinée à appuyer la position adoptée. Il n’y a que des considérations d’ordre général voire philosophiques: « Nous regrettons ce fait accompli qui ne cadre pas avec les principes essentiels de collaboration et de courtoisie institutionnelle ferments de notre système politique ». Et d’assener: « Nous ne saurons organiser cette cérémonie ni en être partie prenante ».
Mabunda et Thambwe concluent en soulignant leur « engagement » à rechercher « néanmoins » des « solutions idoines » conformément à la Constitution et aux lois « pour la sauvegarde des acquis démocratiques nés de l’alternance historique de 2019 ». Du bla-bla-bla.
Que dit la Constitution? L’article 158 de la Loi fondamentale stipule notamment que « la Cour constitutionnelle comprend neuf membres nommés par le Président de la République dont trois de sa propre initiative, trois désignés par le Conseil supérieur de la magistrature ». (…). « Le mandat des membres de la Cour constitutionnelle est de neuf ans non renouvelable ». « La Cour constitutionnelle est renouvelée par tiers tous les trois ans. Toutefois, lors de chaque renouvellement, il sera procédé au tirage au sort d’un membre par groupe ».
La loi organique n°13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle énonce ce qui suit en son article 10: « Avant d’entrer en fonction, les membres de la Cour sont présentés à la Nation, devant le Président de la République, l’Assemblée nationale, le Sénat et le Conseil supérieur de la magistrature représenté par son Bureau.(…)« . Autrement dit, la présence de Thambwe et Mabunda n’est nullement impérieuse.
QUAND « KABILA » VIOLAIT LA CONSTITUTION
Le 9 juillet 2014, « Joseph Kabila », alors chef de l’Etat, procédait à la nomination des 9 juges à la Cour constitutionnelle. A savoir: Felix Vunduawe te Pemako, Emmanuelle Luzolo Bambi Lessa, Georges Banyaku Luape, Jean-Louis Esambo, Benoit Lwamba Bindu, Corneille Wasenda Songo, Mpunga Sungu, Kalonda Kele et Noël Kilomba Landa. La prestation de serment a eu lieu en octobre 2016.
Après le décès du juge Kalonda, la nomination de Vunduawe en qualité de Premier Président du Conseil d’Etat et la « démission » des juges Banyaku et Esambo, « Kabila » nomma de nouveaux juges en mai 2018, soit sept mois avant les élections générales. Il s’agit de Norbert Nkulu Kilombo, un cacique du Pprd, Jean Ubulu Pungu (magistrat) et de François Bokona, député national étiqueté Pprd.
Des voix s’étaient élevées à l’époque pour dénoncer la violation non seulement des articles 158 et 159 de la Constitution mais aussi les articles 48 et 49 du règlement intérieur du Congrès. Et ce au motif qu’il n’y a pas eu « tirage au sort » pour le retrait de trois juges constitutionnels.
DÉBOULONNER LE SYSTEME KABILA
Depuis la nomination des juges constitutionnels Dieudonné Kaluba Dibwa, Kalume Yasengo et Kamulete Badibanga, en juillet dernier, le Fcc/Pprd n’a cessé de fustiger le « caractère anticonstitutionnel » desdites affectations. Certains glosent sur des « nominations tribalistes ». Les trois nouveaux juges remplacent Ubulu, Kilomba et Benoît Lwamba. Hormis ce dernier cas, « Kabila » et ses caudataires ne veulent rien savoir.
Flashback. En septembre 2016, alors qu’on se rapprochait de la date fatidique du 19 décembre marquant l’expiration du second mandat de « Kabila », Zoé, alias « monsieur frère », accorda un surprenant entretien au magazine « Jeune Afrique ». « Nous ne sommes pas prêts à céder le pouvoir à n’importe qui », déclarait-il sans doute par procuration. Pour la fratrie « Kabila », l’Etat congolais est assimilé à un « bien personnel ». Un butin.
Depuis son accession inattendue à la tête de l’Etat congolais en janvier 2001, « Joseph » semble considérer le Congo-Kinshasa comme un « butin de guerre ». La prétendue « guerre de libération ». On ne le dira jamais assez que la fratrie « Kabila » a une conception toute patrimoniale du pouvoir d’Etat. Pire, ébloui par la flagornerie, l’ex-raïs se prend pour un « homme providentiel ».
En séjour au Kivu le 11 octobre dernier, Fernand Kambere, l’adjoint d’Emmanuel Ramazani Shadary, a déclaré, sans rire, que « la population congolaise dans son ensemble souhaite le retour de Joseph Kabila aux affaires en 2023 ». Ces propos ont fait bondir un analyste kinois: « Après avoir mis le pays à genoux au plan socio-économique et sécuritaire, Kabila tente de revenir aux affaires pour ‘terminer le travail’. Déboulonner le système kabiliste, au propre comme au figuré, devient plus que jamais une urgence nationale ».
Baudouin Amba Wetshi