L’étrange arrestation, mardi 30 mai, du conseiller spécial de Moïse Katumbi continue à alimenter les conversations. Chacun y va de son commentaire. Pour des proches de Katumbi, « il n’y a pas d’affaire Salomon, c’est une cabale! ». Après les rumeurs déversées sur les réseaux sociaux durant près d’une semaine, l’Etat-major des renseignements militaires (ex-Demiap) a finalement décidé d’exercer le ministère de la parole. Lundi 5 juin, le conseiller juridique de cette autorité judiciaire, le lieutenant-colonel Patrick Kangoli Ngoli, a articulé, de manière officielle, trois griefs à l’encontre du bras droit de l’ex-gouverneur du Katanga. A savoir: incitation des militaires à commettre des actes contraires au devoir et à la discipline, détention illégale d’arme et des munitions de guerre et atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat. L’équipe de défense du prévenu Kalonda dénonce une « flagrante violation de la procédure ». Ambiance!
Samedi 13 mai, la marche de l’Opposition n’a pas eu lieu. Le gouverneur de la ville de Kinshasa avait opposé son « veto » en invoquant « des raisons de sécurité ». Des voix se sont élevées contre cette décision. Et ce y compris dans les milieux proches du « pouvoir fatshiste ». Les plus cyniques espéraient, à travers cette démonstration, jauger le véritable poids de l’Opposition.
Gentiny Ngobila Mbaka a fini par s’incliner en proposant une nouvelle date: le jeudi 18 mai. Le jour de la célébration de l’Ascension. Un comble pour les chrétiens croyants et pratiquants que sont Katumbi et Fayulu. La réaction des initiateurs de la manif’ ne s’est pas fait attendre: « Nous ne nous soumettrons plus à aucun diktat ». Une nouvelle datée est arrêtée: Samedi 20 mai.
Samedi 20 mai, dans la matinée, les quatre leaders de l’Opposition (Martin Fayulu, Moïse Katumbi, Augustin Matata et Delly Sessanga) ont pris la tête de la « démonstration ». La suite est connue. Certains médias parlent de « manifestation violemment réprimée » par des policiers. Des observateurs crient à la « dérive dictatoriale ». Que dit la police? « Les manifestants voulaient changer d’itinéraire ». Au grand dam des forces de l’ordre.
Au cours de la marche, les téléspectateurs ont remarqué que Moïse Katumbi était encadré par quelques « gros bras » chargés d’assurer sa sécurité rapprochée. Selon le lieutenant-colonel Kangoli Ngoli, des membres des Forces armées de la RDC auraient été recrutés. Sans autorisation.
Les vidéos diffusées en boucle sur YouTube ont fait apparaitre ce qui ressemblait à un étui en cuir noir pour loger une arme. L’objet est accroché à la ceinture. La nouvelle a fait le tour de la capitale.
Selon des informations fragmentaires, les membres de la garde rapprochée de « Moïse » auraient été interpellés à l’issue de la marche. Après interrogatoire, ils seraient passés aux aveux en rejetant la responsabilité sur Salomon Kalonda. Arrêté le samedi 30 mai à l’aéroport de Ndjili, le conseiller de Katumbi est privé de sa liberté locomotrice depuis bientôt une semaine.
Que dit la loi? L’article 18 de la Constitution indique, dans son premier alinéa, que la personne arrêtée « doit être immédiatement informée des motifs de son arrestation et de toute accusation portée contre elle (…)« . L’alinéa 2 d’enchainer: « La personne gardée à vue a le droit d’entrer immédiatement en contact avec sa famille et avec son conseil ». Il semble que « Salomon » n’a vu personne. Il est gardé au secret durant les interrogatoires. Au cours d’un point de presse, samedi 3 juin, Moni Dela, le grand-frère de Salomon, a dit craindre le pire: « J’ai peur qu’on lui fasse du mal ».
Revenons à l’article 18 de la Constitution. L’alinéa 4 stipule en termes univoques que « la garde à vue ne peut excéder 48 heures. A l’expiration de ce délai, la personne doit être relâchée ou mise à la disposition de l’autorité judiciaire ».
Les mauvaises habitudes ont la peau dure. L’Agence nationale de renseignements (ANR) et l’ex-Demiap ont tendance à se croire au-dessus des lois. On l’a vu dans l’instruction des dossiers judiciaires encore pendants de François Beya (Conseiller spécial du chef de l’Etat en matière de sécurité), Jean-Marc Kabund (secrétaire général de l’UDPS) et Fortunat Biselele (Conseiller privé du chef de l’Etat). Les intéressés attendent toujours de passer devant leur juge.
Le conseiller juridique de l’ex-Demiap a souligné que les faits mis à la charge du prévenu Kalonda « sont sensibles ». Aussi les officiers de police judiciaires avaient pris langue avec le ministère public afin d’obtenir la « prorogation de la détention ». Le lieutenant-colonel s’est exulté en disant qu’ils ont « l’autorisation du ministère public (…), nous sommes en train d’y travailler pour que nous puissions le mettre [Kalonda] à sa disposition avec tous les éléments de preuve et qu’il soit directement devant son juge naturel ».
Quelle que soit la gravité des faits, les droits de la défense doivent être respectés. Sans omettre le droit au respect de la vie privée au sens le plus large. Cette dernière prérogative ne peut être portée atteinte que dans les cas prévus par la loi. A contrario, l’Etat de droit sera le grand perdant. Et ce à sept mois d’élection présidentielle et des législatives.
–
Baudouin Amba Wetshi