C’est le mercredi 19 août 2020 que le Premier ministre a fait le déplacement du Parc Agro Industriel de Bukanga Lonzo, dans la province du Kwango. Crise covid-19 oblige, Sylvestre Ilunga Ilunkamba se devait de comprendre les raisons de l’absence de cette unité de production dans l’économie du pays. Le patron de l’Exécutif national ne s’était pas empêché de crier au gaspillage devant le constat sur place: des épandeurs (machines destinées à survoler de terres agricoles) qui n’ont jamais volé, cloués au sol, des tracteurs neufs jamais utilisés et dont les moteurs ont été retirés et montés sur des baleinières privés, des tonnes d’engrais chimiques abandonnés,…
Pourtant le projet a englouti environ 100 millions de dollars américains, décaissés en procédure d’urgence. Mais le niveau de sape de l’investissement a poussé le Premier ministre à s’interroger sur les raisons de cette conduite. La réponse est venue du ministre du Développement rural pour qui il s’agit « tout simplement d’un manque d’amour pour son pays! ». Un véritable gaspillage sur fond, probablement, d’un détournement massif.
Le mal à la racine
En dépit de cela, renseigne le service de communication du Premier ministre, l’Exécutif national a disponibilisé des fonds pour la relance de ce projet. Pour Ilunga Ilunkamba, il est question d’assurer la résilience de l’économie nationale, malade de sa focalisation sur les seuls minerais. Les chiffres l’appuient: la République Démocratique du Congo, c’est près de 80 millions d’hectares de terres arables, et seulement 10% cultivés à ce jour, le chef du gouvernement s’est donc engagé à relancer totalement l’agriculture, conformément à son programme d’action. Soit.
Mais le pari de l’autosuffisance alimentaire passe-t-il absolument par la relance du projet Bukanga Lonzo? La question vaut son pesant d’or, en raison d’autres informations fiables consultées par notre rédaction. En effet, quand on sonde les archives cependant, on rencontre la vérité cachée pendant longtemps au plus grand nombre: les études de faisabilité menées en amont du projet ont établi que le sol de Bukanga Lonzo ne se prêtait pas à l’agriculture. Tout au plus à l’élevage, en raison du pâturage abondant sur ce sol sablonné. Pourquoi s’être entêté jusqu’à souscrire à l’option du recours aux engrais chimiques? Le mystère demeure.
Dans une déclaration aux allures d’une justification anticipative, le géniteur du projet, Augustin Matata Ponyo, alors Premier ministre, affirme dans sa revue Congo Challenge, que Bukanga Lonzo n’a pas tenu ses promesses en raison de la suspension du décaissement de son financement par le ministère des Finances depuis 2016. L’orateur ne sait pas justifier cependant l’absence de vitalité ne fût-ce que dans la proportion décaissée par son gouvernement. Mais aussi du partenaire sud-africain Africom Commodities qui aujourd’hui réclame la restitution de ses 20 millions de dollars Us versés au compte du projet.
Même formule… même résultat
Pour le Premier ministre Ilunga, le risque est fort grand de trébucher sur les peaux de banane placées (intentionnellement ou non) par son prédécesseur. Dans le schéma en place, Bukanga Lonzo a de fortes chances de ne pas répondre aux attentes légitimes des autorités politiques actuelles. Pour autant que des terres propices inondent le pays, ne ferait-on pas œuvre utile de délocaliser Bukanga Lonzo?
De mémoire de journaliste, je me rappelle que dans l’ancienne province du Kasaï-Oriental, les terres de Ngandajika sont propices à l’agriculture, du maïs notamment. Il en est de même des terres de la province de l’ancienne province de l’Equateur qui ont fait la preuve pendant la colonisation, et peu après. Le cas notamment des terres de Lisala et de Libenge. L’écueil majeur à la réussite du développement de l’agriculture, voire d’autres secteurs de la vie, a pour nom l’absence de volonté dans le chef des décideurs.
Dans le cas d’espèce, on déplore le choix de Bukanga Lonzo au détriment d’autres terres plus généreuses, alors que dans le même temps le gouvernement Matata Ponyo se signalait avec pompe dans la réhabilitation de bâtiments navigants de l’ex-Onatra. N’aurait-on pas mieux fait donc d’exploiter les terres de l’Equateur et réussir l’évacuation des produits par le gros bâtiment MB/Kokolo? Autant Bukanga Lonzo a englouti toute la fortune y affectée, autant le MB/Kokolo est revenu à quai après juste 3 voyages entre Kinshasa et Kisangani.
Nécessité d’innover
En dépit de ses justifications, l’ancien Premier ministre Matata Ponyo porte à son passif plusieurs projets dont la réalisation s’est soldée par un fiasco. Bukanga Lonzo et le MB/Kokolo sont deux éléphants blancs ayant coûté au Trésor public plus de 130 millions de dollars. Pour rien. Une forfaiture étonnamment justifiée aujourd’hui par ses auteurs, prenant appui sur des alibis qui ne tiennent pas la route. A cette liste s’ajoute le projet de « villages agricoles » à travers le pays, demeurés sans trace jusqu’aujourd’hui.
Etonnante est donc cette volonté du gouvernement Ilunkamba de renflouer encore les caisses de Bukanga Lonzo. A la lumière des études de faisabilité, ne ferait-on pas mieux de financer d’autres projets? En clair, le Premier ministre devait capitaliser ses chances en mettant en place un plan particulier qui vienne de son brain trust, au lieu de s’engouffrer dans des sentiers bâtis avec des objectifs non maîtrisés.
Ressources humaines
Il est fort possible que les projets du genre Bukanga Lonzo déployés dans des provinces se montreraient moins gourmands que le premier. Quitte à conjuguer cet effort avec la nécessaire réhabilitation des routes intérieures et celles de desserte agricole. Tout en faisant recours aux nombreux agronomes dont dispose le pays; on le sait nombre d’entre eux sont morts en raison de leur abandon par le régime de Laurent-Désiré Kabila. Toutefois, certains sont encore en vie et peuvent répondre avantageusement à l’appel de la patrie. Une éminence grise et des praticiens sortis de la prestigieuse faculté d’agronomie de Yangambi dans la province de la Tshopo.
Le Premier ministre Ilunga Ilunkamba aurait-il souscrit à un risque certain de rejoindre le registre des artisans des éléphants blancs? En logique élémentaire on retient que « les mauvaises prémices conduisent à une mauvaise conclusion ». Un Premier ministre averti… Alors.
Bondo Nsama – Journaliste