Je vous remercie, frère Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo, d’avoir lu et réagi à ce que vous qualifiez « ma communication politique ». Cela favorise les échanges indispensables dans la recherche des voies de sortie de la profonde crise dans laquelle notre pays est plongé.
En liminaire, je suis effectivement mumbala mais malheureusement, je n’ai jamais vécu au village car, mon père, fonctionnaire colonial à la FOREAMI, changeait tout le temps de lieux d’affectation. Bien qu’originaire du Kwilu et mumbala, je suis né dans le Kwango.
Avant de réagir à quelques aspects de votre interpellation, il est utile de cadrer le problème.
C’est lors de la Conférence Nationale que l’option avait été levée que dorénavant tout prétendant à la direction de notre pays, devait être issu des élections. Cela ne vient donc pas de Sun City.
Mon texte est une communication faite lors de l’atelier des Acteurs Politiques Catholiques qui s’est tenue du 17 au 19 novembre dernier. Et dont l’objet était de décider des options à prendre face aux enjeux politiques du moment. Il y avait naturellement d’autres communications. A ce jour les options ont été levées et nous en sommes à la phase opérationnelle. Engager un débat académique sur un document qui a servi de trame avec d’autres pour les options déjà levées, c’est faire marche en arrière.
Sun City est né de l’échec de la tentative de la balkanisation du pays face à la farouche résistance de notre peuple. Faute de balkaniser le pays, il fallait en empêcher l’émergence d’un Etat fort afin de faciliter le pillage de ses ressources. Conscient du caractère fondamentalement régicide pour notre pays, j’avais refusé de m’y rendre. Malgré les apparences donc, Sun City n’avait nullement comme finalité de placer le Congo sur la voie de la démocratie. Il faut avoir cela en tête.
Revenons-en au contenu de votre lettre ouverte.
Vous êtes d’accord avec moi qu’une fois de plus et malgré l’accord de Sun City qui avait identifié l’illégitimité des institutions et de leurs animateurs comme cause principale des crises récurrentes, nous sommes tombés dans les mêmes travers;
Vous êtes d’accord avec moi que le peuple congolais est orphelin d’un leadership éclairé;
Vous êtes d’accord avec moi que les malheurs de notre pays sont largement imputables à ces élites. Par contre là où je ne suis pas d’accord avec vous, c’est lorsqu’à la question de savoir pourquoi cet état des choses vous me faites dire: « Parce que c’est à l’élite politique que revient la responsabilité de formuler des projets suivant lesquels le pays devrait être organisé afin de la placer sur les rails de développement pour le bénéfice du plus grand nombre ». Et vous nuancez en ajoutant que les intellectuels aussi doivent y contribuer.
A cela j’affirme que la réponse n’est pas tout à fait celle-là. J’ai dit que les malheurs que vit notre population est largement imputable à ses élites. Et plus loin je poursuis en disant que toutes les catégories socio-professionnelles de ces élites sont concernées… mais celle dont l’impact est le plus délétère pour la société congolaise est sans conteste la faillite de l’élite politique…
Je suis d’accord avec vous que les intellectuels contribuent aussi à la formulation d’un projet de société. Mais la différence réside dans le fait que l’intellectuel fait pratiquement toujours des approches sectorielles dans son domaine de compétence et servent de matière première au politique. Il revient dès lors au politique d’intégrer les différents aspects sectoriels pour élaborer un projet politique cohérant.
Vous donnez l’impression de me faire des reproches lorsque je dis: « Quant aux élections futures, des Congolais plus sérieux est responsables peuvent les organiser ». Je ne pense tout de même pas que vous souhaitez qu’on les laisse organiser par des Congolais peu sérieux et irresponsables!
Vous poursuivez et je cite: « Du haut de votre constat accablant sur les élites congolaises, vous estimez que les enjeux du moment consistent à trouver et placer à la tête des institutions du pays des hommes et des femmes certes instruites mais surtout, de type nouveau capables de mettre leurs connaissances au service de l’intérêt public plutôt qu’à celui de leurs intérêts personnels et que c’est dans les îlots d’excellence qu’il faudra les recruter ». Vous me demandez si une telle approche est pertinente.
En guise de réponse, je vais vous donnez quelques exemples d’îlots d’excellence:
Comme vous le savez, le paludisme est l’une des maladies les plus meurtrières dans le monde et 95% des décès ont lieu en Afrique. Et en Afrique, notre pays et le Nigéria à eux deux accumulent 60% de charges de paludisme dans le monde. Dans notre pays, chaque heure 3 personnes meurent du paludisme dont 2 enfants. Dans la politique de l’OMS consistant à éradiquer le paludisme d’ici 2030, si ces deux pays ne font aucun effort, cette maladie ne sera jamais éradiquée. Or vous savez que ces dernières années, la prévalence du paludisme a tendance à baisser et cela est dû principalement aux efforts de notre pays. En effet en 15 ans et malgré les multiples difficultés, notre Programme National de Lutte contre le Paludisme, PNLP en sigle, a engrangé une baisse de 40% de la prévalence du paludisme et donc une baisse de mortalité de même ampleur dans notre pays. Et notre pays a été primé pour cet impressionnant effort. Je suis certain qu’à la fin de son Plan Stratégique de Lutte contre le Paludisme 2016-2020 en cours, la baisse sera encore importante. Voilà un exemple d’îlot d’excellence dont le pays peut s’inspirer pour relancer notre système de santé;
A MONKOLE des Congolais, assistés il est vrai de l’OPUS DEI, sont en train de construire progressivement un Centre hospitalier ultra moderne de standard international, avec une école d’infirmière d’un niveau tel que la plupart des finalistes sont recrutés pour aller travailles en Grande Bretagne. Ils ont construit aussi une école d’hôtellerie de standard international dans la perspective de la relance du tourisme. Aujourd’hui ce, ce sont surtout des ressortissants du Kenya, pays du tourisme, qui la fréquentent. C’est un îlot d’excellence;
A KIMWENZA les jésuites, comme embryon de leur future université, ont créé depuis de nombreuses années déjà un Institut Agrovétérinaire qui forme des ingénieurs techniciens agrovétérinaires de haut niveaux; utilisables dans la relance de l’agriculture dont vous savez sans doute, que notre pays dispose de 80 millions d’hectares de terre cultivables dont seules 3% sont exploitées; et il peut supporter la charge de 40 millions de têtes de bétail ruminants au lieu des quelques 6 millions actuels. Ce cas peut, non seulement servir d’exemple pour relancer l’enseignement supérieur mais aussi relancer l’agriculture.
C’est la population congolaise qui barrer la route à la balkanisation de notre pays. N’est-ce pas là un exemple d’excellence dans le patriotisme? Je pourrai multiplier de nombreux exemples de foyers d’excellence. Par conséquent, je peux vous répondre que mon approche est bel et bien pertinente.
Vous poursuivez plus loin: « L’Accord de Sun City n’a pas conçu un système politique qui permettrait à notre peuple de mettre au pouvoir des compatriotes sérieux et responsables. Nos dirigeants doivent désormais être élus ».
Même si je comprends ce que vous vouliez dire, en réalité vous me rejoignez. D’abord par nature, le peuple ne peut placer des compatriotes à la tête du pays que par des élections. Le répéter est une tautologie.
J’ai dit dans mon exposé que l’Accord de Sun City avait propulsé dans les institutions de l’Etat un attelage hétéroclite de néophytes dont les caractéristiques dominantes étaient: une ambition et une cupidité démesurées. Pour la plupart étaient sans expérience politique, souvent incompétents doublés d’un manque criant du sens de l’Etat. Plus loin je dis que Joseph Kabila est le prototype de ces néophytes. J’ai développé aussi que lui et bien de parlementaires n’avaient jamais été élus mais imposés de l’extérieur. Et c’est cela la cause fondamentale de la crise. En réalité ma façon de m’exprimer aurait pu vous faire croire que je fais la promotion d’élites à imposer au pays par leurs qualités supposées sans passer par les élections. Telle n’était pas ma pensée.
Plus loin vous dites: « Des grands hommes sont presque toujours des hommes méchants. Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. Le meilleur régime, c’est celui qui permet de ligoter l’autocrate qui sommeille en nous. Le tout est de savoir comment ligoter l’autocrate qui sommeille en chacun de nous une fois arrivés au pouvoir. L’essentiel n’est pas dans la violation des lois ou de la constitution mais dans l’impunité qui s’ensuit ».
J’ai notamment écrit que nos parlementaires actuels n’ont pas joué le rôle de contre poids que leur attribue la constitution. Ils n’ont, en effet, pas appliqué l’Art.166 qui leur confie la mission de mettre en accusation le Président de la République en cas de violation intentionnelle de la constitution etc. Il en est de même du système judiciaire qui ne joue pas son rôle.
Dans ce cas d’espèce, c’est parce que les parlementaires n’ont pas les qualités requises pour jouer ce rôle de contre poids. A partir d’un tel constat, ne pensez-vous pas qu’il serait plus que nécessaire de les remplacer par des hommes et des femmes de qualité supérieures? Mais comment les trouver? En imposant légalement un profil plus exigent et donc des critères plus rigoureux pour être candidat à la Présidence de la République et à la députation et surtout les appliquer…
Pour vous, les hommes sérieux et responsables n’existent que dans l’imaginaire et vous continuez m’adressant à moi: « puisque vous passez à côté de l’essentiel pour vous complaire dans des considérations allant jusqu’à lancer l’appel à Joseph Kabila de cesser de se cramponner au pouvoir et de compromettre, par cette attitude, la paix étant donné que la majorité du peuple congolais ne veut pas de lui. Et vous continuer en m’interpellant toujours en disant « auriez-vous besoin de vous expliquer que notre nation attend de ses élites maintenant que le rêve démocratique a tourné au cauchemar ».
Tous ceux qui prétendent que les gens sérieux et responsables n’existent pas chez nous, sont ceux qui donnent du grain à moudre à tous ceux qui disent que ce pays, n’ayant pas d’hommes capables, il faut le leur confisquer ou le balkaniser afin que des hommes plus responsables l’exploitent. Cette attitude est dangereuse. Au mois d’octobre 2016, je m’étais rendu au village après 31 ans pour y enterrer ma mère. J’y ai rencontré des hommes et des femmes sérieux et responsables. Autour de moi, j’ai des hommes et des femmes responsables. Peut-on, intellectuellement, affirmer que dans une population de plus de 85 millions d’habitants tout le monde est léger et irresponsables. Ceux qui tiennent ce discours, c’est en réalité en rapport avec leurs situations personnelles. En effet, la lutte de libération étant longue, difficile et donc exigeante, ramenée à leurs propres situations, ils réalisent qu’ils ne pourront jamais bénéficier des bienfaits d’une telle libération. Mais la lutte politique n’est pas facile. Elle est longue et comporte beaucoup de risques d’autant qu’en face, l’on a des adversaires visibles et invisibles qui ne se laissent pas faire.
Quant à l’appel lancer à Kabila pour qu’il cesse de se cramponner au pouvoir, ce n’est pas une démarche stérile puisque je continue: « … et de compromettre par cette attitude la paix car la majorité du peuple congolais ne veut pas de lui ». Et au 5è paragraphe de ma conclusion je dis et je cite: « d’eux-mêmes, la plupart ne s’y conformeront pas et le peuple a le devoir de les y contraindre ». N’est-ce pas clair cela?
De toutes les façons à ce stade je ne pouvais tout de même pas demander à Kabila de rester au pouvoir.
Contrairement à ce que vous pensez, le peuple congolais est déterminé à se débarrasser de Joseph Kabila. Beaucoup de gens y travaillent mais nous ne pouvons prédire quand surviendra la victoire.
Fraternelles et patriotiques considérations
Dr. Jean-Baptiste Sondji
Secrétaire général du Front des Patriotes Congolais/Parti du Travail