Le Dr. Sondji a réagi à notre lettre ouverte et nous sommes heureux qu’il ait situé sa réaction dans le cadre des « échanges indispensables dans la recherche des voies de sortie de la profonde crise dans laquelle notre pays est plongé ». Avant d’aborder la question essentielle, celle des voies et moyens de sortie des marais non certes depuis la crise actuelle mais depuis l’indépendance, nous aimerions souligner deux points. Le premier est que le Dr. Sondji nous prête des propos que nous n’avons pas tenus quand il insinue que nous faisons partie de « ceux qui prétendent que les gens sérieux et responsables n’existent pas chez nous » et qui de ce fait « donnent du grain à moudre à tous ceux qui disent que ce pays, n’ayant pas d’hommes capables, il faut le leur confisquer ou le balkaniser afin que des hommes plus responsables l’exploitent ». Notre propos ne concernait pas le Congo-Kinshasa mais tous les Etats au monde. Car, partout au monde, la garantie des peuples face à un système politique démocratique ne repose pas sur l’existence des hommes politiques « sérieux et responsables », ce qui constitue sa solution à la crise, mais sur l’existence des freins effectifs à l’exercice du pouvoir et des contrôles tout aussi effectifs. Nous allons illustrer plus loin pourquoi ces freins et contrôlent n’existent pas dans ce que certains s’entêtent à appeler jeune démocratie congolaise.
Le deuxième point est l’affirmation du Dr. Sondji selon laquelle « engager un débat académique sur un document qui a servi de trame avec d’autres pour les options déjà levées, c’est faire marche en arrière ». Le Dr. Sondji souligne lui-même que « c’est lors de la Conférence Nationale que l’option avait été levée que dorénavant, tout prétendant à la direction de notre pays, devait être issu des élections ». Nous ajouterions: des élections dans le cadre de la démocratie conflictuelle et partisane. Comme en Occident. Il se fait que bien avant la Conférence Nationale, c’est-à-dire dès le discours du Président Mobutu Sese Seko le 24 avril 1990, discours annonçant officiellement le deuxième processus de démocratisation de notre pays, nous avons toujours crié autour de nous, où que nous allions, que la démocratie ne serait pas au rendez-vous si jamais nous devrions suivre une telle voie. Mieux, nous avons mis à profit notre séjour en Occident pour faire des recherches sur ce thème et nous avons publié un livre afin de mieux nous faire entendre: « L’Ajustement politique africain. Pour une démocratie endogène au Congo-Kinshasa » (Paris, L’Harmattan, Montréal, L’Harmattan Inc., 1999, 284 pages). Aujourd’hui, près de trois décennies après le discours de Mobutu, force est de constater que l’option levée par la Conférence Nationale n’a pas fait avancer notre pays. De la démocratie octroyée par Mobutu aux élections démocratiques de 2006, en passant par la démocratie revendiquée suivant le principe gandhien de non-violence par la Conférence Nationale et celle conquise au bout du fusil par l’AFDL, tout n’a été qu’éternel recommencement. Un piège sans fin. Quant à notre prise de position dans le « débat académique » que nous avons ouvert, elle se confirme chaque jour davantage non seulement au Congo-Kinshasa, mais également à l’échelle continentale.
Revenons à l’essentiel. Pour le Dr. Sondji, si la démocratie n’est pas au rendez-vous, c’est parce que les « hommes et femmes sérieux et responsables » ou encore les « hommes et femmes de qualité supérieure » ne sont pas aux commandes de notre système politique dit démocratique. Et comme ceux-ci existent dans des « îlots d’excellence », il suffirait d’aller les chercher et de les placer aux commandes pour que la démocratie s’enracine dans le sol congolais. Ou alors, on devrait « imposer légalement un profil plus exigeant et donc des critères plus rigoureux pour être candidat à la présidence de la république et à la députation et surtout les appliquer ». Le Dr. Sondji cite trois « îlots d’excellence ». D’abord, le Programme National de Lutte contre le Paludisme, qui « en 15 ans et malgré les multiples difficultés a engrangé une baisse de 40% de la prévalence du paludisme ». Ensuite, l’école d’infirmières, l’école d’hôtellerie et le Centre hospitalier de Monkole, autant des réalisations « de standard international » construites et animées par des Congolais, avec le soutien de l’Opus Dei. En dépit de notre longue absence à Kinshasa depuis 1991, nous en savons quelque chose pour avoir soigné l’ainé de notre famille d’un cancer à Monkole! Ce dernier se porte bien, plusieurs années après, tout en continuant à vivre au village. Enfin, l’Institut Agrovétérinaire « qui forme des ingénieurs techniciens agrovétérinaires de haut niveau » dans ce qui semble être un embryon de la future université des Jésuites à Kimwenza. Ancien élève des Jésuites, nous en savons également quelque chose. Par ailleurs, notre résidence à Kinshasa se trouve dans le même quartier et nos trois publications sont accessibles dans la grande bibliothèque de cette future université.
Le diagnostic et la solution du Dr. Sondji appellent deux remarques. Primo, même si les candidats aux candidatures de la députation et de la présidence de la république étaient soumis à des critères plus rigoureux qu’actuellement, rien ne garantirait que les élus sortent des « ilots d’excellence ». Car, plusieurs critères entrent en considération dans le choix de l’électeur quand celui-ci se retrouve seul dans l’isoloir. Secundo, le fait d’exceller dans un domaine professionnel ou de connaissance bien déterminé ne signifie nullement qu’on va forcément faire de même en politique. L’Afrique compte « des hommes et femmes de qualité supérieure » dans des domaines diverses et qui n’ont pas fait de différence en matière de gouvernance une fois arrivés au pouvoir. Même une dictature aussi abrutissante que celle de Mobutu recrutait des « des hommes et femmes de qualité supérieure ». Nous en savons quelque chose pour l’avoir vécu nous-mêmes.
En effet, après avoir publié notre premier ouvrage, « Migration Sud/Nord: levier ou obstacle? Les Zaïrois en Belgique » (Bruxelles, Institut Africain CEDAF, Paris, L’Harmattan, 1995, 167 pages), nous étions approché par quelqu’un que nous ne connaissions ni d’Adam ni d’Eve alors que nous nous promenions un jour le long de l’Avenue Louise à Bruxelles, juste en face de l’Hôtel Conrad. Baudouin Amba Wetshi, puisque c’est de lui qu’il s’agit, était alors diplomate à l’Ambassade du Zaïre en Belgique. Il nous présentera à l’Ambassadeur Kimbulu Moyanso wa Lokwa que nous ne voyions qu’à la télé et qui sortait de l’hôtel. Apprenant que nous nous préparions à rentrer au pays, celui-ci nous fixa rendez-vous dans son bureau que nous découvrions pour la première fois. Quelques minutes avant d’être reçu le jour J, nous étions étonnés d’apprendre de Baudouin Amba Westhi que l’Ambassadeur voulait que nous rentrions au pays comme conseiller au cabinet du Ministre de la Coopération internationale Mozagba tandis que l’Ambassadeur itinérant Mokolo wa Mpombo, que nous ne connaissions pas non plus et qui séjournait à Bruxelles, souhaitait nous voir au cabinet du Ministre des Affaires étrangères Kamanda wa Kamanda. Juste pour avoir publié un livre qui était du reste très critique vis-à-vis de la politique du président Mobutu. Tout était prêt pour que nous rejoignions le cabinet du Ministre Mozagba. Mais c’était sans compter l’émergence d’une vague nommée AFDL. Des Congolais arrivés au pouvoir dans des conditions analogues sous l’administration Mobutu, Kabila père ou Kabila fils, cela existe. Mais pour quel impact sur la mauvaise gouvernance endémique du pays?
Le Dr. Sondji semble ne pas comprendre qu’il existe des disfonctionnements systématiques qui expliquent que la démocratie ne s’enracine pas dans nos pays. Nous nous arrêterons à un exemple dans le cadre de cette réaction à sa réaction. Quand des hommes et femmes politiques créent des partis en Occident tout en se positionnant comme libéraux, socialistes, républicains, démocrates, démocrates-chrétiens, socio-démocrates, communistes, travaillistes, écologistes, etc. par rapport aux conflits et aspirations majeurs qui traversent leurs sociétés, on trouvera toujours en Afrique des hommes et des femmes politiques pour leur répondre en écho tout en se bombant la poitrine d’être également libéraux, socialistes, républicains, démocrates, démocrates-chrétiens, socio-démocrates, communistes, travaillistes, écologistes, etc. sans se demander si cela signifie quelque chose par rapport aux conflits et aspirations majeurs qui secouent les Etats africains. Notons ici que le Dr. Sondji est Secrétaire général du Front des Patriotes Congolais/Parti du Travail. Mais que constate-t-on après que les Occidentaux et les Africains aient été aux élections et qu’aucun parti ne dispose de la majorité au parlement? Les Occidentaux engagent des négociations pour former une coalition gouvernementale. C’est-à-dire qu’ils s’accordent sur la politique à mener ensemble comme partenaires une fois qu’ils se retrouveront ainsi au pouvoir. Parfois, les négociations échouent et il n’y a pas de formation de gouvernement. Tel est le cas actuel de l’Allemagne où Angela Merkel n’arrive pas à se forger une majorité parlementaire après sa victoire aux élections fédérales du 24 septembre dernier. Tel fut une fois le cas en Belgique pendant plus d’une année. Pourtant, cela est impensable en Afrique où tout tourne « autour de l’idée de partage de postes, d’argent et des privilèges », comme le note si bien Baudouin Amba Wetshi dans son article « PPRD-AMP-MP: la fin d’une imposture ». Notons que c’était déjà le cas quand le parti du Dr. Sondji et son ami Maitre Kinkela qui avait rejoint le tout premier gouvernement AFDL.
Quand les idéologies ont pour source les conflits et aspirations majeurs qui traversent les Etats, les hommes et femmes politiques se regroupent ou sont mobilisés par rapport à leurs visions ou valeurs respectives. Mais quand elles sont suspendues en l’air comme les idéologies importées par les Africains, qui ne se soucient ainsi qu’à démontrer leur grande capacité à imiter aveuglement l’homme occidental, elles ne mobilisent personne, à commencer par les élites importatrices elles-mêmes. Cette différence a un impact énorme sur la gouvernance. Car, à travers les négociations gouvernementales, les parties en présence deviennent des partenaires. En l’absence de telles négociations, certaines parties deviennent tout simplement des clients qu’on peut faire valser comme on veut et quand on veut.
Pour conclure, nous admirons l’enthousiasme du Dr. Sondji quand il écrit: « Contrairement à ce que vous pensez, le peuple congolais est déterminé à se débarrasser de Joseph Kabila. Beaucoup de gens y travaillent mais nous ne pouvons prédire quand surviendra la victoire ». Certes, Joseph Kabila mérite mille et une fois d’être pendu haut et court. Mais lutter pour se débarrasser de lui ne signifie nullement combattre pour la démocratie. Notre peuple était déterminé à se débarrasser de Mobutu. Mais après la « victoire », la démocratie n’était pas au rendez-vous alors que le parti du Dr. Sondji était au gouvernement AFDL de l’obscur trafiquant d’or et idiot de service Laurent-Désiré Kabila. Notre peuple était également déterminé à se débarrasser de ce dernier. Mais une fois de plus, après la « victoire », la démocratie n’est toujours pas au rendez-vous. Il y a donc lieu de méditer sur le terme « victoire » quand nous disons vouloir construire la démocratie chez nous. La victoire, la vraie, n’aura jamais lieu tant que nous refuserons de nous pencher sur les dysfonctionnements systémiques pourtant évidents, consécutifs à notre imitation aveugle de ce qui se vit en Occident en matière de gouvernance.
Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo