Réaction à la lettre ouverte au Dr Denis Mukwege

La lettre ouverte au Dr Mukwege, lui demandant d’associer la lutte contre la corruption à son initiative contre l’impunité des violences a été publiée peu après la publication par Transparency International du classement annuel de 180 pays « en fonction de leur niveau perçu de corruption dans le secteur public ».

Dans ce classement, la RDC occupe la 170ieme place. Ce classement est basé sur la « perception » de la corruption établie par un ensemble d’institutions. Si l’on considère le niveau de ressources détournées au détriment de la population et la misère qui en résulte, la situation en RDC est pire que son classement ne l’indique. La corruption a parasité toutes les institutions y compris celles qui sont censées veiller au respect des lois: la justice et police ainsi que celle qui vote les lois et devrait surveiller l’exécutif: le parlement. Toutes font partie de ce que le chercheur Thierry Vircoulon (*) a appelé le « consensus de la corruption ». On ne peut dès lors rien attendre des parties prenantes à ce consensus et toutes les initiatives les visant: recommandations, propositions de réformes, renforcement de capacités etc. n’ont aucun effet. Il ne reste donc plus que la société civile qui pourrait troubler la quiétude de nos dirigeants.

Les auteurs de la lettre ouverte au Dr Mukwege pensent que la cause principale des violences et de la misère du peuple – sur laquelle une action est possible – est la corruption des dirigeants. Une conséquence étant que si l’on ne s’attaque pas à la cause le mal persistera.

Je pense qu’ils ont raison.

Le lien entre corruption et violence ne fait aucun doute. Les pays occidentaux l’ont bien compris et considèrent désormais la corruption dans les pays « en développement » comme un problème de sécurité nationale, soit parce que la corruption fait le lit du terrorisme international soit parce qu’elle provoque des mouvements de populations difficiles à gérer. Pour ceux qui en douteraient encore, et ils sont nombreux en RDC, rappelons que le 10 septembre 2018, le conseil de sécurité, organe chargé du maintien de la paix et de la sécurité internationales, examinait pour la première fois de son histoire la question intitulée « corruption et conflits ». La réunion s’est tenue en présence du fondateur d’ « Enough Project », M. John Prendergast qui a dit: « Ce qui est remarquable et regrettable c’est qu’il n’existe pas de nos jours de stratégie organisée pour lutter contre ‘le siphonage’ de l’argent opéré par les leaders des pays comme le Soudan du Sud, le Nigéria, la Somalie, le Soudan, la République centrafricaine ou encore en République démocratique du Congo (RDC) ».

La proposition de la lettre ouverte au Dr Mukwege, si elle était acceptée, pourrait constituer le point de départ d’une telle stratégie. Elle rencontrera probablement plusieurs difficultés. En premier lieu, le fait qu’en RDC, de nombreux intellectuels ne considèrent pas la corruption comme la première cause de la misère et de la disparition de l’Etat de droit. Ils pensent que cette situation est due principalement à des causes externes: le capitalisme, les multinationales, la Belgique, le Rwanda, la colonisation et même Léopold II. Ces causes étant hors contrôle on ne peut donc que se plaindre. Le deuxième obstacle est la conviction de certains que lutter de manière active contre la corruption consiste à « faire de la politique » et que dès lors le Dr Mukwege ne devrait pas intervenir dans une telle initiative. Cette position semble être également celle de l’église catholique. Or, sans la capacité de mobilisation du Dr.Mukwege à l’extérieur du pays et celle de l’église catholique à l’intérieur du pays, en vue d’une action commune, la société civile (organisations et personnes) ne représente aucun danger pour les corrompus.

Sans une initiative menée sous l’autorité morale (une vraie cette fois!) du Dr. Mukwege, les « partages du gâteau » se succéderont et la majorité de la population s’enfoncera davantage dans la misère.

Ceux qui pensent que s’occuper de la corruption c’est faire de la politique auront fait le jeu des corrompus.

En guise de conclusion je citerai Thierry Vircoulon (*) qui clôture son article comme suit: « Pour sortir de l’impasse actuelle, il faut savoir si le dépassement du consensus de corruption est possible (comme le dit l’Église catholique en dénonçant les ‘anti-valeurs’) ou si ce consensus constitue – quel que soit le dirigeant au pouvoir – l’horizon indépassable de l’histoire congolaise ».

Jurgen Zorn

(*)Thierry Vircoulon « La République démocratique du Congo: sortir du consensus de corruption » publié par The Conversation, le 25 février 2018.

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