La libération de Bemba fait toujours des vagues. Dans le camp Kabila, on redoute que le chef du MLC joue sur une « connexion » lusophone. Mais une chose est sûre: pour un vieux routier de la politique congolaise, « personne ne mourra pour Kabila ».
La libération provisoire par la Cour pénale internationale, le 12 juin dernier de l’ancien vice-président congolais et leader du Mouvement de libération du Congo (MLC), le sénateur Jean-Pierre Bemba Gombo, continue à faire des vagues. Dans le camp kabiliste, certains espèrent que l’ego surdimensionné prêté à Bemba, attise la division dans une opposition qui pourrait éprouver des difficultés à faire de la place à un MLC revigoré, malgré l’exode d’une partie des cadres du parti, par le retour de Bemba, orateur hors pair.
LA GARDE REPUBLICAINE MENDIE
En effet, le soutien dont ont bénéficié jusqu’à sa mort, en février 2017, Etienne Tshisekedi puis son fils, Félix, est partiellement un soutien par défaut. Une bonne proportion des Congolais qui, en 2011, ont choisi le bulletin en faveur de Tshisekedi ont voulu surtout exprimer un vote contre Kabila. Dès lors, dans le contexte d’une élection à un seul tour où tout le monde veut jouer les premiers rôles, un éventuel retour de Bemba peut brouiller les cartes. Car il y a toujours une possibilité que Kabila ou un candidat de son parti, disposant des ressources de l’Etat, remporte l’élection à la majorité relative. Pour autant que la cohésion règne sur le choix dudit candidat dans le camp présidentiel. Si c’est aujourd’hui un secret de polichinelle que le président de l’Assemblée nationale, Aubin Minaku ou l’ancien Premier ministre, Augustin Matata Ponyo se voient chacun en dauphin, selon un vieux routier du parlement, le président Kabila veut croire qu’il trouvera le moyen de se présenter à nouveau, et à défaut compte lancer sur orbite son frère cadet Zoé ou sa sœur jumelle, Jaynet, voire le juriste Evariste Boshab. Cette même source rappelle, que l’ancien gouverneur de la Banque centrale, Jean-Claude Masangu avait tenté en vain de confier le gouvernorat du Katanga au frère cadet du chef de l’Etat, en 2015.
Le problème, c’est qu’à Kinshasa, Kabila est moins populaire que jamais, y compris, au sein de son propre parti, où s’expriment parfois des relents xénophobes. En effet, jusque dans l’entourage d’André Kimbuta, le gouverneur de la capitale, on le désigne comme « le Rwandais ». Ce dernier, lui-même, se méfie de sa propre Garde républicaine. Le premier cercle de protection est composé de militaires tanzaniens. Les gardes s’estiment maltraités et quémandent aux visiteurs au Palais de la Nation des billets de mille francs congolais aux nombreux contrôles sur la route d’accès au chef, comme à l’époque du Mobutu finissant. « Personne ne mourra pour Kabila », conclut cette source.
ALEXIS THAMBWE DANS SES PETITS SOULIERS
Pour d’autres sources, le retour de Bemba aurait plutôt une incidence négative sur le camp Kabila. Ainsi, pour le ministre de la Justice, Alexis Thambwe, ancien du MLC et l’un des principaux témoins à charge contre Bemba devant la CPI, la libération du colosse est un coup dur. Selon le quotidien angolais « O Pais », dont l’actionnaire principal est l’ex-Président José Eduardo dos Santos, la libération de Bemba a conforté Kabila – déjà hésitant à participer au sommet régional de Luanda du 17 juin sur la RDC, où il devait être sur la sellette – dans sa décision de surseoir à cette comparution. En effet, Kinshasa serait inquiète de l’existence d’une prétendue « connexion lusophone ». Une thèse due au fait que l’épouse de Bemba, Lilia Teixeira est de nationalité portugaise et que le Portugal fut le premier pays à offrir l’asile à Bemba et à sa famille, contraints à un exil forcé, en avril 2007.
Il est peut-être exagéré d’évoquer cette connexion lusophone, dans la mesure où les relations entre le MLC et Luanda n’ont pas toujours été au beau fixe, malgré les liens tissés entre l’ancien secrétaire national du MLC, Olivier Kamitatu, et l’ancien ministre angolais des Affaires étrangères, João Bernardo de Miranda, lors des négociations de paix de Sun City (2002). A l’époque, Bemba était perçu par Luanda comme un héritier direct de Mobutu, du fait de l’amitié entre son père, Jeannot Bemba Saolona, et le défunt maréchal, qui avait soutenu l’UNITA jusqu’à sa chute. « Mais les choses changent », commente, souriant, Olivier Kamitatu, aujourd’hui porte-parole du mouvement de Moïse Katumbi, « Ensemble pour le changement ». En effet, les autorités angolaises sont agacées par le chantage du camp kabiliste consistant à agiter la menace d’un renvoi des combattants du Front de libération de l’enclave de Cabinda, repliés au Congo, si Luanda exerçait de trop fortes pressions pour que Kabila respecte sa constitution et ne se présente pas à l’élection.
En fait, Kabila ne peut plus compter que sur deux acteurs, les présidents du Burundi, Pierre Nkurunziza, et de Tanzanie, John Magufuli. Le second pourrait jouer un rôle utile, avec l’assentiment des autres pays, en offrant une porte de sortie, sinon un havre à Kabila, s’il accepte de quitter le pouvoir.
Par François Misser, in La Libre Afrique, 25.06.18