Lundi 24 juillet 2023
Depuis son accession à la magistrature suprême, le Chef de l’Etat congolais Félix Tshisekedi ne cesse de créer des structures gouvernementales et des agences rattachées à la Présidence de la République. Alors que le pays était en pleine crise sanitaire due à la pandémie du coronavirus, en mars 2020, Félix Tshisekedi avait créé par ordonnance présidentielle, trois agences rattachées à la Présidence: l’Agence de prévention et de lutte contre la corruption (APLC), le Conseil présidentiel d’éveil stratégique (CPVS) et l’Agence Congolaise de la transition écologique et développement durable.
Il va ensuite créer l’Agence pour le développement du numérique, l’Agence pour l’amélioration du Climat des Affaires. Et tout récemment, l’Office national de pêche et aquaculture (ONPA), la Caisse de solidarité nationale et gestion de catastrophe humanitaire, l’Autorité de contrôle et de régulation des marchés des substances minérales stratégiques, le Corridor de développement industriel (DGCDI).
D’aucuns s’interrogent sur la nécessité de la création de ces structures gouvernementales et agences directement rattachées à la Présidence alors que le pays est appelé à réduire le train de vie des institutions. Un chapelet de questions se pose. Ces agences et structures accentuent-elles le caractère budgétivore des institutions de la RDC ? Ces nouvelles agences ont-elles été budgétisées ? Sont-elles importantes pour le pays ?
Confusion des mandats
Pour Jacques Mukena, chercheur principal en gouvernance à Ebuteli, l’Institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence, l’existence de la panoplie d’agences reste très problématique pour plusieurs raisons.
« Premièrement, certaines de ces nouvelles agences ont des mandats mal définis et chevauchent les attributions d’institutions déjà existantes, tels que les ministères sectoriels. Par exemple, l’Agence pour l’amélioration du climat des affaires semble avoir vidé de sa substance l’Agence nationale pour la promotion des investissements (ANAPI). De même, l’Agence de contrôle et de lutte contre la corruption empiète sur les attributions de l’Inspection Générale des Finances (IGF), qui dépend également de la présidence de la République », estime Jacques Mukena.
D’ailleurs, les résultats du dernier sondage gouvernance de Ebuteli ont révélé que la plupart des Congolais sondés estiment que l’IGF accomplit un meilleur travail dans la lutte contre la corruption que l’APLC.
Jacques Mukena souligne aussi que ces agences ne sont pas soumises au même niveau de contrôle, de surveillance et de responsabilité que les autres ministères ou institutions et déplore une concentration excessive de pouvoir attribuée au Chef de l’État.
« Les ministères sectoriels, par exemple, sont soumis à un contrôle parlementaire, ce qui permet une plus grande transparence et reddition de comptes. En revanche, ces nouvelles agences sont directement rattachées à la présidence, ce qui crée une concentration excessive de pouvoir entre les mains du président. Cette situation peut donner l’impression d’un gouvernement parallèle et informel, car ces agences peuvent agir avec une certaine autonomie sans être pleinement redevables devant le parlement ou d’autres organes de contrôle indépendants », ajoute-t-il.
Dans la même optique, Florimond Muteba, PCA de l’Observatoire de la Dépense Publique (ODEP) juge confusionniste les mandats attribués à plusieurs agences nouvellement créées par rapport aux institutions étatiques existantes.
« Il y a des agences qui sont comme des doublures des autres structures étatiques. Par exemple, l’APLC qui fait presque le travail de la Cour des comptes et de l’IGF. Était-il nécessaire de créer une autre structure comme celle-là ? Vous avez la cellule de lutte contre les antivaleurs qui fait le travail du Ministère de la Justice. C’est du gaspillage inutile dans la caisse de l’Etat. Pour l’Office national de Pêche et aquaculture, c’est au ministère de la Pêche d’encadrer les pêcheurs, les PME de la Pêche à travers tous les pays. On n’a pas besoin d’une telle structure. Pour la transition écologique, c’est au ministère de l’Environnement de s’occuper de cette question », estime Florimond Muteba.
Accentuation du caractère budgétivore de l’État
Pour Jacques Mukena, le caractère budgétivore de la création de ces nouvelles agences est une préoccupation majeure car leur mise en place entraîne effectivement de nouveaux coûts, tels que l’embauche de personnel, les frais de fonctionnement, les salaires, etc. Ce qui représente un fardeau financier important pour le trésor public.
« Ces charges s’inscrivent dans les frais de fonctionnement de la présidence, ce qui nécessite l’allocation de ressources considérables pour financer leur fonctionnement. Il faut tout de même noter qu’il y a d’autres agences qui bénéficient des financements extérieurs tels que les organismes internationales ou bailleurs de fonds. Mais pour les autres, le gouvernement doit allouer des ressources considérables pour financer leur fonctionnement. Cela a pour conséquence le détournement de fonds d’autres secteurs prioritaires qui pourraient bénéficier davantage d’investissements », déplore-t-il.
Pour sa part, le PCA de l’ODEP estime que la majorité de nouvelles agences sont « inutilement budgétivore ».
Quid de la réduction du train de vie de l’État ?
Alors que le gouvernement demande à la population de faire des sacrifices pour faire face à des problèmes tels que la guerre dans l’Est du pays, il est paradoxal que certaines institutions, dont la présidence, n’adoptent pas une approche de rationalisation des dépenses.
Plusieurs rapports, dont ceux de l’ODEP (Observatoire de la Dépense Publique), mettent régulièrement en évidence les dépassements budgétaires des institutions, y compris de la présidence. Ce qui inquiète, le dépassement budgétaire étant une faute de gestion.
Le dernier sondage de l’institut Ebuteli a révélé que plus de 60 % de la population sondée estime que le gouvernement congolais n’est pas capable de baisser le train de vie des institutions.
Jordan Mayenikini