Il faut mettre fin aux restrictions sur les informations pendant le décompte des voix
(Kinshasa) – Les élections du 30 décembre 2018 en République démocratique du Congo ont été lourdement entachées d’irrégularités généralisées, de manœuvres visant à éliminer des électeurs et de violences. Les autorités électorales devraient s’assurer que les résultats qui seront annoncés pour les élections présidentielle, législatives et provinciales soient conformes à la réalité.
Plus d’un million de Congolais ont été empêchés de voter dans trois zones du pays dominées par l’opposition, où les scrutins ont été reportés au mois de mars 2019. D’autres électeurs ont été dans l’impossibilité de voter en raison de la fermeture à la dernière minute de plus de 1.000 bureaux de vote dans la capitale, Kinshasa, de problèmes concernant les machines à voter électronique et les listes électorales, et de l’ouverture tardive de nombreux bureaux de vote à travers le pays. Les personnes handicapées, âgées ou illettrées se sont heurtées à des difficultés particulières dans les bureaux de vote ou pour utiliser les machines à voter, qui étaient mises en place pour la première fois en RD Congo. Les observateurs se sont également vu refuser l’accès à de nombreux bureaux de vote et centres de dépouillement.
Des résultats officiels qui laisseraient supposer une falsification du décompte des votes pourraient déclencher des protestations généralisées et susciteraient de graves inquiétudes quant à la possibilité d’une violente répression de la part du gouvernement, a déclaré Human Rights Watch.
Le 31 décembre, le gouvernement a fermé les accès à l’internet et aux messageries texte dans tout le pays, comme il l’avait fait à plusieurs reprises au cours des quatre dernières années afin de restreindre la diffusion et la circulation d’informations indépendantes. Il a également coupé le signal de Radio France Internationale (RFI) à Kinshasa et dans d’autres villes, et retiré son accréditation à l’envoyée spéciale de RFI en RD Congo, qui a dû quitter le pays le 3 janvier.
« Les électeurs congolais ont démontré qu’ils étaient déterminés à participer au processus démocratique en dépit des nombreux obstacles rencontrés le jour de l’élection », a déclaré Ida Sawyer, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les autorités devraient immédiatement rétablir toutes les communications, autoriser les médias indépendants à faire leur travail librement et s’assurer que les opérations de dépouillement soient effectuées de manière crédible et transparente ».
Les autorités congolaises avaient retardé la tenue de ces élections à plusieurs reprises depuis plus de deux ans, permettant au président Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir au-delà de la limite de deux mandats consécutifs que lui imposait la constitution, limite qui avait été atteinte le 19 décembre 2016. Des résultats préliminaires doivent être annoncés d’ici au 6 janvier, quoique le président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) ait indiqué qu’elle pourrait ne pas respecter ce calendrier. Les résultats officiels sont attendus d’ici au 15 janvier et le nouveau président doit prêter serment le 18 janvier.
Les constatations faites par Human Rights Watch sont basées sur des incidents documentés par plus de 40 activistes congolais des droits humains déployés dans toute la RD Congo pendant la campagne électorale et le jour du scrutin, et vérifiés par des équipes de Human Rights Watch dans le pays, ainsi que sur des compte-rendus d’observateurs de l’Église catholique romaine, de journalistes et d’autres personnes.
Les forces de sécurité de l’État, des groupes armés et des milices dans la province du Nord-Kivu, dans l’est de la RD Congo, ont intimidé des électeurs pour les forcer à voter pour des candidats spécifiques, en particulier pour le candidat de la coalition au pouvoir pour la présidentielle, Emmanuel Shadary, et pour les candidats de cette coalition aux législatives. Au Maniema, la police a chassé des électeurs des bureaux de vote, dans certains cas après qu’ils eurent protesté contre le fait qu’ils ne trouvaient pas leur nom sur les listes électorales. Un responsable gouvernemental de haut rang à Kalima a empêché des partisans de l’opposition d’entrer dans un bureau de vote.
De violents affrontements entre électeurs, responsables électoraux et membres des forces de sécurité se sont produits à travers le pays, souvent au sujet d’allégations de fraude. À Walungu, dans la province orientale du Sud-Kivu, un agent de police a tué un homme en tirant sur des électeurs qui accusaient avec colère un technicien de la CENI de manipuler le scrutin en faveur de Shadary. Les électeurs se sont alors emparés de l’arme du policier et l’ont abattu, puis ont battu à mort le technicien.
L’Église catholique, qui disposait de plus de 40.000 observateurs de l’élection à travers le pays, et la mission indépendante d’observation congolaise connue sous le nom de SYMOCEL ont constaté des irrégularités généralisées le jour du scrutin, y compris l’installation de bureaux de vote dans des lieux prohibés comme des postes de police ou des quartiers généraux de partis politiques, ainsi que des limitations d’accès et des expulsions d’observateurs. La SYMOCEL a affirmé que 27% des bureaux de vote qu’elle avait observés avaient ouvert avec retard, 18% avaient rencontré des problèmes avec les machines de vote, 17% avaient autorisé à voter des personnes dépourvues de carte d’électeur ou dont les noms ne figuraient pas sur les listes électorales, et 24% avaient fermé sans permettre aux personnes qui étaient encore en file d’attente de voter.
Le gouvernement congolais, apparemment pour tenter de minimiser toute supervision extérieure, avait refusé toute aide logistique et financière internationale pour l’organisation des élections. Le président de la CENI avait à plusieurs reprises assuré que les élections étaient en bonne voie d’accomplissement, y compris avec les nouvelles machines à voter, et le président Kabila avait affirmé que ces élections seraient « les meilleures élections que ce pays aura connues depuis 1959 ».
Le 28 décembre, le gouvernement a expulsé l’ambassadeur de l’Union européenne (UE), Bart Ouvry, avec un préavis de 48 heures. Ceci a fait suite à la décision de l’UE le 10 décembre de proroger les sanctions prises à l’encontre de 14 responsables congolais de haut rang, dont Shadary.
Au cours des quatre dernières années, le gouvernement a systématiquement cherché à réduire au silence, réprimer et intimider l’opposition politique, les activistes des droits humains et pro-démocratie, les journalistes et les manifestants pacifiques. Plusieurs dirigeants renommés de l’opposition ont été empêchés de se présenter à l’élection présidentielle et de nombreux dirigeants et partisans de l’opposition et activistes pro-démocratie demeurent emprisonnés ou en exil.
La période officielle de campagne a été marquée par des actes de répression violente à l’encontre de rassemblements des deux principaux candidats de l’opposition, Martin Fayulu et Félix Tshisekedi, par des restrictions imposées aux déplacements de Fayulu et par de violents affrontements entre partisans de différents partis. Par contraste, Shadary a été en mesure de faire campagne librement avec le plein soutien des responsables de l’État, la possibilité de recourir aux ressources du gouvernement, ainsi qu’un accès illimité aux médias d’État.
Lors de la campagne, des violences ethniques de grande ampleur ont éclaté à Yumbi, dans la province occidentale du Mai-Ndombe, faisant au moins 150 morts dans cette région précédemment paisible. Yumbi est l’une des trois régions où les élections ont été reportées au mois de mars, avec celles de Butembo et Beni (territoire et ville) dans l’est de la RD Congo, qui ont été affectées par une récente épidémie de fièvre Ebola et par des attaques perpétrées par des groupes armés. La décision de la CENI qui est contrôlée par l’État – officiellement fondée sur des préoccupations dans les domaines de la sécurité et de la santé – a eu pour effet d’exclure plus de 1,2 million d’électeurs du scrutin présidentiel. Les habitants de Beni et de Butembo ont organisé un simulacre d’élections pour montrer que ce report était injustifié.
Le 3 janvier, la conférence épiscopale de RD Congo a annoncé, sur la base de ses observations, qu’un vainqueur avait clairement émergé dans la course à la présidence et a appelé la CENI à publier des résultats conformes à la réalité. Une mission d’observation de l’Union africaine a indiqué, dans une déclaration préliminaire, qu’elle souhaitait fortement « que les résultats qui seront proclames soient conformes au vote du peuple congolais… »
L’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont la RD Congo est un État partie, stipule que:
Tout citoyen a le droit et la possibilité… de voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs.
« L’Union africaine et les autres gouvernements devraient signifier clairement aux autorités de la RD Congo que toute manipulation des résultats des élections aurait de graves conséquences », a affirmé Ida Sawyer. « Des décomptes de voix frauduleux ou falsifiés ne feraient qu’enflammer une situation déjà tendue et pourraient avoir des répercussions désastreuses ».
Pour prendre connaissance de davantage de détails et de témoignages de victimes et de témoins, veuillez lire le communiqué complet en anglais au lien suivant: https://www.hrw.org/news/2019/01/05/dr-congo-voter-suppression-violence. La traduction française complète sera publiée prochainement. Merci de votre compréhension.
Par Human Rights Watch, 05.01.19