« Joseph Kabila » arborait, mardi 7 novembre, un sourire conquérant. Il était entouré de quelques « manitous » de sa mouvance réunis dans sa ferme de Kingakati (voir photo), près de Kinshasa. L’homme semblait pousser un « ouf! » de soulagement, 48 heures après la publication du très controversé « calendrier électoral » qui fixe l’élection présidentielle au 23 décembre 2018. Derrière Aubin Minaku, le président de l’Assemblée nationale, on perçoit Norbert Basengezi Kantitima, vice-président de la CENI (Commission électorale nationale indépendante). Le successeur de Mzee paraît plus que jamais rasséréné par la pusillanimité des réactions émises tant à Paris qu’à Washington. Aussi, a-t-il battu le rappel des troupes. Objectif: reconquérir le pouvoir. Soucieux de préserver d’abord les intérêts de leurs pays respectifs, les présidents Emmanuel Macron et Donald Trump semblent s’accommoder du « diable qu’ils connaissent » face à une opposition congolaise accusée, à tort ou à raison, d’afficher une unité de pure façade. Reste que le « chronogramme » de Corneille Nangaa a été unanimement rejeté par les forces politiques et sociales acquises au changement. Les organisations citoyennes pourraient surprendre une « communauté internationale » réputée pour sa duplicité.
ANALYSE
Près de deux semaines après la visite de l’ambassadeur américain à l’ONU, Nikki Haley, les observateurs peinent à cerner la teneur du message que la diplomate a transmis à « Joseph Kabila » de la part du président Donald Trump. Le grand public n’a retenu que la déclaration faite à la sortie du siège de la Ceni invitant celle-ci à publier un calendrier électoral afin que les élections se tiennent en 2018.
Selon certaines indiscrétions, lors de l’entretien que Mme Haley a eu avec « Kabila », l’émissaire américain n’aurait pas évoqué uniquement les questions politiques et la situation budgétaire de la Monusco. Elle aurait fait part au locataire du Palais de la nation du désir du président Trump de voir les avions de combat américains – engagés dans la lutte contre le terrorisme – utiliser la base de Kamina, dans l’ancienne province du Katanga. Une aubaine pour « Kabila ».
Prenant la représentante des Etats-Unis à l’Onu au mot, la Commission électorale nationale indépendante s’est empressée de publier un prétendu chronogramme. Le document a été divulgué le dimanche 5 novembre. Le moins que l’on puisse dire est qu’il s’agit d’un travail bâclé destiné à la consommation extérieure. D’après la CENI, les Congolais doivent attendre le 23 décembre 2018 pour pouvoir choisir leur nouveau Président de la République.
REACTIONS
Au total, les partis politiques ont balayé du revers de main ce calendrier qui n’a qu’un seul but. Celui de permettre au successeur de Mzee de poursuivre son jeu favori. A savoir, le « glissement ». Et ce jusqu’en 2019. Un quasi-troisième mandat. « Fantaisiste », « non-événement », « provocation ». Ce sont les mots qui reviennent pour fustiger ce document tant du côté des politiques que des organisations de la société civile. La mouvance kabiliste et ses alliés planent dans une sorte de béatitude.
Le député national Delly Sessanga, président du parti « l’Envol » se veut « constructif ». Il propose de rédiger un « document alternatif » qui fixe la tenue des élections au mois de juillet 2018.
Les organisations citoyennes ont vu rouge. C’est le cas notamment de la Lutte pour le changement « LUCHA » et de « Filimbi ». La première a prévu une méga-manifestation pour le 15 novembre prochain appelant, au passage, au « soulèvement populaire » ainsi qu’à la désobéissance civile. La seconde n’est pas allée par quatre chemins en exhortant les citoyens congolais à ne plus reconnaitre « Joseph Kabila » comme chef de l’Etat dès fin décembre prochain.
La douche froide est venue de l’Amérique et de la France. Dans un communiqué du département d’Etat publié mardi 7 novembre, les Etats-Unis se déclarent « résolus à travailler avec le peuple et les institutions de la RDC, l’Union Africaine, les partenaires régionaux et internationaux et la Monusco » pour permettre aux électeurs congolais de « voter à temps et comme prévu en décembre 2018 ».
Cette position américaine explique sans doute l’assurance manifestée, mardi 7 novembre, par « Joseph » et ses affidés. La suite du communiqué exhortant ce dernier à « quitter le pouvoir après les élections » n’a pas manqué de faire sourire cet homme, fourbe et rusé qui multiplie des artifices et la corruption pour perpétuer son pouvoir.
Sur un ton de recommandation, le même communiqué du département d’Etat demande au gouvernement congolais de mettre fin aux poursuites judiciaires motivées par des « raisons politiques ». Le texte souligne la nécessité de libérer « des prisonniers politiques » et de respecter le « droit de réunion et de tenir des rassemblements publics pacifiques ». Sinon?
Elu en mai dernier, le président Emmanuel Macron n’a pas trouvé mieux que de conseiller aux Congolais de privilégier le « dialogue ». On espère que la Cellule africaine de l’Elysée aura l’occasion de signaler au successeur de François Hollande que les Congolais n’ont fait que ça depuis 2013.
Au commencement, c’était les « Concertations nationales » de 2013. Celles-ci ont été suivies par les dialogues organisés au cours de l’année 2016 successivement à la Cité de l’Union Africaine et au Centre Interdiocésain. En réalité, « Joseph » a en horreur le débat, l’écoute et la négociation. Il ne croit qu’à la force brutale. Tout dialogue n’a qu’un double but pour lui: débaucher des opposants corruptibles et gagner du temps.
Les observateurs n’ont pas oublié la visite effectuée le 19 juin dernier auprès de « Kabila » par deux envoyés de Macron. Il s’agit de Franck Paris et de Rémy Maréchaux respectivement conseiller Afrique à l’Elysée et directeur d’Afrique et Océan indien au Quai d’Orsay.
L’entrevue a eu lieu à Lubumbashi. De quoi ont-ils parlé? Il semble qu’il a été notamment question des « intérêts pétroliers » de la société Total au large de Moanda, au Kongo Central.
Signalons enfin la rencontre qui a eu lieu le 1er novembre à Washington entre le secrétaire d’Etat américain Rex Tillerson et le chef de la diplomatie belge Didier Reynders. Les deux ministres ont évoqué notamment la situation au Congo-Kinshasa. Le libéral francophone belge a indiqué à son interlocuteur que « les sanctions constituent un outil et jamais une fin en soi ». Et d’ajouter: « Une coordination et un suivi étroit du fonctionnement des sanctions est nécessaire pour s’assurer qu’elles sont efficaces et n’entrainent pas d’effet indésirable ».
S’agit-il des sanctions initiées par l’Union Européenne et le département américain du Trésor à l’encontre des oligarques congolais qui entravent l’exercice des droits et libertés?
QUI PROTEGE « JOSEPH KABILA »?
Loin est donc l’époque où les officiels Américains, Belges et Français se réunissaient pour « piloter » le processus de démocratisation au Zaïre de Mobutu Sese Sese. Il était demandé au « Grand Léopard » de quitter ses fonctions pour avoir « détruit » l’Etat et l’économie du pays. C’était au cours de la première moitié des années 90. Question: « Joseph Kabila » bénéficie-t-il de quelques « protections occultes » de la part de ceux qui tirent profit du « poto-poto » congolais tant en Afrique qu’en Occident?
Comment pourrait-on expliquer une telle complaisance au niveau planétaire face un pillard autant qu’un assassin aux mains propres? Que dire de tous ces scandales qui ne cessent de défrayer la chronique en mettant en scène tant la fratrie « Kabila » que son prête-nom en l’occurrence l’homme d’affaires israélien Dan Gertler?
On peut citer: Panama Papers, rapport Bloomberg sur les sociétés liées à la « famille », le scandale du Passeport biométrique, les révélations du banquier Jean-Jacques Lumumba sur les activités de la BGFI Bank. Sans omettre plusieurs dizaines de millions de dollars transférés de la Banque Centrale du Congo au crédit du compte de la société privée « Egal » liée à la « famille ». Le dernier scandale en date porte sur l’enquête dite « Paradise Papers » qui épingle Gertler et la société suisse Glencore. Celle-ci est impliquée dans une affaire de rachat à vil prix d’une mine de cuivre dans l’ex-Katanga.
Sur le plan des droits et libertés, « Kabila » et ses sbires n’ont cessé d’afficher le plus grand mépris pour la vie et la dignité de la personne humaine. Les citoyens congolais attendent toujours que toute la lumière soit faite sur les fosses communes de Maluku découvertes au lendemain des manifestations des 19, 20 et 21 janvier 2015. Des éléments de la garde présidentielle, les fameux « GR », auraient été surpris au moment où ils emportaient des cadavres.
Dans le « Grand Kasaï », les experts de la Monusco, ont dénombré plus de quatre-vingt fosses communes en marge de l’affaire Kamuina Nsapu. L’assassinat des deux enquêteurs du Conseil de sécurité Zaidan Catalan et Michaël Sharp reste toujours un mystère.
Les Kinois ont encore frais en mémoire le massacre des « Kulunas » à travers les 24 communes de la capitale. Selon le colonel Pierrot Mwana Mputu, l’ordre de « nettoyer la ville » a été donné par « Kabila ». En personne.
Que dire des journalistes et activistes des droits humains qui ont été abattu sans que l’assassin et le commanditaire ne soient identifiés à ce jour?
Voilà autant de raisons qui poussent la grande majorité des Congolais à rechigner d’accorder à « Kabila » un seul jour de plus après le 31 décembre prochain. L’homme a le contrôle de la force publique et des finances de l’Etat.
N’en déplaise à la « communauté internationale », les mouvements citoyens et certains partis politiques sont décidés à croiser le fer avec le dictateur. Objectif: obtenir son départ du pouvoir. « Celui qui se bat peut perdre. Celui qui ne se bat pas a déjà perdu », dit un adage populaire…
Baudouin Amba Wetshi
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