Pendant que le président Felix Tshisekedi Tshilombo était occupé, lors de sa visite jeudi en Tanzanie, à « rendre hommage » à son prédécesseur « Joseph Kabila » qui a, semble-t-il, « accepté de conforter la démocratie en respectant la Constitution », les Congolais, dans leur grande majorité, avaient les yeux braqués sur la Cour constitutionnelle. Cette haute juridiction est au centre d’une vive controverse à la suite de l’invalidation d’une quarantaine de députés nationaux et sénateurs appartenant à l’opposition. Les soupçons les plus graves pèsent désormais sur les juges de cette Cour. Un homme joue un rôle critique dans ce dispositif. Il s’appelle: Benoit Lwamba Bindu bya Maganga. Depuis le 26 janvier 2001, l’actuel président de la Cour constitutionnelle n’a jamais fait mystère de sa « loyauté » quasi-paternelle à l’égard du successeur de Mzee LD Kabila. Président à la Cour suprême, Lwamba et son acolyte Luhonge Kabinda-Ngoy, alors procureur général de la République, avaient commis un « faux » en prétendant qu’il n’existait à l’égard « Joseph » « aucun antécédent judiciaire » et « aucune cause d’empêchement à accéder et à exercer » les fonctions de chef de l’Etat. Et pourtant, les deux magistrats n’avaient mené aucune enquête en Tanzanie où ce homme a vécu jusqu’à l’âge de 25 ans. Pouvait-il ignorer que celui-ci avait fait le service militaire dans l’armée tanzanienne?
« Un greffier de la Cour constitutionnelle m’a téléphoné à 3 heures du matin. Il m’a dit que son père, aujourd’hui décédé, avait voté pour moi lors des dernières élections législatives. Selon ce greffier, les juges de la Cour constitutionnelle allaient m’invalider parce que je fais partie de ceux qui dérangent leur ‘maître’. [Ndlr: « Joseph Kabila »]. (…). Ils[Les juges]avaient déjà tâté le terrain en invalidant Jean Goubald [Kalala]. L’opposition n’avait pas réagi. Nous avions reçu des SMS disant ‘si tu parles, on va t’invalider’. (…). Le greffier dont question m’a littéralement imploré de vendre ma maison [En lingala: teka ata ndaku] ou ma voiture pour me procurer les ressources financières pour soudoyer les juges. Je n’ai pas de biens à vendre pour corrompre les juges ».
Les habitués des réseaux sociaux ont pu visionner ces propos tirés du témoignage fait, dans un média kinois, par la députée nationale Christelle Vuanga. Etiquetée « opposante », la jeune dame est connue pour son franc-parler.
Au moment où ces lignes sont écrites, on apprenait que les fameux juges n’avaient pas encore publié les arrêts contestés dans leur intégralité [Ndlr: « Tout jugement est écrit et motivé ». (Article 21 de la Constitution]. Et ce pour permettre au grand public de prendre connaissance du « raisonnement logique » à l’appui duquel ces « hauts magistrats » ont pris des décisions qualifiées unanimement d’ « iniques » dans la mesure où des parlementaires « les mieux élus », en termes de voix de préférence, aux quatre coins du pays, n’ont pas été épargnés par la boulimie kabiliste.
« RECOURS EN RECTIFICATION »
On apprenait également que la Cour constitutionnelle aurait fait une « concession » en autorisant les personnes lésées d’introduire un « recours en rectification » pour « cause d’erreurs matérielles ». Erreurs matérielles?
Pour la petite histoire, les sièges perdus ont été attribués, comme par enchantement, aux membres de la mouvance kabiliste le « Front commun pour le Congo » (FCC).
A titre indicatif, les députés Jean Goubald et Cherubin Okende ont été remplacés respectivement par Pierre Kangudia et Wivine Moleka; Néron Mbungu et Raphaël Kibuka, par Louis d’Or Balekelayi et Mme Ingele Kanyama. Comble du ridicule, à Bumba (province de la Mongala), Omer Egbake, réputé pour ses « talents » de danseur et d’amuseur public, a été validé au détriment du député Bedi.
RÉACTIONS
Au cours d’un point de presse qu’il a animé le mercredi 12 juin, Martin Fayulu Madidi a dénombré 33 parlementaires invalidés dont 23 députés et 2 sénateurs de la coalition politique Lamuka. L’ancien candidat à l’élection présidentielle a fustigé une « énième forfaiture » commise par « une Cour constitutionnelle aux ordres ». Des manifestations de « grande envergure » sont annoncées pour le 30 juin prochain.
« C’est inadmissible! » a tonné, pour sa part, le MLC Jacques Djoli Es’Engekeli au micro de « Actu30 ». Ce député national n’ignore pas le prescrit du premier alinéa de l’article 168 de la Constitution qui stipule: « Les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont pas susceptibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires (…)« . Le juriste de fulminer: « Pour qu’un arrêt soit inattaquable, il faut qu’il respecte le droit ». Pour lui, lorsque la décision est rendue « par fraude », celle-ci est simplement inexistante. Le MLC aurait perdu 8 sièges sur 22.
Président de l’Association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ), l’activiste de la société civile Georges Kapiamba demande la « démission » des juges de cette juridiction. Par quel mécanisme? Moins radical, l’Ensemble Pierre Lumbi Okongo exhorte le chef de l’Etat à « réformer » cette haute cour.
APPEL AU SENS DE RESPONSABILITÉ
Dans une « déclaration commune » datée du vendredi 14 juin, les chefs de missions diplomatiques du Royaume-Uni des Etats-Unis, de la Suisse et du Canada ont commencé par « déplorer » « l’aggravation des tensions politiques (…) suscitée par les décisions de la Cour constitutionnelle d’invalider les élections de 30 parlementaires, la plupart d’entre eux étant des membres de l’opposition ». Après avoir appelé le personnel politique congolais « au sens de responsabilité », les diplomates de regretter « vivement l’incertitude et la méfiance créées par ces décisions (…)« .
Comme il est écrit précédemment, un homme joue un « rôle critique » dans ce qui ressemble bien à la « stratégie de reconquête du pouvoir » mise en place par « Joseph Kabila ». Son nom: Benoît Lwamba Bindu. D’après des observateurs, après la prise du contrôle du Parlement, « Kabila » projette de faire réviser la Constitution. Objectif: « déverrouiller » les dispositions intangibles dont l’article 220 qui fixe notamment la durée et le nombre de mandats du Président. « Les récents affrontements entre les jeunes de l’UDPS et ceux du PPRD est un message envoyé à Kabila. Demain, il doit s’attendre à un duel à mort entre la ‘majorité parlementaire’ et la ‘majorité populaire », commente un tshisekediste.
QUI CONNAIT BENOIT LWAMBA BINDU?
Qui est Lwamba Bindu Benoit? Né le 19 juillet 1945, l’homme est entré dans la magistrature au début des années 70. En 1990, il est promu conseiller à la Cour suprême de justice en 1990. Deux années après la prise du pouvoir par LD Kabila, il devient un des présidents de cette prestigieuse juridiction.
Le 16 janvier 2001, le Mzee Kabila meurt dans des circonstances non-élucidées à ce jour. Fils putatif du défunt, « Joseph » est coopté par des Baluba du Katanga décidés à garder le pouvoir suprême dans leur giron. Ici, tous les moyens sont bons.
Vint l’investiture du nouveau chef de l’Etat. Président à la Cour suprême de justice, Lwamba et son comparse Luhonge Kabinda-Ngoyi, un autre lubakat, alors procureur général de la République, décident de jouer leur va-tout. Et ce y compris de commettre un « faux« . But: faciliter l’investiture du nouveau Président, un « OVNI politique » au parcours pour le moins énigmatique.
Dans le procès-verbal d’investiture lu successivement par le PGR Luhonge et le premier président de la Cour suprême de justice, on est atterré par plusieurs contrevérités. A savoir notamment: « Joseph Kabila » est né à Hewa Bora II. Une localité imaginaire; il est « Congolais d’origine ». L’homme a fait le service militaire dans l’armée tanzanienne. Ce qui indique qu’il était titulaire de la nationalité de ce pays qui l’a vu naître et où il a grandi; il n’existe à l’égard de « Joseph Kabila » « aucun antécédent judiciaire » et « aucune cause d’empêchement à accéder et à exercer » les fonctions de chef de l’Etat. Une affirmation fantaisiste autant que mensongère. La Cour suprême de justice et la Parquet général de la République n’avaient menée aucune enquête en Tanzanie sur le personnage. Celui-ci a foulé le sol zaïro-congolais à l’âge de 25 ans. Que savaient-ils de son passé? Pire, le successeur de Mzee a porté d’autres patronymes (Mtwale, Kanambe, Kabange, Hyppolite etc.) avant d’opter pour celui de « Kabila ».
LA COUR CONSTITUTIONNELLE NE FAIT PLUS ILLUSION
En juin 2003, Lwamba est élevé au grade de 1er président de la Cour suprême de Justice sous le régime de transition « 1+4 ». Depuis lors, le juriste n’a pas cessé d’évoluer dans le sillage de « Joseph » jusqu’à sa nomination en 2015 en qualité de Président de la Cour constitutionnelle. Le 9 juillet 2018, il est « réélu » grâce à sa « loyauté » non pas vis-à-vis de l’Etat mais d’un homme.
Le 11 juin 2019, la Cour constitutionnelle a cessé de faire illusion. Le discrédit parait, cette fois, total tant pour la juridiction elle-même que son Président Lwamba Bindu, qui passe pour un magistrat véreux.
Que va faire le président Felix Tshisekedi? Poser la question c’est déjà y répondre.
Il est minuit et demi à Kin au moment où ces lignes sont bouclées. Allié au « FCC », la coalition « Cach », très carré sur l’Etat de droit, se mure depuis soixante-douze heures dans un silence assourdissant.
De passage jeudi 13 en Tanzanie, « Felix » s’est cru tenu de « rendre hommage » à son prédécesseur. Tout un symbole. Il semble que « Kabila » a « accepté de conforter la démocratie en respectant la Constitution »…
Baudouin Amba Wetshi