Ancien Président de la Ligue des électeurs, Paul Nsapu Mukulu est le secrétaire général de la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme) pour l’Afrique subsaharienne. Il répond aux questions sur la répression violente de la manifestation du 19 septembre dernier, la révélation d’Antipas Mbusa Nyamwisi sur l’Ougandais Jamil Mukulu et le procès ouvert à Dakar sur l’assassinat du défenseur des droits humains Floribert Chebeya et Fidèle Bazana.
Après la répression violente de la manifestation pacifique du 19 septembre organisée par le « Rassemblement », le bilan des victimes oscille entre 37 et 100 morts. La procureure près la Cour pénale internationale a déclaré le 23 septembre qu’elle « surveille avec une extrême vigilance la situation sur le terrain ». Quelle est votre réaction?
J’éprouve une réelle satisfaction. A plusieurs reprises, nous avons demandé à la CPI de se saisir du dossier RDC parce que les populations civiles sont massacrées. Cette juridiction internationale n’avait pas jugé opportun d’agir du fait du dialogue politique en gestation. Après la manifestation du 19 septembre, la CPI a pris conscience de la nécessité de réagir.
Vraiment?
On ne peut pas tuer impunément son peuple comme nous venons de le vivre les 19 et 20 de ce mois de septembre dans la capitale. Au moment où nous parlons, le pays est quadrillé par l’armée et la police. Désormais, il n’y a plus de doute que Joseph Kabila et les siens veulent se maintenir au pouvoir par la force. Monsieur Kabila nargue tout le monde. Il suit l’exemple du Congolais Denis Sassou N’Guesso, du Burundais Pierre Nkurunziza et du Gabonais Ali Bongo. Le locataire du Palais de la nation commet par la même occasion de graves violations des droits de l’Homme. Voilà pourquoi la CPI sur laquelle nous avons exercé des pressions a répondu par la voix de la procureure Bensouda. Nous allons fournir au bureau de la procureure toute la documentation à notre disposition.
Quel genre de documentation?
Nous avons tous les détails. A titre d’exemple, dans la nuit du 19 septembre, nous suivions la situation grâce à nos « correspondants ». Nous avons pu apprendre la manière dont le pouvoir avait infiltré les manifestants. Et ce depuis le lieu du rassemblement jusqu’à l’endroit où la force publique avait érigé des barrières. La FIDH fera tout pour que les auteurs et co-auteurs des atrocités que nous déplorons soient déférés devant la justice pénale internationale.
Dans sa déclaration, la procureure Bensouda a appelé les protagonistes congolais « au calme et à la retenue » en lieu et place d’ouvrir une information judiciaire. Selon vous, est-ce le rôle du ministère public?
Dans cette déclaration, il y a un aspect purement technique qui relève de la justice. Il y a un autre aspect sociopolitique. C’est désormais connu que l’Etat congolais dont la mission est de protéger les personnes et les biens a commis des actes dignes du « terrorisme d’Etat ». On a vu des lance-roquettes et autre artillerie lourde pour tuer. Pendant la nuit, le même Etat a plastiqué des sièges des partis de l’opposition. La FIDH va inciter la procureure à ouvrir une véritable enquête et à déférer à la barre les auteurs de ces crimes en partant du sommet de l’Etat.
Dans une interview accordée à Congo indépendant, l’ancien ministre Antipas Mbusa Nyamwisi a révélé que Jamil Mukulu, qui est présenté comme étant le leader des rebelles ougandais des ADF, a logé chez « Joseph Kabila » sur l’avenue Bocage n°55 à Ma Campagne, à l’époque où ce dernier n’était « que » général-major. Qu’en pensez-vous?
J’ai une réaction à deux niveaux. D’abord, cette révélation n’est pas une surprise pour nous. Dans nos banques de données, Monsieur Jamil Mukulu est un meurtrier qui doit être poursuivi par la justice internationale. Il a commis de graves violations des droits humains tant en Ouganda qu’en République démocratique du Congo où se trouvait le quartier général des ADF. Il a bénéficié de la complicité de Kinshasa.
« Kinshasa », c’est qui?
C’est Joseph Kabila bien-sûr! Je tiens d’ailleurs à en remercier Monsieur Mbusa. Un jour, l’ancien ministre Mbusa sera entendu devant une véritable justice afin qu’il livre des éléments détaillés en sa possession.
Jamil Mukulu a été arrêté en Tanzanie et extradé en Ouganda…
Effectivement, il a été extradé en Ouganda où la justice tarde à le juger…
Concrètement, que peut faire la FIDH dans le cas de Jamil Mukulu qui a été trouvé en possession d’un passeport congolais sans faire réagir l’Etat congolais qui ne s’est pas encore constitué partie civile dans le procès en préparation à Kampala?
La situation que vous décrivez met à nu la complicité qui existe entre Kinshasa et Kampala dans la gestion de ce dossier. Vous vous souviendrez que la Cour internationale de justice avait condamné l’Ouganda à verser des dommages et intérêts au Congo. Ce jugement a été passé par pertes et profits au nom des intérêts des chefs d’Etat. La FIDH va essayer de « s’immiscer » dans cette justice ougandaise. Comme vous pouvez l’imaginer, ce ne sera pas facile dans la mesure où Kinshasa et Kampala ont des choses à cacher à leurs opinions respectives.
Où en est-on avec le procès ouvert par la justice sénégalaise contre l’officier de police Paul Mwilambwe dans le dossier relatif à l’assassinat de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana?
Le dossier avance très bien. L’ancien patron de la police congolaise John Numbi Banza a séjourné, il y a une semaine, en Afrique du Sud où il a été acheté de matériels de répression qui ont été acheminés dans les anciennes provinces du Katanga et du Kasaï. C’est lui qui a dirigé toutes les opérations menées contre la population au cours de ce mois de septembre.
A propos de répression, il est fait état de 100 morts à Kananga lors de récents affrontements entre des prétendus miliciens du défunt chef Kamuina Nsapu et les forces dites de sécurité…
Effectivement! Le régime en place est habitué à utiliser des armes létales contre la population civile. Souvenez-vous de ce qui s’est passé en 2007 et 2008 contre les adeptes du mouvement religieux Bundu dia Kongo. Souvenez-vous de ce que le pouvoir avait fait contre les insurgés « Enyele ».
Que peut faire la FIDH face aux tueries intervenues à Beni, Kinshasa et Kananga?
La CPI a besoin d’un rapport étayé. Sans omettre les mandats donnés par les familles des victimes. Les associations de défense des droits humains vont rédiger ce rapport. Il va sans dire que ces associations vont se constituer partie civile. Tout laisse apparaître que Monsieur Joseph Kabila est en quête de prétexte pour décréter l’état d’urgence. Il prépare avec ses généraux un « faux coup d’Etat ». Nous sommes en possession de toutes les informations que nous allons dénoncer le moment venu.
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi