Docteur en médecine, spécialiste des soins intensifs, Oly Ilunga KalengaTshimankinda, 55 ans, est, depuis 2012, administrateur-délégué des Cliniques de l’Europe (Clinique St Michel et Clinique Sainte Elisabeth) à Bruxelles. Le 30 octobre 2014, « Docteur Jim », comme l’appellent ses proches, est apparu aux côtés d’Etienne Tshisekedi, convalescent, dans un hôtel bruxellois. Le 27 juin 2015, le leader de l’UDPS a chargé Ilunga, désigné en qualité d’Assistant du Président de l’UDPS, de lire son message au peuple congolais. Dans l’entretien avec Congo Indépendant, Oly Ilunga parle de sa jeunesse, de sa vision de la santé au Congo et effleure la situation politique. Pour lui, « il faut créer un environnement apaisé pour inciter tous les « cerveaux » qui ont quitté le Congo à regagner la mère-patrie ».
Où êtes-vous né?
Je suis né le 24 juin 1960 à Elisabethville, Lubumbashi, dans l’actuel hôpital Jason Sendwe.
Quelle était la profession de votre père?
Je suis né le jour même de la formation du gouvernement du Premier ministre Patrice-Emery Lumumba. Ma mère me disait toujours que mon père était ce jour-là aux « abonnés absents ». Il avait l’oreille collée à son poste radio pour suivre les péripéties de la formation du tout premier gouvernement du Congo Indépendant. Pour répondre précisément à votre question, je suis fils de militaire; mon père est un général à la retraite de l’Armée congolaise. Il fut sous-officier de la Force publique, l’armée coloniale où il avait eu à servir pendant 2 ans. Après sa démobilisation, il a travaillé à la Poste à Elisabethville avant de réintégrer l’Armée en novembre 1960. En 1962, après sa formation militaire en Belgique, il était au service de l’armée du Sud Kasaï.
Au Sud Kasaï, durant la sécession menée par le Mulopwe Albert Kalonji Ditunga?
Effectivement. Il faut d’abord préciser qu’après la proclamation de la sécession du Katanga par Moïse Tshombe en juillet 1960, les Luba originaires du Kasaï n’y étaient plus les bienvenus. C’est ainsi que les Kasaïens ont trouvé refuge dans des camps pour les déplacés. C’est le cas de ma famille. J’étais âgé à l’époque de six à dix mois. Le reste de la famille quittera Elisabethville pour Léopoldville (Kinshasa). Et ce grâce à un cousin de ma mère. Celui-ci venait d’obtenir une bourse d’études pour aller étudier à l’université Lovanium. Il a présenté ma mère comme étant sa femme. C’est ainsi que nous avons pu quitter le camp des « réfugiés ». Mon père se trouvait effectivement au Kasaï en pleine sécession. Enrôlé dans l’armée du Sud Kasaï, il sera envoyé en formation en Belgique. A la fin de cette formation, il nous rejoindra à Léopoldville.
Votre père a donc fait l’essentiel de sa carrière dans l’armée…
Absolument! Quelques temps après son retour à Kinshasa, il est reparti au Sud Kasaï. C’est lui et quelques jeunes officiers qui ont renversé le Mulopwe Albert Kalonji en mettant fin à la sécession. C’est ainsi que le Kasaï a repris sa place au sein de la nation congolaise. Mon père s’appelle Placide Ilunga Kakasu. En 1975, il a été mis à la retraite au grade de général de brigade après la fameuse affaire dite « coup d’Etat monté et manqué ».
Comment votre famille a-t-elle vécu cette situation?
J’avais à l’époque 15 ans. C’était le 15 ou 16 juin 1975. J’étais à l’internat. Un ami congolais m’appela en me taquinant: « Il y a eu un coup d’Etat monté et manqué à Kinshasa. Le général Ilunga en serait l’instigateur. » C’est ainsi que j’ai appris l’information. En revanche, je n’ai pas eu les nouvelles de mes parents jusqu’à la fin de l’année scolaire. C’est au courant du mois de juillet que j’aurai indirectement de leurs nouvelles. Une connaissance va me contacter en me disant: « Ilunga, ton père est arrêté. Il faut maintenant que tu prennes tes responsabilités: tu es désormais le chef de famille ».
Le général Placide Ilunga, votre père, a écrit un livre que je n’ai pas encore lu. Que peut-on retenir de substantielle dans cet ouvrage?
(Rire). Il y relate le parcours d’un militaire-patriote qui n’était animé que d’une seule ambition, celle de servir sa patrie. Il est revenu longuement sur le processus ayant conduit à la fin de la sécession du Sud Kasaï. Sans omettre de jeter un regard sur la situation de l’armée nationale. Il a repris des larges extraits de son intervention lors des travaux de la Conférence nationale souveraine (CNS). Pour lui, un officier ne doit en aucun cas se mêler des activités politiques. De même, au-delà de sa mission de défendre le territoire national, l’armée doit être au service du développement. Sa passion c’est le génie civil. Après l’armée, il s’est converti dans la construction. Il a toujours eu le souci d’améliorer les conditions de vie des militaires.
A partir de quel moment avez-vous arrêté la résolution d’entreprendre des études de médecine?
C’est vers la fin de mes études secondaires! J’avais à l’époque 17 ans. J’ai hésité entre trois disciplines: pilote de ligne, économiste et ingénieur. J’ai fini par opter pour la médecine du fait de la place qu’elle consacre à l’être humain. J’ai accompli mes trois années de candidature à Namur et les quatre années de doctorat à l’Université catholique de Louvain (UCL). J’ai terminé en 1984. C’est la rencontre avec un homme – M. Lechat – qui a « boosté » ma carrière. Je venais à l’époque de réussir le concours en médecine interne. L’homme m’a fasciné par sa connaissance internationale. Il était un avant-gardiste. En 1984, il était quasiment le seul à parler de l’économie de la santé et de l’évaluation de la santé. Cet homme m’a fait faire un bond d’au moins quinze années par rapport aux enjeux de l’époque. J’ai travaillé avec lui. En 1990, j’avais une double spécialité: un doctorat en santé publique et épidémiologie et spécialiste en médecine interne. Je me suis fixé pour objectif d’aller enseigner à l’université de Kinshasa.
Et alors?
J’ai été découragé par les pillages des années 90. C’est ainsi que j’ai déballé mes cartons. J’ai commencé à faire des gardes aux soins intensifs et aux urgences dans certains hôpitaux bruxellois. C’est le cas de la Clinique Sainte Elisabeth où j’avais effectué mes stages. Comme je n’avais pas d’occupation le soir, je me suis inscrit à l’IAG (Institut d’Administration et de Gestion), à l’Université catholique de Louvain pour faire un MBA (Master of Business Administration). Je dois avouer que pendant mes recherches, le volet « Economie de la santé » m’intéressait particulièrement. Fin 1991, j’ai effectué un bref séjour à Kinshasa. J’étais prêt à regagner le pays. En janvier 1992, il y a eu de nouveaux pillages et l’assassinat de l’ambassadeur de France Philippe Bernard. C’est à ce moment que je téléphone à mon père qui me dira: « Si on te proposait un poste à Bruxelles, il faudra accepter parce que la stabilisation nécessitera une bonne dizaine d’années. » C’est ainsi que je suis entré aux Cliniques de l’Europe. En 1993, on a ouvert la « chirurgie cardiaque » à Sainte Elisabeth. En 1996, je suis nommé chef de service des soins intensifs. En juin 2000, j’ai commencé ma carrière à Saint Michel où j’ai été nommé directeur médical. Nous avons reconstruit le nouveau bâtiment de l’hôpital et redressé la gestion. Depuis le 20 décembre 2012, j’assume les fonctions d’administrateur délégué aux Cliniques de l’Europe.
Que pensez-vous de l’état de la santé publique au Congo-Kinshasa?
On oublie souvent que les vrais déterminants de la santé ne sont pas liés aux infrastructures sanitaires.
Je vais reformuler ma question. En comparant avec la situation d’un pays tel que la Belgique, avez-vous le sentiment que la santé occupe la place qui lui revient au Congo-Kinshasa?
Je tiens à vous dire d’abord que depuis 2000, et ce durant plusieurs années, j’ai servi en qualité de consultant au ministère de la Santé à Kinshasa. Durant les vacances, j’y allais souvent. J’étais consulté sur différents programmes de santé et surtout pour mettre en place les comptes nationaux de la santé pour voir le flux financier dans ce secteur. Je crois que la santé n’occupe pas la place qui doit être la sienne au Congo. Cela découle essentiellement au fait que l’homme n’est pas mis au centre de toutes les actions. Si on mettait l’homme au centre des préoccupations, on s’occuperait de la santé qui est et reste le bien le plus précieux à tout être humain.
Quels sont, selon vous, les problèmes qui se posent dans ce secteur?
Il y a d’abord les infrastructures sanitaires. La plupart de ces infrastructures ont été construites à l’époque coloniale. Les principaux déterminants de la santé aujourd’hui c’est l’état nutritionnel, l’état de pauvreté des gens, les conditions de vie, la salubrité de l’environnement. J’ajouterai, la prévention des maladies transmissibles et l’accès à l’eau potable. Le changement des conditions de vie du Congolais passe, à mes yeux, avant les infrastructures sanitaires.
Changer les conditions de vie de la population en faisant quoi concrètement?
Il s’agit d’abord d’assainir le cadre de vie notamment par le ramassage des ordures ménagères et le traitement des eaux usées. Il y a ensuite l’approvisionnement de la population en eau courante et en électricité. Il importe enfin de vulgariser l’usage des toile-moustiquaires. Je considère toutes ces actions comme des priorités susceptibles de réduire la mortalité de 50%.
Que répondez-vous à ceux qui disent que les secteurs ayant un impact social occupent une place dérisoire en Afrique noire en général et au Congo-Kinshasa en particulier?
J’ai été interpellé par cet état de chose. Comme je l’ai dit précédemment, la personne humaine n’est pas au centre des préoccupations dans les pays en développement. Je m’interroge souvent si cette situation ne découlerait pas d’une certaine vision de leadership.
C’est-à-dire?
Je considère que ceux qui ont en charge la gestion de l’Etat doivent avoir une vision. Dans cette vision, l’homme doit être le commencement et la fin.
Si vous étiez ministre de la Santé au Congo-Kinshasa, quelles sont les quatre mesures qui vous paraissent prioritaires pour réformer ce secteur?
Pour moi, la réforme du secteur de la santé au Congo doit s’intégrer dans un véritable plan de développement. Je commencerais par établir un plan décennal. Ce plan doit prendre en compte les infrastructures de base (accès à l’eau potable, assainissement du cadre de vie…). En fait, le secteur de la santé est lié au développement humain impliquant l’alimentation, l’éducation et l’emploi. L’emploi donne aux gens la dignité sociale. A mon avis, les infrastructures sanitaires devraient venir en dernier lieu. En clair, il faut tout un programme de lutte contre la pauvreté pour améliorer la santé publique au Congo.
Le 30 octobre 2014, une photo a circulé sur les réseaux sociaux où l’on voit le médecin que vous êtes aux côtés d’Etienne Tshisekedi, encore convalescent. Depuis quand le connaissez-vous?
(Rire). Je crois que tous les Congolais connaissent Etienne Tshisekedi en tant qu’acteur politique. Le président de l’UDPS a fait vibrer et continue à faire vibrer toute la jeunesse congolaise…
Comment devient-on médecin d’Etienne Tshisekedi?
Je ne suis pas le médecin d’Etienne Tshisekedi. Dans la position que j’occupe depuis plusieurs années dans le système sanitaire en Belgique, je me suis toujours efforcé de servir mes compatriotes et mes amis en leur donnant accès aux meilleurs médecins lorsqu’ils font appel à moi ou me demandent un conseil. Depuis ma nomination, en 2000, en qualité de directeur médical à Saint Michel, j’avais gardé les soins intensifs comme seule activité médicale. Je ne consulte plus en privée. Je suis le médecin traitant de personne. Je vais à l’hôpital pour gérer mon service. Je me limite à mettre les gens en contact des meilleures compétences.
Revenons à la date du 30 octobre 2014. Ce jour-là, un communiqué vous désignant en qualité d’Assistant du Président de l’UDPS a été remis aux journalistes présents…
Ce qui importe de souligner à cette date c’est le fait que le président Tshisekedi a retrouvé toute sa vigueur. Dans un élan patriotique, je voulais mettre à sa disposition mes connaissances et mes relations.
Le 27 juin 2015, Etienne Tshisekedi a surpris en vous désignant pour donner lecture de son « message au peuple congolais » à l’occasion de la commémoration du 55ème anniversaire de l’Indépendance. Pourquoi, vous?
J’étais le premier surpris par cet honneur. Je crois qu’il m’a choisi peut-être parce que je me trouvais à deux pas de lui…
Avez-vous des ambitions politiques…ce qui est en soi légitime…
J’ai toujours pensé que la meilleure ambition consiste à servir son pays. D’ailleurs, la médecine tourne autour de l’idée de service. Je rêve toujours de rendre à mon pays ce qu’il a fait pour moi.
Que pensez-vous de la situation générale au Congo-Kinshasa? Peut-on dire que le pays se porte bien?
Je crois qu’on devrait éviter de retomber dans les circonstances de ces dernières années à l’origine de l’expatriation d’une bonne partie de la jeunesse congolaise. Il faut créer un environnement apaisé pour inciter tous les cerveaux à regagner la mère-patrie.
Que répondez-vous à ceux qui soutiennent que les Congolais ont leur part de responsabilité dans les maux dont souffre leur pays?
Dans la vie, c’est toujours cinquante-cinquante.
Que voulez-vous dire?
Les Congolais ont sans doute leur part de responsabilité sur ce qui se passe au Congo. Il reste que le Congo n’est pas une île…
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi