Doctorante en droit à l’Université de Gand (Belgique), ancien substitut du procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Kinshasa/Gombe, Nicole Ntumba Bwatshia analyse et commente les péripéties judiciaires ayant entouré l’affaire de l’artiste musicien Antoine Agbepa Mumba, alias Koffi Olomide. « Mama Nicole » est mariée et mère de trois jeunes filles.
Vous avez donc été magistrat de profession…
Effectivement. J’ai été magistrat. J’ai servi en qualité de substitut du procureur de la République au Parquet de Grande Instance de la Gombe. J’ai dix ans de carrière derrière moi.
Le chanteur Koffi Olomide a été arrêté le mercredi 15 août. Quelle réflexion vous inspire cette affaire? En apprenant cette nouvelle, est-ce que vous vous êtes dit « c’en est fini avec les intouchables; vive l’Opération Tolérance zéro! »?
A première vue, on est effectivement tenté de dire que « plus personne n’est au-dessus de la loi ». Cet enthousiasme s’est estompé après analyse de la « manière » dont cette affaire a été traitée. En tous cas, je me pose des questions.
Justement, est-il normal que le procureur général de la République (PGR) – c’est à dire le plus haut magistrat du ministère public au Congo – intervienne dans une infraction de « coups et blessures »?
Juridiquement, non! Que je sache, Koffi Olomide ne jouit nullement de privilège de juridiction. C’est un justiciable ordinaire qui doit comparaître devant une juridiction de droit commun. Les poursuites à engager relèvent donc du Parquet de grande instance. Les faits mis à sa charge, en l’occurrence « coups et blessures », sont de la compétence de ce Parquet. Le procureur général de la République n’a rien à voir. Il dispose néanmoins d’un « droit de regard » en tant que chef hiérarchique dans la mesure où le ministère public constitue un corps hiérarchisé. Il reste que ce droit de regard n’autorise nullement le PGR de s’immiscer dans la gestion des affaires traitées au niveau du parquet de grande instance comme c’est le cas dans le dossier Koffi Olimide.
Voulez-vous dire qu’il ne revenait pas au PGR d’émettre un mandat d’arrêt contre ce justiciable?
Je me demande bien pourquoi c’est le PGR qui a émis le mandat d’arrêt alors que le procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de la Gombe et ses substituts sont là pour accomplir cette mission…
On a appris que Koffi Olomide a passé la nuit du 15 au 16 août dans un cachot du PGR. Il y a donc un cachot au parquet général de la république?
C’est tout à fait normal. Chaque Parquet possède un cachot. Au niveau de Grande instance, il y a un cachot qu’on appelle l' »amigo ». Pendant l’instruction, il faut bien garder le justiciable en détention « quelque part » et non dans le bureau du magistrat instructeur. J’ai cependant du mal à comprendre le motif ayant poussé le procureur général de la République à garder le prévenu Olomide dans « son » cachot.
Vous avez sans doute appris que l’affaire a été jugée, jeudi 16 août, en « flagrance » alors que la « bagarre » a eu lieu dans un hôtel et que « Koffi » a été interpellé quelques temps plus tard dans un studio de la RTNC 2. Quelle est la définition d’une « infraction flagrante »?
L’infraction flagrante est une infraction dont la commission est actuelle et qui est portée à la connaissance immédiate de l’autorité judiciaire pour procéder à un jugement hic et nunc. Ici et maintenant. Dans le cas qui nous occupe, on peut difficilement parler de « flagrance » pour la simple raison qu’un laps de temps s’est écoulé entre la commission du fait et l’intervention de la justice. J’estime que les éléments constitutifs de la flagrance ne sont pas réunis.
Devrait-on parler d’une justice « instrumentalisée »?
Je n’oserai pas aller jusque là. Force est cependant de constater que la justice congolaise a toujours fonctionné comme cela. A la tête du client. Koffi Olomide a la notoriété qu’on lui connait. D’aucuns pourraient le considérer comme un « bon client » pour se faire un peu de sou à ses dépens. C’est une pratique que j’ai eu à vivre à mon époque…
Le tribunal de paix de Gombe a infligé à Olomide une peine de trois mois de servitude pénale avec sursis. Entre-temps, la victime a retiré sa plainte. Quel est votre commentaire?
Le retrait de la plainte n’éteint pas l’action publique ouverte par un magistrat. Seul le magistrat peut mettre fin aux poursuites. Dans le cas concret d’une infraction de « coups et blessures », il y a eu la cristallisation des faits infractionnels. En clair, le code pénal a été violé. Par conséquent, il faut une sanction. Je tiens à signaler qu’il y a des infractions où l’action publique peut s’éteindre en cas de retrait de la plainte. C’est le cas notamment de l’adultère. En revanche, le retrait de la plainte reste sans effets en ce qui concerne par exemple les coups et blessures, le vol, le viol. Ici, c’est le magistrat instructeur qui en décidera…
Mercredi 15 août, le Procureur général de République près la Cour suprême de justice émet un mandat d’arrêt contre le justiciable Koffi Olomide. Jeudi 16 août, celui-ci est jugé et par un Tribunal de paix. Serait-il excessif de parler de « désordre » au sein de l’appareil judiciaire congolais?
Cela fait un peu désordre. En fait, ce ne sont que les Congolais de l’étranger qui seront choqués. Les magistrats congolais, eux, soumis à une hiérarchisation draconienne, n’ont jamais vécu une autre réalité que celle là! En tous cas, le cas sous examen est malheureux. Il est temps que la justice congolaise devienne juste et sérieuse. Et que les patriciens du droit appliquent finalement les enseignements reçus dans les universités tout en appliquant la loi. Rien que la loi.
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi