Député national (Opposition), élu de Kasangulu, dans la province du Kongo Central, Jean-Claude Vuemba Luzamba était en séjour privé en France lorsque la nouvelle du décès d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba est tombée. De passage à Bruxelles, il a répondu à quelques questions de Congo Indépendant.
Que représentait Etienne Tshisekedi pour vous?
Ma réponse va peut-être vous surprendre. J’ai deux pères spirituels. Il y a d’abord le maréchal Mobutu Sese Seko qui a parrainé mes premiers pas dans le militantisme politique à partir de 1991, au lendemain du lancement du processus démocratique. J’ai participé à la création du MPR Fait privé. Il y a ensuite Etienne Tshisekedi wa Mulumba. J’ai été introduit auprès du président Tshisekedi par mon aîné Jacques Matanda. C’était en 2005.
Que répondez-vous à ceux qui disent que la disparition de Tshisekedi rend l’opposition congolaise orpheline?
Je considère que le peuple congolais est orphelin. Le président Etienne Tshisekedi représentait le Congo tout entier.
L’opposition perd néanmoins son porte-étendard…
Bien entendu! L’homme qui nous a quittés était le président du Conseil des sages du Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement. Pour lui rendre hommage, l’opposition doit se trouver un nouveau leadership capable de rassembler.
D’aucuns redoutent une implosion du Rassemblement. Qu’en dites-vous?
Il est notoire que le pouvoir kabiliste est toujours à l’affut de la moindre occasion pour déstabiliser les forces politiques et sociales de l’opposition. Au lieu d’affaiblir celles-ci, tout débauchage permettra à notre coalition politique d’assainir ses rangs en gardant les opposants les plus convaincus. Peu importe qu’il n’en reste que cinq. Nous tiendrons jusqu’à la tenue des élections.
Les discussions directes au Centre interdiocésain suscitent des critiques. Il est reproché aux professionnels de la politique de ne penser qu’au partage de postes. Votre réaction?
Je ne suis pas de cet avis. La lutte que nous menons depuis 2012 n’a jamais eu pour objectif le pouvoir pour le pouvoir. Vous savez autant que moi qu’à partir du 19 décembre 2016, M. Kabila n’a plus de mandat légitime. Les discussions sur le partage des responsabilités ont pour but de ne pas laisser les postes stratégiques à un pouvoir qui a failli à sa mission de conduire les Congolais aux urnes. L’insistance des représentants de l’opposition à occuper certains postes a pour but de ne plus laisser la majorité conduire les affaires publiques à sa guise. L’opposition tient à avoir un droit de regard sur les secteurs qui ont un lien direct notamment avec l’organisation des consultations politiques.
Les discussions du Centre Interdiocésain totalisent plus ou moins le même nombre de jours que le dialogue « facilité » par l’ancien Premier ministre togolais Edem Kodjo. Ne trouvez-vous pas que la population commence à manifester une certaine lassitude face à la politique politicienne?
La raison est simple: le pouvoir de M. Kabila ne veut pas lâcher du lest. Les cadres de la MP semblent ignorer que leur autorité morale n’exerce plus un pouvoir légitime.
Cette attitude de la MP ne serait-elle pas due au fait que l’opposition donne l’impression d’être affaiblie?
L’opposition n’est nullement affaiblie! Si l’opposition était affaiblie, les évêques catholiques n’auraient pas été sollicités pour conduire les discussions en cours.
Comment voyez-vous l’avenir?
Le dialogue touche à sa fin. Il n’y a que trois sujets qui restent à débattre. Il y a d’abord la désignation du Premier ministre. M. Kabila et ses amis veulent nous imposer un défilé des mannequins. Il nous demande de lui envoyer cinq noms. Soyons sérieux!
Un avis plutôt partagé par Raphaël Katebe Katoto, un des huit sages du Rassemblement…
Katebe partage cet avis parce qu’il est loin des résolutions de l’Accord du 31 décembre 2016. Cet accord indique que le Rassemblement enverra le nom du Premier ministre désigné au Président de la République. Nous avons opté pour cette formulation parce que nous nous attendions à ce que M. Kabila recourt à la ruse. Nous nous attendions qu’il réédite ce qu’il a fait à l’issue du dialogue de la Cité de l’Union Africaine. Vital Kamerhe était pressenti Premier ministre. Contre toute attente, c’est Samy Badibanga qui a été nommé. Nous ne voulons pas de ce genre de « coup ». M. Katebe a le droit de se porter candidat au poste de chef du gouvernement. Une telle démarche doit se faire au sein du Rassemblement. Or le Rassemblement, la Dynamique de l’opposition, le G7 et l’AR (Alternance pour la République) ont déjà présenté la candidature de Félix Tshisekedi à ce poste.
La mort de Tshisekedi wa Mulumba ne risque-t-il pas d’entrainer une redistribution des cartes?
Pas du tout!
Que répondez-vous à ceux qui disent que le seul mérite de « Félix » est d’être le fils de son père?
En Belgique, le Premier ministre Charles Michel est le fils de Louis Michel. Quelle était sa situation avant d’occuper ce poste?
D’aucuns pourraient vous rétorquer que Charles Michel avait déjà un parcours politique tant au niveau communal que du gouvernement fédéral…
Félix Tshisekedi traine derrière lui un parcours politique qui remonte à 1995. En France, Louis Fabius est devenu Premier ministre après avoir dirigé le ministère de l’Industrie durant un à deux années. En politique, toute ambition est légitime. Nous avons connu le garagiste René Monory à la tête du ministère français de l’Economie. Je pourrais citer également le cas du Premier ministre Pierre Beregovoy qui était à l’origine un cheminot. Les autodidactes ont droit de citer. Je peux vous dire que Félix Tshisekedi ne sera pas un homme seul. Il sera entouré d’une équipe. Cette équipe aura une seule mission: la tenue des élections. Mais avant d’atteindre cet objectif, le gouvernement va lutter contre la corruption. Il y a plus de quinze milliards de dollars qui échappent au trésor public. Ce chiffre a été porté à la connaissance du public par le professeur Emmanuel Luzolo Bambi Lessa, conseiller spécial en matière de Bonne gouvernance, la lutte contre la corruption et le blanchiment. Le futur gouvernement va commencer par éradiquer une corruption devenue pire que celle qui sévissait sous la Seconde République. Cette lutte permettra au gouvernement de rassembler 50 à 60% de fonds propres pour les élections. Il va sans dire que la CENI doit être restructurée au niveau de son bureau. La raison est simple: la CENI a échoué. Peut-on, dès lors, faire confiance à la centrale électorale dans sa configuration actuelle? Non!
Le combat d’Etienne Tshisekedi s’articulait sur trois axes principaux: la démocratie, l’Etat de droit et le progrès social. L’opposition va-t-elle reprendre le flambeau de ce combat inachevé?
Cela va de soi! On ne peut le faire qu’en ayant en mains les manettes du pouvoir.
Le Rassemblement va-t-il organiser des « primaires » pour se choisir un nouveau Président du conseil des sages?
Le choix sera fait par consensus. Les primaires c’est bien bon. Regardez ce qui se passe en France. Manuel Valls refuse de défendre le projet politique conçu par Benoît Hamon, le vainqueur des primaires de la gauche. Il est clair que toute compétition engendre de l’animosité.
Pensez-vous que la mort de Tshisekedi pourrait provoquer un sursaut au niveau des acteurs politiques pour sortir le pays de l’imbroglio actuel?
Les mêmes analystes qui suspectaient le président Tshisekedi de constituer un « goulot d’étranglement » s’interrogent aujourd’hui sur l’avenir du pays. L’avenir dépendra de notre capacité à respecter l’Accord du 31 décembre. C’est la seule condition pour aller de l’avant.
Ne Muanda Nsemi, leader de l’ex-Bundu dia Kongo (Bundu dia Mayala) a fait une déclaration tonitruante contre « Hyppolite Kanambe », c’est-à-dire « Joseph Kabila », en invitant celui-ci de quitter le pouvoir. Quelle est votre réaction?
C’est le même Muanda Nsemi qui plaidait récemment pour que Joseph Kabila reste au pouvoir pendant trois ans. C’est le même Muanda Nsemi qui était allé à Moanda pour demander au peuple Kongo de soutenir M. Kabila dans ce sens. Muanda Nsemi demande que M. Kabila « dégage » juste parce qu’il s’est chamaillé avec un membre de son mouvement qui a été promu vice-ministre. Il est fâché pour avoir exigé, sans succès, l’éviction de ce dernier pour le faire remplacer par quelqu’un d’autre. Voilà tout!
Voulez-vous dire que Ne Muanda Nsemi ne fait qu’exprimer des frustrations personnelles?
Absolument! Ce sont des frustrations personnelles. Ce conflit tient en quelques mots: ôtes-toi de là que je m’y mette!
Que pensez-vous de Moïse Katumbi Chapwe?
Je retiens de Moïse Katumbi l’image d’un homme courageux. Après une longue absence du pays pour recevoir des soins suite à son empoisonnement, il a osé, de retour à Lubumbashi, de mettre Joseph Kabila en garde contre un troisième mandat sous l’image d’un « troisième pénalty ». Depuis son arrivée dans les rangs de l’opposition, il est à la base d’un apport que personne ne peut ignorer au plan tant politique que financier. Sans omettre des actions de lobbying à travers le monde. Moïse Katumbi est à la pointe de l’avènement d’un Etat de droit au Congo-Kinshasa. Si le président Etienne Tshisekedi l’avait adopté c’est tout simplement parce qu’il avait cru en lui.
Que dites-vous à ceux qui objectent en ces termes: « Ce n’est pas parce qu’on a gouverné la province du Katanga qu’on doit prétendre diriger le Congo »?
Dans la vie, il faut commencer quelque part. Tous les observateurs impartiaux reconnaissent le travail accompli par Katumbi au Katanga. Les réalisations à mettre à son actif montrent qu’il peut assumer d’autres fonctions. L’homme a sans aucun doute un destin national. Hier encore, le ministre de la Communication et des médias Lambert Mende Omalanga clamait que Katumbi était le meilleur gouverneur de province.
A propos de Mende, n’avez-vous pas le sentiment que l’homme politique congolais souffre d’un manque criant de convictions en des valeurs? L’homme politique congolais est « progressiste » lorsqu’il broie du noir dans les rangs de l’opposition et devient aussitôt « conservateur » dès qu’il gravit les marches du pouvoir. Qu’en dites-vous?
C’est le système! Le problème tient en quelques mots: l’appât du gain facile…Vous avez néanmoins l’exception incarnée par Etienne Tshisekedi.
Comment peut-on expliquer que les opposants qui militaient jadis contre la dictature de Mobutu Sese Seko soient devenus les panégyristes de la dictature de « Joseph Kabila »?
« Le pouvoir change les hommes », disait le président Jacques Chirac en parlant de son ami de quarante ans, Edouard Balladur. Le pouvoir corrompt!
Le président Mobutu est mort depuis bientôt vingt ans. L’ancien Premier ministre Etienne Tshisekedi vient de disparaitre. Quelle était, selon vous, la cause profonde du différend entre les deux hommes?
Je vais vous raconter une anecdote. Le jour où j’ai été présenté au président Tshisekedi en tant que représentant du MPR fait-privé en France, il a eu ces mots: « Monsieur Vuemba, le Manifeste de la Nsele a été le meilleur projet de société que notre pays n’a jamais eu. Malheureusement, les animateurs du régime d’alors ne l’ont pas appliqué. Le slogan du parti était: MPR = servir; se servir non. Les acteurs politiques n’ont fait que se servir ». Il me dira, par ailleurs, qu’en écrivant la lettre ouverte au président Mobutu avec douze autres parlementaires, les signataires demandaient simplement l’avènement de la démocratie et l’Etat de droit. « Mal conseillé par son entourage, ajoutera-t-il, le président Mobutu a fait arrêter les 13 parlementaires avant de les reléguer dans l’arrière-pays ». Voilà comment est né le combat politique du président Etienne Tshisekedi. Vous vous souviendrez du voyage que ce dernier a effectué à Cap Martin pour rendre visite à son frère Mobutu. Je peux vous dire que le président Tshisekedi a été l’unique ami du maréchal Mobutu. Le seul ami qui le tutoyait. En se rendant chez Mobutu, Tshisekedi voulait qu’ils trouvent un terrain d’entente pour sortir le pays de la crise.
C’était sans doute trop tard avec la guerre de l’AFDL…
Vous connaissez la suite avec les conseillers à la Présidence de la République de l’époque…
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi