Coordinateur du mouvement citoyen « Filimbi » – qui signifie « coup de siflet » en Swahili – et du Front Citoyen 2016, Floribert Anzuluni Isiloketsi, vit en exil depuis le mois de mars 2015. Il livre sa lecture du double « geste » posé par « Joseph Kabila ». Jeudi 18 août 2016, Celui-ci a reçu, à sa demande, à Goma, une cinquantaine des activistes du mouvement citoyen « Lucha » (Lutte pour le Changement) dont les six camarades qui venaient de bénéficier d’une mesure de grâce collective. A en croire l’un des participants à cette rencontre en l’occurrence Luc Nkulula, le locataire du Palais de la nation leur avait promis de se pencher, « dans les 48 heures », sur le sort de leurs camarades qui étaient encore en détention. Vingt-quatre heures après, on apprenait, vendredi 19 août, la remise en liberté dans les prochains jours d’une trentaine de « prisonniers politiques et d’opinion ». Fred Bauma et Yves Makwambala, activistes de la Lucha et de Filimbi en font partie. Le défenseur des droits humains Christopher Ngoy Mutamba, mêmement.
Pour mémoire, le 15 mars 2015, des membres des associations précitées ont été arrêtés avec une brutalité inouïe dans la commune kinoise de Masina. Ils y avaient organisé un « atelier de réflexions et d’échange » sur « l’engagement citoyen » de la jeunesse congolaise. Leurs invités sénégalais de « Y en a marre » et burkinabé du « Balai citoyen » subirent le même sort avant d’être expulsés. Au cours d’un point de presse qu’il a tenu le 19 mars 2015, le ministre de la communication et des médias Lambert Mende Omalanga a qualifié cet événement de « tentative de déstabilisation des institutions nationales inspirée de l’extérieur ». Et d’accuser au passage les jeunes de Filimbi et de la Lucha d’avoir fait appel « à des instructeurs étrangers spécialistes en insurrections violentes (…) ». Pour « Floribert », « Joseph Kabila » devrait congédier non seulement l’administrateur général de l’ANR, Kalev Mutondo, mais aussi le ministre de la Communication et des médias, Lambert Mende Omalanga. Au motif que ces deux responsables avaient qualifié faussement leurs mouvements de « terroristes ». Interview.
Quel sentiment avez-vous éprouvé à la vue de la photo de « Joseph Kabila » en compagnie des membres de la Lucha qui venaient de s’entretenir avec lui?
Nous avons constaté que le pouvoir a savamment monté ce scénario. Cette photo avait pour but de démontrer que le président Kabila est à l’écoute de la jeunesse congolaise. L’autre objectif est de diviser cette même jeunesse en faisant croire que le chef de l’Etat n’a aucun problème avec les jeunes. Et qu’à la limite, ce sont les membres de son entourage qui ne lui transmettent pas, semble-t-il, des « informations fiables ». Nous avons été particulièrement affligés par cette photographie parce qu’elle ne reflète pas, alors pas du tout, la réalité de la répression dont le président Kabila est lui-même l’initiateur.
Que répondez-vous à ceux qui redoutent un dédoublement prochain de la Lucha?
Je ne pense pas qu’il en soit le cas. En tant que coordonnateur de Filimbi, nous n’avons, à ce stade, aucun doute sur l’engagement des membres de la Lucha. Nous pensons néanmoins qu’ils n’ont pas mesuré les conséquences de cette exposition. Le pouvoir en a profité pour distiller le doute sur leurs convictions en donnant l’impression que les membres du mouvement ont été « soudoyés ».
Des sources proches de la Présidence de la République « murmurent » que les « invités » de « Joseph Kabila » auraient reçu des « enveloppes » à l’issue de l’entrevue. Avez-vous eu un contact avec certains participants à cette rencontre?
Absolument! J’ai parlé avec certains d’entre eux. Je tiens à dire que nous nous connaissons très bien. A ce stade, il est clairement établi que la stratégie du pouvoir consistait d’abord à les recevoir. Ensuite, « immortaliser » ce rendez-vous par ce cliché. Enfin, créer la confusion au sein de l’opinion et particulièrement de la jeunesse en faisant circuler ce type de rumeur pour diviser la jeunesse. Après l’échange que nous avons eu avec eux, il semble effectivement qu' »on » a tenté de leur remettre « un peu d’argent » au moment où ils s’apprêtaient à quitter le lieu. Ils auraient refusé en demandant que ces sous soient affectés à l’organisation des élections. De ce point de vue, je pense très sincèrement qu’il n’en est rien.
Fred Bauma et Yves Makwambala sont libres. Allez-vous exprimé votre gratitude à « Joseph Kabila »?
Pas du tout! Pas du tout! Pas du tout! Le premier constat est très grave. Après avoir autorisé la libération de Fred Bauma et Yves Makwambala, le président Kabila devrait en même temps limoger le numéro un de l’Agence nationale de renseignements (ANR), le ministre de la Communication et des médias et porte-parole du gouvernement ainsi que toutes les personnes liées à ce dossier. Et ce tout simplement parce qu’il confirme qu’il y a encore des prisonniers politiques et d’opinion. Il confirme que les allégations extrêmement graves de « terrorisme » formulées à l’encontre non seulement de Fred et Yves mais de nous tous étaient fantaisistes. Des accusations dépourvues de fondement portées contre des jeunes cadres actifs et engagés. En libérant nos camarades, le président Kabila a confirmé que c’est lui seul qui régente la justice congolaise. Il avait ordonné l’arrestation de nos amis. Aujourd’hui, il a décidé de les relaxer. Nous n’allons nullement le remercier. En fait, il a libéré des « otages » qui ont été enfermés d’abord dans un cachot de l’ANR avant d’être transférés à la prison de Makala. Nous sommes heureux du fait que nos camarades qui ont été enlevés durant 18 mois puissent retrouver enfin la liberté. Je tiens à affirmer ici que nous n’arrêterons pas notre combat jusqu’à ce que Joseph Kabila quitte le pouvoir au plus tard le 19 décembre 2016.
Avez-vous eu l’occasion de parler avec Fred Bauma et Yves Makwambala depuis l’annonce de leur libération?
Ils ne sont pas encore formellement libérés. A ce stade-ci, le ministre de la Justice a simplement publié la décision de leur libération. Il importe de préciser que 90% des personnes reprises sur la liste diffusée par ce ministre avaient déjà retrouvé la liberté depuis plusieurs mois. Fred, Yves, Christopher Ngoy et Jean-Marie Kalonji sont les seuls qui bénéficient de cette mesure de libération. Les autres ont été relaxés bien avant. Nous avons échangé avec eux. Ils vont quitter la prison dans les 24 ou 48 heures.
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi