Juriste de formation, senior electoral adviser, Didier Nkingu est en colère. Administrateur à l’Aprodec Asbl, une association spécialisée dans les questions électorales, il se dit indigné par le contenu de « l’accord politique » signé le 18 octobre sous la facilitation de l’Union Africaine. Pour lui, les « dialogueurs » de la Cité de l’Union Africaine se sont rendus coupables de « complot en vue de changer l’ordre constitutionnel ». Il cite à l’appui le premier alinéa de l’article 196 du code pénal congolais. « Demain, il faudra instituer un Tribunal de Nuremberg pour le Congo » pour juger tous les complices du régime actuel dont les agissements n’ont rien à envier à ceux du régime de Vichy ».
Dans une tribune, vous avez qualifié l’accord politique issu du « dialogue » de « tentative de coup d’Etat constitutionnel ». Voulez-vous clarifier votre position?
De prime abord, il faut s’interroger sur la nature juridique de cet accord politique. Cet accord constitue-t-il une décision prise par une autorité et revêtue de la force obligatoire? S’agit-il d’une loi? Ma réponse est: Non! Pour qu’une règle de conduite puisse avoir force obligatoire, elle doit être promulguée et publiée dans le journal officiel. Ce qui est loin d’être le cas dudit accord. N’ayant pas force obligatoire, cet accord ne peut en aucun cas être opposable à tous. Pire, cet arrangement politique n’est ni plus ni moins que la concrétisation d’une tentative de renversement de l’ordre constitutionnel.
Quels sont les faits?
L’article 17 de cet accord [« (…), le Président de la République en exercice reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau président élu »] est une violation flagrante de l’article 220 de la Constitution. Cette disposition interdit toute révision constitutionnelle touchant notamment au nombre (2) et à la durée (5 ans) des mandats du Président de la République. Il y a ensuite la désignation d’un Premier ministre issue de l’opposition. Selon la Constitution, le chef du gouvernement doit être issu de la majorité parlementaire.
C’est vrai! Sauf que (je le cite de mémoire), si cette majorité n’existe pas, un informateur peut être désigné pour « déblayer le terrain » en vue de constituer une coalition…
Ce n’est nullement le cas ici …L’accord parle d’un Premier ministre issue de l’opposition. Il précise le délai de sa désignation soit 21 jours après la signature de l’accord politique. Il n’est nullement question d’un informateur. En fait, sans avoir la qualité, les « dialogueurs » se sont arrogé le pouvoir de réviser la Constitution. Qui leur a donné mandat? Je ne peux m’empêcher de regretter la participation active des organisations internationales à ce forum.
Dans votre tribune précitée, vous reprochez à l’Union Africaine – qui avait désigné le facilitateur Edem Kodjo – d’avoir violé la « Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance »…
Effectivement! Le cinquième alinéa de l’article 23 de ce texte prohibe le recours à tout amendement ou révision des Constitutions ou des instruments juridiques pour accéder ou se maintenir au pouvoir. Je me demande franchement si le Facilitateur était entouré par des juristes. J’ai été surpris de l’entendre parler de « composantes » pour désigner les différentes délégations. Une phraséologie pour le moins étrange.
La Cour constitutionnelle a autorisé la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) à reporter la date de l’élection présidentielle. La centrale électorale a invoqué à l’appui des « contraintes techniques » qu’elle assimile à une force majeure. Est-ce votre avis?
La Ceni est une institution permanente. A ce titre, elle peut organiser les élections à tout moment. Elle devait convoquer le scrutin de l’élection présidentielle quatre-vingt-dix jours avant l’expiration du mandat du président en exercice, c’est-à-dire le 19 décembre 2016. Le président de la Ceni invoque des contraintes techniques. Il reste, en revanche, muet sur les « contraintes juridiques ».
Lesquelles?
La loi organique impose à la Ceni l’obligation de procéder au découpage des circonscriptions électorales au prorata du nombre d’habitants sur base de données démographiques actualisées.
Voulez-vous dire que les consultations politiques devraient être précédées par un recensement administratif de la population?
Absolument!
Quel en serait la durée?
Deux à trois ans…
Pourquoi, selon vous, ce recensement n’a pas eu lieu lors de l’élection présidentielle et les législatives en 2006 et 2011?
L’article 9 de la loi organique du 23 juillet 2010 précise que la Commission électorale doit découper les circonscriptions électorales au prorata des données démographiques.
Comment expliquez-vous l’absence de recensement de la population en 2011?
Il y a eu violation de la loi. Je dirai même plus; le nombre d’électeurs a été falsifié. Une chose paraît sûre: on ne peut pas organiser les élections législatives sans un recensement préalable de la population. Au motif que le quotient électoral est déterminé non pas par le nombre des personnes enrôlées mais en fonction du nombre d’habitants.
Devrait-on conclure que la Ceni a failli à ses missions?
C’est clair! Elle devrait être réformée. Les dialogueurs, eux, estiment qu’après l’élaboration du fichier électoral, le gouvernement doit charger l’ONIP (Office nationale de l’identification de la population) du recensement de la population.
Le second et dernier mandat de « Joseph Kabila » expire le 19 décembre prochain. Le scrutin de l’élection présidentielle n’a pas été convoqué 90 jours avant cette date. Que va-t-il se passer le lendemain du 20 décembre 2016?
La Constitution a réglé cette situation en ses articles 75 et 76. Le 20 décembre prochain, le président en exercice est fin mandat. C’est une cause d’empêchement. La Constitution fait obligation au Premier ministre de saisir la Cour constitutionnelle pour constater cet empêchement.
Vous savez bien que tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains du chef de l’Etat…
N’empêche! Le 20 décembre, le Premier ministre est tenu de saisir la Cour constitutionnelle.
Que dites-vous du très controversé arrêt de la Cour constitutionnel du 11 mai dernier qui autorise « Joseph Kabila » de rester en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau président élu « afin d’éviter le vide au sommet de l’Etat »?
C’est un arrêt motivé par des considérations politiques.
L’élection présidentielle nécessite-t-elle un découpage des circonscriptions électorales?
Non! Et ce pour la simple raison que le pays tout entier constitue l’unique circonscription électorale. On peut organiser la présidentielle à très bref délai. Il faut naturellement disposer d’un fichier électoral.
Est-il possible d’enrôler les électeurs au moment du vote?
Cela est possible dans les pays où il existe un registre de la population. La mission de l’ONIP consiste à gérer ce registre et à délivrer la carte d’identité à chaque citoyen. En Belgique, les gens ne vont jamais se faire enrôler. A partir du registre de la population, les communes envoient des convocations aux personnes ayant l’âge de voter. En France, celui qui veut voter se fait inscrire en présentant sa carte d’identité.
Pourquoi, selon vous, le Congo-Kinshasa ne suit pas l’exemple de la Belgique et la France?
C’est une bonne question. Théophile Mbemba, alors ministre de l’Intérieur, avait engagé, en 2003, des pourparlers avec la société Zetes en vue de faire imprimer la carte nationale d’identité. Treize années après, le constat est là: rien ne s’est passé.
Où se situe le « blocage »?
Le blocage me parait délibéré. Il y a manifestement une volonté politique qui empêche l’émission et la délivrance de la nouvelle pièce d’identité. Je vous signale que la carte d’identification des militaires congolais est délivrée par la même société. Je crois qu’il y a des gens qui n’ont pas intérêt à ce que l’on sache qui est Congolais et qui ne l’est pas…
Des observateurs tant nationaux qu’internationaux ne voient pas « Joseph Kabila » prendre ses cliques et ses claques et quitter le Palais de la nation le 19 décembre. Que faire dans ce cas?
Le risque est grand de voir le pays renouer avec ses vieux démons…
C’est-à-dire?
On risque d’assister à la résurgence des rébellions. J’estime, pour ma part, que la communauté internationale a une part de responsabilité dans l’anarchie qui règne au Congo-Kinshasa. L’Union Africaine vient de la démontrer en violant la charte africaine de la démocratie, des élections et la gouvernance juste pour permettre à dirigeant africain de s’accrocher au pouvoir.
Pensez-vous qu’un « vrai dialogue » comme dit le « Rassemblement » est nécessaire pour écarter le risque d’une conflagration?
Oui, sauf que l’accord politique qui vient d’être signé ne peut être considéré comme une « base de travail ». Et ce pour la simple raison que les dialogueurs se sont rendus coupables de complot dans le but de changer l’ordre constitutionnel.
Vous considérez donc le « dialogue politique » qui vient d’achever ses travaux comme un « complot » contre l’Etat congolais?
Absolument! Les participants ont violé la Constitution. L’alinéa deux de l’article 64 de la loi fondamentale stipule: « Toute tentative de renversement du régime constitutionnel constitue une infraction imprescriptible contre la nation et l’Etat. Elle est punie conformément à la loi ».
Que faire pour sortir de cette impasse?
Il n’y a pas de recette miracle. On se trouve face à un homme qui ne croit qu’à la force des armes. Il appartient au Peuple congolais d’y opposer une Résistance par la désobéissance civile. Il faut espérer que la police et l’armée vont se joindront aux citoyens. Je tiens à dire ici que demain, il faudrait instituer un « Tribunal de Nuremberg pour le Congo » afin de juger tous les complices du régime actuel. Un régime dont les agissements n’ont rien à envier à ceux du régime de Vichy… »
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi