Questions directes à Cherubin Okende

Coordonnateur de la cellule des communicateurs de la majorité présidentielle, Cherubin Okende Senga, 55 ans, a claqué la porte de la MP le 27 août dernier. La décision a été prise à l’issue d’un congrès de son parti « FSIR » (Front social des indépendants républicains), une formation politique qui se veut « républicaine ». Okende et ses camarades invoquent des divergences fondamentales qui se résument à six mots: non-respect de la Constitution. En séjour en Belgique, « Cherubin » qui est également professeur assistant à la faculté de droit à l’université de Kinshasa et coordonnateur principal de la coalition « Front républicain des centristes » a répondu aux questions de notre journal. INTERVIEW.

Votre parcours renseigne que vous avez travaillé à l’Office congolais de contrôle, alors OZAC. Vous avez été plus tard député sous le régime de transition « 1+4 », avant d’assumer les fonctions d’administrateur-directeur général a.i des « Lignes aériennes congolaises » (LAC). Que s’est-il passé dans cette compagnie aérienne nationale?

Nous avons trouvé une compagnie aérienne nationale en déliquescence généralisée. Il n’y avait plus de flotte. Le personnel avait plus de 230 mois d’arriérés de salaire soit environ 18 ans de mise en veilleuse de tous les avantages conventionnels. Nous nous étions assigné le défi de relancer cette compagnie.

Avez-vous atteint cet objectif?

Je dirai oui, dans une certaine mesure. A titre d’exemple, nous avons acheté un Boeing 737 avec des ressources propres. Nous avons renoué le partenariat avec certaines compagnies en vertu des droits de trafic qui revenaient à la compagnie nationale. Nous avons eu à négocier la décote, de l’ordre de 85%, de la dette sociale de 132 millions USD. Nous nous étions engagés à payer le reliquat soit 15%. J’ai quitté les LAC en 2012 au moment où nous étions déterminés à conduire des réformes. En fait, certains dignitaires du pays lorgnaient sur le patrimoine immobilier de la compagnie. Lorsque nous avons eu l’autorisation du ministère du Portefeuille de disposer de certains actifs immobiliers qui n’interviennent pas dans l’exploitation de l’entreprise – afin de nous permettre de régler la problématique de la dette sociale -, il y a eu des injonctions discordantes du gouvernement des « surdoués » avec le Premier ministre Augustin Matata Ponyo. Voilà pourquoi, nous avons été relevés de nos fonctions sur la base d’une simple lettre du « Premier » alors que nous avons été nommés par une ordonnance du Président de la République. Une hérésie juridique.

Que pensez-vous de la liquidation du patrimoine immobilier des « LAC »?

C’est une bêtise. Mieux, de l’incurie. Le programme que je viens d’évoquer visait l’assainissement du passif contraignant afin de relancer la compagnie nationale. On ne pourra jamais avoir de meilleure compagnie que les « LAC » qui disposent des infrastructures que nulle autre ne peut détenir dans ce pays. Sans omettre les droits de trafic en tant qu’instrument désigné de l’Etat. La compagnie aérienne nationale disposait et peut encore disposer des atouts pour sa relance. Le problème réside au manque de volonté politique.

Sans parti pris, que pensez-vous de la compagnie aérienne « Congo Airways »?

Le projet « Congo Airways » aurait pu être crédible et rationnel si seulement si le gouvernement avait utilisé des méthodes classiques de relance et de lancement d’une compagnie aérienne. Malheureusement, tout s’est fait presqu’à la sauvette. On nous a annoncé l’arrivée des avions pimpant neufs. Le lendemain, certains de ces aéronefs ont été cloués au sol suite à telle ou telle autre panne. Le gouvernement Matata a mal copié le business plan des « LAC ». Nous avions prévu de tendre vers le partenariat public-privé après l’assainissement de l’entreprise. L’objectif était la création d’une grande compagnie aérienne dénommée « RDCongo Airways ». Nos partenaires étaient prêts à apporter huit aéronefs. C’est le cas d’un groupe chinois et de « Salena » au Grand-Duché de Luxembourg. Ce dernier partenaire était disposé à fournir une dizaine d’appareils. Les dirigeants congolais actuels ont eu l’impérium. Ils en ont fait ce qu’ils ont bien voulu faire. La création de Congo Airways n’a pas résolu le problème.

A partir de quel moment avez-vous rejoint la majorité présidentielle?

Je crois pouvoir dire que je fais partie des co-fondateurs de l’Alliance de la majorité présidentielle (AMP) en 2006. Après la fin du régime de transition, nous avons créé notre propre parti. C’est ainsi que nous avons mis sur pied le « Front social des indépendants républicains ». Lors de l’élection présidentielle de 2006 au cours de laquelle s’affrontaient 33 candidats, nous avons opté pour le président-candidat Joseph Kabila. Nous avons estimé que l’homme avait tenu plusieurs de ses promesses faites en 2001.

Vous étiez le coordonnateur de la cellule des communicateurs de la MP. A partir de quel moment avez-vous eu la conviction que vous n’émettiez plus sur la même longueur d’ondes avec vos camarades?

Lorsque nous avons commencé avec André-Philippe Futa comme secrétaire exécutif de la majorité tout allait bien. Nous avions vraiment le sentiment d’être membre à part entière d’une famille politique. Le débat était ouvert. Même si au finish, il devait y avoir des orientations à prendre. A l’époque de Louis Koya Gialo, mêmement. L’ambiance était bonne. Les choses ont commencé à se gâter à la veille et après les élections de 2011. C’est entre 2012 et 2013 que nous avons senti une « dérive du leadership ».

C’est-à-dire?

Le débat n’était plus ouvert. On ployait sous le poids des mots d’ordre. Finalement, on ne savait plus où on allait. Nous croyions encore à la loyauté envers la République. Nous avons fini pas constater que les principes qui sous-tendent l’éthique par rapport à l’ordre républicain commençaient à être énervés avec les tentatives de tripatouillage de la Constitution. Sans omettre un certain angélisme et le culte de la personnalité. Nous nous sommes demandé si nous n’étions pas revenus à l’époque de « Djalelo » et de la dictature du maréchal Mobutu. Ces atavismes dictatoriaux ne nous ont pas permis de rester dans cette famille politique. Nous avons fait preuve de patience en formulant nos observations de l’intérieur. En vain.

Quel est l’événement précis qui vous a poussé à claquer la porte de la MP?

C’est surtout cette propension à tripatouiller la Constitution. Rappelez-vous l’ouvrage « Entre la révision de la Constitution et l’inanition de la nation ». Tout cela procédait d’une logique et d’un plan qu’on n’a pas eu à partager au sein de la majorité. Par loyauté vis-à-vis de la République, nous ne nous sentions pas tenu de suivre ce cheminement. C’est pour toutes ces raisons que nous avons convoqué le congrès de notre formation politique. Nous avons résolu de quitter la MP librement de la même manière que nous étions entrés.

A vous entendre parler, vous semblez proche des « frondeurs » du G7…

C’est une expression que j’ai toujours récusé. Pourquoi les a-t-on qualifiés de frondeurs? Contrairement à ma situation, Olivier Kamitatu était ministre du Plan. Je pourrai citer également – paix à son âme – Charles Mwando Nsimba qui était 1er vice-président de l’Assemblée nationale. Sans oublier Pierre Lumbi qui assumait les fonctions de conseiller spécial du chef de l’Etat. Par respect pour les valeurs républicaines, ces personnalités ont accepté de perdre les privilèges attachés à leurs postes. Par cet acte, elles ont prouvé leur attachement plus à la République qu’à un individu. Même si je ne suis pas membre du G7, je crois que la vision est la même. Nous devons nous battre pour l’avènement de l’Etat de droit démocratique. Il s’agit d’honorer la mémoire de tous ceux qui ont payé de leurs vies en réclamant la démocratie et l’Etat de droit.

Que répondez-vous à ceux qui disent qu’il ne peut y avoir d’Etat de droit que là où règne la démocratie?

Je crois plutôt qu’on ne peut bâtir une démocratie sans les démocrates. La démocratie doit commencer au sein de nos partis politiques. Je pense qu’il s’agit d’une vision qui doit être partagée par l’ensemble de notre peuple afin que nous puissions bâtir « un pays plus beau qu’avant ».

Que pensez-vous du « dialogue » piloté par Edem Kodjo et celui qui se déroule actuellement au Centre interdiocésain sous la médiation des évêques catholiques?

J’ai toujours été intransigeant par rapport à la formule du « dialogue « made in Kodjo ». Ce forum n’a été en réalité qu’un monologue. Des compatriotes qui étaient censés être de l’opposition qui se sont sentis obligés de rejoindre une certaine majorité. S’agissant des assises en cours sous l’égide de la Conférence épiscopale nationale du Congo, je crois qu’un effort a été fait dans le sens resituer le véritable nœud de la crise politique. Ce nœud n’est autre que le président Kabila qui ne veut pas faciliter l’alternance au sommet de l’Etat. C’est le président Kabila qui n’a pas voulu, à l’expiration de son deuxième et dernier mandat, il est en train d’envisager les possibilités pour déverrouiller les dispositions intangibles de la Constitution pour pouvoir rempiler. Le nœud de la crise artificielle que nous vivons aujourd’hui se trouve à ce niveau-là. Il n’y a pas eu de volonté politique pour respecter le cycle électoral. Insidieusement, on a laissé les différents mandats « glisser » en mettant tout le monde devant un fait accompli.

Le dialogue qui se déroule sous les bons offices des évêques pourrait-il réussir?

Je positive les choses parce que les princes de l’église n’ont pas à flatter qui que ce soit. C’est une caution républicaine que nous leur donnons afin que nous puissions sauver le pays. Ces assises ont défini certains concepts qui doivent nous permettre de rester dans le respect de la Constitution. Quelles sont les implications de ce respect de la Constitution par rapport à la gestion des institutions? C’est là que le Front des républicains centristes dont j’assure la coordination avait déjà relevé qu’on ne peut pas gérer la République sans envisager le principe responsabilité et de la redevabilité. Quand on examine la situation à la lumière de ces deux principes, on établit sans ambages que la responsabilité du président Joseph Kabila est engagée dans le dérèglement généralisé de nos Institutions. Le chef de l’Etat a les prérogatives d’observer et de faire respecter la Constitution. Lorsqu’il y avait un décalage entre le gouvernement et la Ceni (Commission électorale nationale indépendante), le Président de la République avait-il exercé son meilleur arbitrage pour assurer le fonctionnement régulier des Institutions? Non, il ne l’a pas fait. Lorsqu’on rabiboche sur le deuxième alinéa de l’article 70 que « le Président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du Président élu ». Il faut également dégager le lien juridique existant entre cette disposition et l’article 73. Il ne s’agit pas d’un Président à élire mais d’un Président élu. Le scrutin présidentiel devait être convoqué au moins 90 jours avant la date d’expiration du dernier mandat. Cela suppose que le cycle électoral qui est de cinq ans aura été respecté. Pour nous, la responsabilité du Président en exercice est engagée. C’est le cas également dans les rebuffades que nous vivons aujourd’hui dans l’application de l’accord du 31 décembre. C’est une stratégie de la diversion utilisée par la majorité.

Que pensez-vous de ceux qui pourraient, après lecture de vos propos, conclure que Cherubin Okende ne fait qu’exprimer des « frustrations personnelles »?

Si mon attitude était motivée par des frustrations personnelles, j’aurai quitté la majorité depuis 2012. J’ai la conviction que si le Congo se porte bien tous les Congolais en tireront profit. Si le pays patauge comme c’est le cas aujourd’hui, nous allons tous patauger. Au lieu de choisir un individu, nous avons choisi la République.

Lors de l’inauguration du « QG » de campagne de la MP. Aubun Minaku, le secrétaire général, a déclaré que la majorité possède le « meilleur projet de société ». Quel est votre commentaire?

S’agissant du QG de campagne, cela ne me concerne plus étant donné que je ne suis plus dans la MP. En ce qui concerne le projet de société, je vous avoue que nous avons contribué modestement et humblement à l’élaboration du projet de société dit « les Cinq chantiers de la République ».

A propos des « Cinq chantiers », qu’en est-il du bilan?

C’est ça la question fondamentale. Sur papier, les Cinq chantiers ne manquent pas de pertinence. Mais, il faut quitter la rengaine et arriver à l’exécution proprement dite. Nous nous sommes évertués depuis dix ans à appliquer ce projet. N’ayant pas été membre du gouvernement, je ne suis nullement tenu à l’obligation de rendre compte. En vertu du principe de la redevabilité, il faudra demander des comptes à tous les camarades qui ont défilé dans l’Exécutif. Ils doivent nous expliquer où ils en sont. A titre d’exemple, le gouvernement Matata Ponyo avait promis, sur la base d’une démagogie, de construire 5.000 écoles à raison de 1.000 écoles par an. Combien d’écoles ont-elles été construites? Combien de kilomètres de routes ont été construits?

Quid de la « révolution de la modernité » lancée le 20 décembre 2011?

Comme je l’ai dit précédemment, il y a eu plus d’effets d’annonce que des réalisations. J’ai participé à la vulgarisation de cette vision de « Révolution de la modernité ». J’assume ce que j’ai fait à l’époque. Je tiens à dire que ce n’est pas le temps de reniement. C’est le temps de la lucidité politique et surtout de loyauté vis-à-vis de la République. Chacun de nous doit être comptable de ses actes par rapport aux responsabilités qu’il a eu à assumer.

S’il vous était donné de rencontrer « Joseph Kabila », que pourriez-vous lui dire?

Je ne pourrais que l’exhorter à écouter la voix de la sagesse. Et à ne pas entraîner la République sur des chemins tortueux qui mettent en péril la vie de tout un peuple. Il ne peut pas, par entichement personnel au pouvoir, hypothéquer l’avenir d’une nation. Je lui dirai qu’il a aujourd’hui une occasion formidable de quitter le pouvoir de manière honorable et de jouir du statut de sénateur à vie. Il serait mal inspiré de ramener le pays dans les atavismes dictatoriaux à l’image de ce que nous avons connu sous la Deuxième République. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, ce sera du gâchis. Rien que du gâchis

 

Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi

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