« Pas grand-chose! », est-on tenté de répondre. Trois semaines après la publication du « communiqué conjoint » signé en date du 6 mars dernier entre le CACH (Cap pour le changement) et le FCC (Front commun pour le Congo) représentés respectivement par Jean-Marc Kabund-A-Kabund et Néhémie Mwilanya Wilondja, les recommandations réciproques formulées dans ce texte tardent à se concrétiser. Qu’est ce qui coince? Depuis la signature de ce document, beaucoup d’eau a coulé sous le pont. La controverse née après la suspension de l’installation des sénateurs et le report de l’élection des gouverneurs a laissé des plaies psychologiques. La « coalition » tant claironnée pourrait prendre la forme d’une « féroce cohabitation » entre la majorité présidentielle incarnée par « Fatshi » et la « majorité parlementaire » dont se prévaut, à tort ou à raison, « Joseph Kabila » et ses affidés. Ambiance!
Dans le communiqué signé le 6 mars, Jean-Marc Kabund et Néhémie Mwilanya ont, au nom de leurs cartels respectifs, formulé des « obligations réciproques » selon les formules consacrées dans les contrats. D’une part, « Joseph Kabila » devait « procéder à la désignation du formateur du gouvernement ». De l’autre, le président Felix Antoine Tshisekedi Tshilombo, lui, serait tenu de « nommer diligemment ledit formateur du gouvernement ».
L’adverbe « diligemment » vient du mot « diligence » qui signifie: « rapidité dans l’exécution d’une tâche ».
N’en déplaise à Martin Fayulu qui considère que « c’est Joseph Kabila qui dirige toujours tout » (voir interview dans La Libre Belgique datée du 11.03.2019), force est de constater que le président Felix Tshisekedi Tshilombo se hâte plutôt très lentement.
LE « BRAS FINANCIER » DE « KABILA »
Dès le lendemain de la publication dudit communiqué conjoint, on a assisté à une course aux pronostics. Le nom d’Albert Yuma Mulimbi revenait sans cesse comme le « Premier ministrable » favori. Parmi les outsiders, on cite notamment le ministre sortant des Finances, Henri Yav Mulang. D’aucuns d’ironiser que c’est le retour de la manivelle. « Kabila » devrait transmettre à « Felix » les noms de trois ou quatre candidats. Celui-ci aura le loisir de choisir un nom en vertu de son « pouvoir discrétionnaire ».
Les Zaïro-Congolais ont la fâcheuse habitude d’assimiler le pouvoir discrétionnaire au « bon vouloir » de l’autorité concernée. Bref, un pouvoir arbitraire. Et pourtant, le pouvoir discrétionnaire est un pouvoir légal dans la mesure où la décision à prendre doit privilégier l’intérêt général. Au cours de ces deux dernières décennies, « Joseph Kabila » a démontré qu’il considérait l’imperium comme un « bien personnel » et non comme une charge. Un service à rendre à la collectivité.
Revenons à Yuma. Président du conseil d’administration (PCA) de la Gécamines, proche parmi les proches de l’ancien président « Kabila », Yuma est réputé comme étant le « bras financier » de ce dernier. L’homme est l’antinomie même du « renouveau » que les Congolais appellent de leur vœux. Gestionnaire-pirate, sans foi ni loi, il a mis la société d’Etat Gécamines à genoux à force de brader le patrimoine minier de l’Etat. La seule évocation de son nom provoquerait des « éternuements » dans certaines chancelleries.
La personne de l’actuel PCA de cette société d’Etat ne serait pas l’unique cause du « blocage ». Une série de polémiques est venue corser une ambiance de « guerre froide ».
Au commencement était l’élection controversée des sénateurs dans 24 provinces sur 26. A Kinshasa, l’UDPS qui compte douze députés provinciaux dans la capitale n’a pas su arracher un seul siège dans la chambre haute provoquant l’ire de la « Base » de ce parti réputée bruyante. La suite est connue. Il y a eu des actes de vandalisme en province et à Kinshasa. Le siège provincial du PPRD a été attaqué dans la capitale. Au Kasaï oriental, un fonctionnaire de la police a été tué.
MALADRESSE
Dans un communiqué publié le samedi 16 mars, le « dircab » à la Présidence Vital Kamerhe annonça notamment que le président Tshisekedi a reçu le même jour des délégués des militants du CACH/UDPS « frustrés par le comportement de leurs députés provinciaux pour les inviter au calme et les informer de la tenue lundi 18 mars à 10h00 d’une importante réunion interinstitutionnelle(…)« .
Certains juristes ont chahuté l’attitude adoptée par le premier magistrat du pays. D’autres, l’ont applaudi au nom de la « moralisation » de la vie politique et de la « lutte contre la corruption ».
L’auteur de ces lignes n’a pas manqué de noter dans ces colonnes que la démarche adoptée par « Fatshi » était maladroite dans la mesure où elle naviguait entre le « conflit d’intérêt » et la « faute politique ». L’homme politique devenu chef de l’Etat n’appartient plus à un parti. Il est au service de la nation toute entière. En agissant comme il l’a fait, le successeur de « Kabila » a apporté de l’eau au moulin de ses « partenaires » et néanmoins adversaires du FCC. Ceux-ci se sont empressés de l’accuser de « parjure ».
Lundi 18 mars, les « kabilistes » ont tombé le masque. Le « bureau politique » du PPRD a sorti le « bazooka » en qualifiant les résolutions prises (suspension de l’installation du Sénat et report de l’élection des gouverneurs de province) lors de la réunion précitée d’ « anticonstitutionnelles ». Au motif que le cadre choisi n’a aucun pouvoir décisionnel. Surprise: le MLC de Jean-Pierre Bemba dénonce de l’ « amateurisme au sommet de l’Etat ».
UNE « FÉROCE COHABITATION »
De son côté, le FCC reste dans le « bois ». Le Front a fait appel à deux « snipers » pour « canarder » le locataire du Palais de la nation devant la Cour constitutionnelle. L’accusation est gravissime: « violation de la Constitution ». Le premier « plaignant » se nommerait Pius Romain Rolland N’ghoy. L’homme se dit « journaliste indépendant ». Le second se présente sous le patronyme de Jean-Eustache Lomboto Lofembe. Tous les deux sont inconnus au « bataillon ».
La dernière salve émane de l’ex-opposant Jean-Lucien Bussa Togba. Dans une « motion d’information » qu’il a lue dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, l’ancien ministre FCC du Commerce extérieur s’est interrogé si le Président de la République avait « le pouvoir de suspendre le processus électoral ».
On le voit, le communiqué conjoint signé le 6 mars dernier par les représentants du CACH et du FCC ressemble de plus en plus à un vulgaire bout de papier. L’enthousiasme n’est plus ce qu’il était au lendemain de la proclamation des résultats provisoires de l’élection présidentielle.
La polémique suscitée par les décisions prises lors de la réunion interinstitutionnelle, du 18 mars dernier, ont laissé des plaies. Des plaies qui seront difficiles à cicatriser.
Entre le CACH et le FCC, la coalition parait désormais impossible. Les deux partenaires semblent s’acheminer vers une « féroce cohabitation » à l’image du fameux jeu « je te tiens, tu me tiens par la barbichette… »
Baudouin Amba Wetshi