Que faudrait-il faire pour construire un nouveau Congo ?

Bamba di Lelo

Bamba di Lelo

Il est évident que le Congo-Kinshasa va mal. Certainement il va de mal en pis. Car, il ne décolle pas, il s’est embourbé depuis des lustres, ne sachant pas trop quelle route prendre pour sa refondation. Depuis le combat des pères de l’Indépendance jusqu’à nos jours, une analyse pointue de la situation socio-politique nous montre que le mal que traverse ce pays est profond. Il est au cœur même des Congolais. Cependant, ce qui est en contradiction flagrante avec l’objectif poursuivi par les pères de l’Indépendance. Eux, pourtant avaient atteint leur but, dès lors qu’ils ont acquis, sans ambiguïté, l’indépendance immédiate, le 30 Juin 1960.

Ces derniers, en effet, ont réussi, au moins, à arracher la liberté des mains de la puissance coloniale qui voulait, à tort ou à raison, se donner 30 ans supplémentaires, arguant que c’est pour mieux préparer les Congolais à accéder à la souveraineté internationale. Et pourtant la liberté n’obéissait pas, heureusement, à cette logique colonialiste, car la liberté ne se donne pas sur un plateau d’argent, mais la liberté s’arrache. Alors, disons bravo à ces pères de l’indépendance qui ont souffert d’humiliations et de tant de sacrifices pour obtenir l’indépendance totale et un pays uni, exempt de la haine et des divisions tribales, il s’agit de: Kasa-Vubu, Lumumba, Bolikango, Tshombe, Gbenye, Nzeza Nlandu, Kingotolo, Kalonji, Gizenga, Kashamura, Kamitatu, etc.

A partir de l’avènement des nouveaux acteurs politiques, et à leur tête, Joseph-Désiré Mobutu, ayant perpétré le coup d’état, le Congo choisit l’option d’une gestion hors-la-loi, une gestion domestique, empirique et artisanale. Concrètement, le coup d’état de Mobutu était la consécration d’une certaine manière de se comporter : on choisit la force et l’arbitraire, en sacrifiant la loi. En 1964, on venait précisément de voter une nouvelle constitution, celle de Luluabourg (Kananga aujourd’hui), en remplacement de la Loi Fondamentale que les Belges ont rédigée pour le nouveau Congo indépendant. Après les élections de 1964, élections qui se sont bien déroulées dans l’ensemble du territoire national, la nouvelle constitution de Luluabourg est restée lettre morte, et flanquée dans les tiroirs du nouveau conquérant, le nouvel homme fort du régime politique congolais. Et cela a duré 32 ans fermes. On sait que dans la suite, Mobutu a fait rédiger une nouvelle constitution, taillée à sa mesure pour bien consacrer l’état hors-la-loi, l’état de délinquance politique, qu’on pourrait appeler « dictature ».

Après les années de Mobutu, de Laurent-Désiré Kabila, de Joseph Kabila, où en est le Congo aujourd’hui dans le domaine de développement et de l’émergence comme nation au cœur de l’Afrique ? On pourrait dire que Mobutu qui avait une certaine dictature éclairée, a su donner la fierté d’être congolais, a assuré la cohésion nationale, en léguant à la postérité un pays puissant et craint à travers le monde, n’ayant pas préparé personne à sa succession, croyant qu’il était éternel. Ainsi, il a laissé le Congo au bord du chemin, exposé aux prédateurs de partout, dont le petit Rwanda. Cela n’a été que trop vrai, car l’AFDL a pris le pouvoir dans un contexte de guerre soi-disant de libération, mais une prise de pouvoir hors-la-loi, qui mieux est, ce fut une occupation. Laurent-Désiré n’a pas vu venir cela, il s’est instrumentalisé et piégé. Et lorsqu’il voulait se réveiller, ce fut trop tard. La mort par assassinat a eu raison de lui. Ce fut l’ère de la prédation des richesses du Congo, ouverte à tout l’univers. Le Congo entrait ainsi dans un nouveau calvaire dont l’issue restait incertaine.

Aujourd’hui, le Congo de Joseph Kabila Kanambe, un sinistre personnage s’il en est un, est un pays martyr et sans défense, vampirisé à outrance par ce dernier. Une vache à lait dont les enfants du Congo en étaient très loin écartés, des mamelles de leur mère-patrie, aux conséquences désastreuses. Et cela a entraîné un désastre social incomparable. Au niveau des personnes, c’est la misère qui engendre des maladies, des morts, un dépérissement général de la santé des enfants de notre peuple. Les hommes et les femmes ont été mis dans un cycle de paupérisation bien calculé, et au bout du compte, nous avons récolté en 18 ans du règne kabiliste, un Congo squelettique, mis en lambeaux, méconnaissable, jeté dans la poubelle de l’histoire de l’humanité.  En effet, la constitution promulguée en 2006 par Joseph Kabila fut taillée à sa mesure. Les Congolais en ont eu pour leur compte, car ce jeune homme âgé de 29 ans fut rapidement adopté, ne sachant pas qu’il allait leur en faire voir de toutes les couleurs dans le domaine de la régression sociétale. Le Congo de ce jeune militaire des Forces patriotiques rwandaises fut davantage transformé en une jungle où la raison du plus fort faisait la loi:  précisément le Rwanda et la cohorte des multinationales ont fait main basse sur le pauvre Congo du fait de ses richesses du sol et du sol-sol. Et ce malheur dure encore jusqu’à ce jour, en dépit de l’avènement d’un fils du pays Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, qui, malheureusement patauge et ne semble pas donner des pistes de sortie de crise et les perspectives d’une vie meilleure.

Cela étant, aujourd’hui, de partout, se font entendre des cris de détresse. Non, le Congo n’est pas encore sorti de l’auberge. Le Congo va mal, et il va très mal.  Tout le monde s’interroge et se demande « Qui nous fera voir le bonheur » ? Qui ? Cela veut dire quel est l’oiseau rare, quel est ce fils du Congo charismatique qui pourrait rallumer la flamme de l’espérance de tout un peuple dont les visages sont inondés de larmes? Je serais tenté, en tant qu’analyste politique, confronté chaque jour à des phénomènes politiques, de proposer à mon peuple un Congolais de la trempe du Docteur Denis Mukwege, pour sa connaissance du terrain et pour son sens patriotique, ainsi que son dévouement à la cause de la nation congolaise. C’est dans cette école-là qu’il faut trouver des dirigeants de demain pour un Congo nouveau.

Que faire pour reconstruire un autre Congo? Même si aujourd’hui, cet oiseau rare serait Denis Mukwege ou quelqu’un de son école, il faut un changement au niveau de notre logiciel mental, car le Congo a perdu toutes valeurs morales, tout a été renversé, le bon est dit mauvais, le mauvais est dit bon. Comment veut-on aller de l’avant dans ce contexte ? Les politiciens congolais s’interrogent-ils sur le mal ontologique qui mine la classe des gestionnaires politiques de notre pays ? Pensent-ils un instant qu’il faut renverser la pyramide pour déraciner, dans le cœur de l’intellectuel congolais, cette délinquance intellectuelle qui, comme un cancer, ronge et détruit son cerveau ?

A titre d’exemple, partons d’une intervention au parlement d’un député national qui tenait à dénoncer l’hypocrisie des élus du peuple concernant l’adoption du budget annuel, mais dont la mise à exécution de la loi des finances est tout simplement détricotée par les gestionnaires au détriment du bien de notre peuple. Il s’agit là de la délinquance financière dans le chef du gouvernement et de la présidence de la république. Au fond, entre le député Delly Sesanga et le président de l’Assemblée nationale Christophe Mboso, il y a eu une regrettable altercation, jusqu’à retirer la parole à cet élu du peuple ! Dans quelle démocratie sommes-nous ? Un vocabulaire y a été utilisé, cela nous intéresse de nous y arrêter un peu : la délinquance financière. Quelques députés ont pris cela pour une injure, alors que c’est bel et bien une réalité dans le monde financier de nos nations. L’ignorance habite nombre de nos élus du peuple. J’ignore également si le président de l’Assemblée nationale est au parfum de cette réalité qu’il ne fallait pas prendre pour une injure, mais bien plutôt pour un acte de criminalité financière. Et l’acte de criminalité financière est un domaine particulier, tel qu’on le définit généralement, de la criminalité regroupant les activités financières illégales, échappant aux lois des différents pays. On parle aussi d’escroquerie et de « criminalité en col blanc ». Là, manifestement, le député maîtrisait son sujet, ce qui ne fut pas le cas de la part de quelques-uns de ses pairs, tel le président de l’Assemblée nationale qui n’a pas saisi la signification du concept de la délinquance financière. Bref, souvent, on tombe dans l’illégalité quand on veut se mettre au-dessus de la loi. Personnifier la loi à un individu au pouvoir, c’est une catastrophe, une ruine qui a conduit le Congo à la faillite. On peut passer 100 ans avec ce renversement des valeurs et ce reniement de la loi comme constitutive d’un Etat, rien ne pourra changer au Congo Kinshasa. Nous insistons pour réaffirmer que si on garde le même logiciel central, avec ce même dynamique, rien ne pourra changer ! Des générations se succéderont, l’une après l’autre, le résultat sera le même. C’est la mort du Congo. On doit donc renverser la dynamique : la loi doit être au-dessus des hommes, et non le contraire !

Le mal profond, c’est le non-respect de la loi, surtout par les autorités politiques, qui devraient donner l’exemple et garantir, pour le bien de tous, la stricte observance de la loi de la république. Pour refonder l’Etat congolais, il ne suffit pas de changer des hommes, encore faut-il que ces derniers soient prêts à se soumettre à la loi pour en garantir l’observance par tous. La solution, pour y revenir une fois encore, serait de changer le logiciel mental et de renverser par ailleurs la pyramide de la loi, c’est-à-dire que la loi doit être au-dessus de tous et non en-dessous de quelques-uns. Par exemple, le chef de l’Etat Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo est concerné par cette dynamique de changement, d’autant plus qu’il est, à ce titre, le magistrat suprême censé garantir le respect de la loi par tous, en commençant par lui-même. La tendance est observable que beaucoup de conseillers de la présidence et de plusieurs autorités politiques et administratives, à tous les échelons de notre pays, pèchent trop souvent dans ce domaine et se prennent la tête pour se donner une autorité qu’elles n’ont pas devant la loi.  Voilà la condition suprême à respecter si les Congolais veulent vraiment faire de leur Congo, un pays de droit, de l’ordre et de la discipline.

Pour terminer, que nous faut-il retenir et que faire pour redonner au Congo-Kinshasa un visage plus radieux et plus rassurant d’un nouveau Congo ? Et pourtant, on a souvent tendance de parler que des vieux doivent être remplacés par des jeunes pour que l’appareil étatique de la République Démocratique du Congo fonctionne parfaitement. Or, ce n’est là qu’une illusion et un manque de connaissance approfondie du fonctionnement des sciences politiques, sociales et administratives dans notre pays. Le problème essentiel réside au niveau du comportement et de l’agir de l’homme congolais qui voit blanc là où c’est bleu, et les hommes politiques censés éduquer la masse se comportent aussi comme des véritables mercenaires, voire des vampires qui ont conduit inconsciemment, peut-être, la République Démocratique du Congo à la faillite.

Le logiciel mental des politiciens congolais serait définitivement défectueux et il va falloir le remplacer, le renouveler pour stopper cette inversion des valeurs par une éducation civique soutenue… C’est une entreprise de longue haleine qui permettra au Congo-Kinshasa de décoller à court, voire à moyen et long terme.

C’est donc là, l’une des conditions essentielles et cardinalices, pour faire évoluer durablement le Congo vers sa maturité et son plein essor dans tous les domaines. C’est la tête de l’homme congolais qu’il faut exorciser et guérir rapidement, et une fois pour toutes.

Bamba di Lelo
Docteur en Sciences politiques de l’UCL
Aanalyste des Questions politiques du Congo
jbadil@hotmail.be

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