La presse au service des criminels en col blanc
Dans un article publié le 20 mai intitulé « Sur la trace d’une campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux en RDC » l’ONG Global Witness établit des liens entre une entreprise de relations publiques politiquement connectée et une campagne de dénigrement en ligne ciblant Global Witness et ses partenaires (https://www.globalwitness.org/fr/drc-smear-campaign-fr/).
Depuis 2 à 3 ans, on constate en effet que le phénomène du « coupage » dans la presse congolaise a pris une autre dimension. Il ne s’agit plus d’exiger de la menue monnaie pour publier des articles favorables aux payeurs mais de publier et signer des articles et enquêtes élaborés par des officines expertes en propagande et désinformation. Ces officines sont recrutées pour mener des campagnes de propagande et de désinformation en faveur de personnages fortement contestés pour leur gestion opaque et prédatrice des ressources minières et financières du pays. Le tout sous couvert de journalistes pour lesquels l’argent a complètement remplacé l’éthique professionnelle.
Un des exemples récents est l’illustration et la défense du projet Bukanga Lonzo et du responsable de l’échec de ce projet par quatre journalistes bien connus à Kinshasa. Il s’agit de: Éric Tshikuma (Zoom Eco), Rachelle Kitsita (Actu30.cd), Israël Mutala (7sur7.ce) et Bienvenu Bandala.
Malgré l’échec patent de la première récolte en 2015 et un audit dévastateur commandité immédiatement par l’ancien président qui avait rapidement compris l’échec, malgré toutes les preuves du manque de préparation, du choix calamiteux du partenaire, de violations multiples des lois régissant la gestion des finances publiques, des aspects environnementaux et sociaux, accumulées et publiées depuis plusieurs années par Reuters, Bloomberg et des ONG internationales, 4 journalistes ont cédé au chant des sirènes et ont signé et publié un rapport pompeusement intitulé « Enquête exclusive – La débâcle de Bukanga Lonzo Causes, responsabilités & perspectives ». Le but étant de défendre le responsable de la débâcle par des contrevérités et des omissions coupables et par le rejet de la responsabilité sur des subalternes et sur le gouvernement mis en place fin 2016. Rappelons que 200 millions de dollars ont été perdus. A raison de 50.000 $ l’unité, 4.000 écolés ou dispensaires auraient pu être construits!
Le contenu, le vocabulaire, la dialectique et la qualité de la présentation montrent que ce document, bien que signé par les 4 comparses a été réalisé par des professionnels de la propagande et du lobbying, grassement payés par leurs clients.
Le contenu de ce rapport a été rapidement démonté par les répliques du ministre de l’agriculture de l’époque, par le Premier ministre qui a suivi Matata et par les constats faits par l’IGF (Inspection Générale des Finances).
Quelques contrevérités signées par les 4 journalistes:
- Contrairement à leurs affirmations, il n’y a pas eu d’études préparatoires nécessaires, il n’y a eu aucune étude d’impact environnemental et social pourtant éléments importants des études de faisabilité. Il n’y a pas non plus eu des études de sols approfondies. La seule étude est celle faite par le bureau d’architecture « Creative Axis » dont le site internet a qualifié son travail de « pré étude de faisabilité ». Bien que le titre du rapport est « Feasibility of Agricultural Potential for Agricultural Business Park » seule une demi page (page 4) est consacrée à des généralités sur les sols. Par contre le rapport précise bien:
« This report is intended to assess the potential of the business park model and does not constitute a business plan. Further investigations are required to get a better feel for the true soil type. This should include a detailed soil survey. An important recommendation of this investigation is that a detailed soil classification is done, as soon as possible. The Agricultural Business Park initiative is being implemented under the management of the Prime Minister of the Democratic Republic of the Congo ». - D’après les journalistes les études de sol auraient démontré que les terres sont adaptées à la culture du maïs et une grande société de la place aurait cultivé le maïs. Double mensonge. En réalité, cette partie du Kwango est parmi les moins densément peuplés du pays et aussi les plus pauvres du pays parce que les sols sont aussi parmi les plus pauvres. Le colonisateur, qui a développé l’agriculture dans les coins les plus reculés du pays n’ont jamais rien tenté dans cette zone. La société « Grands Moulins » a effectivement tenté de cultiver du maïs à grande échelle mais les résultats, tellement médiocres ont entrainé l’arrêt de la tentative.
- Pour jeter la confusion et le doute sur le rapport dévastateur de Ernst Young sur la gestion des fonds du projet, les propagandistes citent un autre audit, qui concerne une société appelée PAIBL (Projet agro-industriel, Bukanga-Lonzo) créé en 2015, 2 ans après le lancement du projet.
- Grand classique des officines de désinformation: blâmer d’autres officines. Les 4 journalistes ont affirmé – sans la moindre preuve – que les lobbies des importateurs se seraient activés pour saboter le projet Bukanga-Lonzo étant donné que la RDC dépense près de 2 milliards USD chaque année pour importer les produits vivriers.
- Des professeurs américains auraient approuvé le projet. En réalité, au mois d’avril 2015, soit près d’une année après le lancement du projet, un collaborateur du Premier ministre a passé un séjour à Cambridge (Etats-Unis, Massachusetts) pour s’entretenir avec des professeurs et étudiants de l’université de Harvard et de MIT. Se référant à cette visite, Reuters a cité un professeur américain, prof Calisto qui, au contraire, a déclaré que des études approfondies devraient être menées avant de se lancer dans le projet.
- Le ministère de l’agriculture aurait été associé à la préparation et à la gestion du projet. Le ministre de l’agriculture concerné, qui a déclaré n’avoir jamais été contacté par nos journalistes – qui auraient enquêté pendant 4 mois – a démontré que son ministère n’a été impliqué ni dans la préparation du projet, ni à la rédaction du partenariat, ni aux acquisitions, ce que tout le monde dans l’administration savait mais pas nos journalistes.
Quelques omissions volontaires:
1) Violation de plusieurs lois:
- La loi n°11/022 du 24 décembre 2011 portant principes fondamentaux relatifs à l’agriculture.
- La loi n°11/009 du 09 juillet 2011 portant principes fondamentaux relatifs à la protection de l’environnement.
- Loi n°10/010 du 27 avril 2010 sur la passation de marchés qui interdit les marchés de gré à gré pour de tels montants.
- Lois sur les procédures de paiement par le gouvernement.
- Lois sur les sociétés obligeant la tenue de la comptabilité en RDC.
- Législation sociale vis-à-vis des travailleurs
2) Le choix désastreux du partenaire: un site sud-africain de renseignements économiques indique que le partenaire AFRICOM avait 3 (TROIS) employés et un chiffre d’affaires de 600.000 $.
Source : https://www.zoominfo.com/c/africom-commodities-pty-ltd/430456755, un autre site indique 6 employés.
3) Implication de Matata dans plusieurs sociétés créés en partenariat avec Africom Commodities et notamment: Lonzo Natural Resources (LNR) SARL (2015).
Un rapport du Oakland Institute révèle la création en 2015, (publié par le Guichet Unique) sous couvert du Parc, d’une société minière: Lonzo Natural Resources (LNR) SARL, dirigée par Christo Grobler, directeur général d’Africom Commodities. Loin de l’objectif déclaré de promotion de la sécurité alimentaire, la nouvelle société a été créée pour « la prospection, la recherche, l’exploitation, le traitement et les opérations connexes dont la commercialisation de substances minérales valorisables. Les anciens travailleurs interrogés ont confirmé que le personnel sud-africain de la société Africom était impliqué dans la prospection minière et avait engagé des locaux pour ‘creuser des trous autour de la concession’ à la recherche de diamants ».
La société a été créée par un consortium rassemblant African Commodities DRC SARL, Groupe Jivento SARL, Feed Africa SARL et Agri-Kwango SARL.
Source: https://www.oaklandinstitute.org/sites/oaklandinstitute.org/files/bukanga-lonzo-debacle-fr-petit.pdf
Toute référence à LNR a été supprimée du site du guichet unique!
« RIOMF PHOSPHATES AND MINERALS SA » en sigle « TPM SA » 2016
Le site du guichet unique nous apprend la création, le 8 mars 2016, d’une nouvelle société « TRIOMF PHOSPHATES AND MINERALS SA » en sigle « TPM SA » dont les actionnaires sont:
- La société ALLAMANDA TRADING LIMITED, société de droit des Iles vierges Britanniques, représentée par Monsieur Alain WAN, Administrateur et la société TRIOMF RDC SA, société de droit d’économie mixte et de droit.
- La société TRIOMF RDC SA, société de droit d’économie mixte et de droit Congolais et créée à l’instigation de Matata en 2012.
Article 3: Objet
La société a pour objet: – La prospection; – La recherche; – L’extraction; – Le traitement; – La transformation et la commercialisation du phosphate et des divers métaux, ressources et substances minérales ainsi que toutes activités minières qui en découlent; – Les activités industrielles diverses ayant trait à l’essor de la protection, de la recherche, du traitement et de la commercialisation des substances minérales.
Parmi les premiers administrateurs on trouve:
- Monsieur Alain Wan de nationalité congolaise et résidant à Kinshasa;
- Monsieur Marc Piedboeuf de nationalité belge et résidant à Kinshasa;
- Monsieur Felix Mayanga de nationalité Congolaise et résidant à Kinshasa;
Source (http://www.guichetunique.cd/IMG/pdf/jo.05438.16.pdf)
Lien entre TPM SA et La société Ferme Espoir Sprl,
MM. Mayanga et Piedboeuf sont officiellement impliquées dans la « Société des grands élevages du Bas Congo ». En effet, le journal officiel du 1er octobre 2015 a publié à la page 177 le procès-verbal de l’assemblée générale ordinaire du 22 mars 2014 de la « Société des Grands Elevages du Bas-Congo Sa » en abrégé « GEL S.a », Société anonyme unipersonnelle. On apprend que M. Félix Mayanga est administrateur-général et président de l’assemblée générale. L’assemblée générale est composée de « La société Ferme Espoir Sprl », (actionnaire unique) et (propriété de Joseph Kabila) immatriculée au NRC de Lubumbashi au n° 2381, dont le siège social se situe au n°15 de l’avenue Hewa Bora dans la Commune de Kampemba dans la Ville de Lubumbashi, agissant par son gérant monsieur Marc Piedboeuf.
Il n’est pas inutile de rappeler que Matata a couvert d’autres contrats de gré à gré, abondamment cités par la presse, pour des centaines de millions de dollars et notamment: la réfection de l’immeuble de la primature, le pavillon présidentiel à Ndjili, l’immeuble « intelligent », les avions Congo Airways, les bus Tranco, le contrat des passeports etc.
Rappelons aussi:
- le refus de ses services de collaborer à l’audit de Bukanga Lonzo et la rétention d’information, dénoncés par le rapport d’audit.
- Le refus des services du PM de collaborer à l’audit des marchés publics réalisé par le cabinet d’audit Grant Thornton et acté dans le rapport d’audit.
- L’interdiction, par Matata de publier le rapport d’évaluation de la gestion des finances publiques réalisé dans le cadre de l’initiative PEFA pour la période 2008/2012 et son refus d’un nouvel audit en 2016.
En conclusion, malgré toutes les informations dont on dispose maintenant, Israel Mutala persiste et signe dans un article publié il y a quelques jours par 7sur7.CD – dont il est le DG – intitulé: « RDC: Les enquêteurs de l’IGF connaissent le vrai auteur de la débâcle de Bukanga Lonzo mais ne l’ont nullement cité dans leur rapport ». Le responsable ne serait pas Matata mais ses successeurs.
Jean-Marie Lelo Diakese