Ancien secrétaire général de l’Organisation de l’Unité Africaine (1978-1983), le Togolais Edem Kodjo est décédé samedi 11 avril dans un hôpital parisien. Comme souvent à pareille occasion, la mort efface tout. Ceux qui ont eu à le côtoyer et autres rivalisent en hommages grandioses où la sincérité le dispute à l’hypocrisie. Les Zaïro-Congolais garderont de l’ancien Premier togolais une image contrastée. L’image d’une des personnalités africaines qui ont tenté, sans succès, de permettre à « Joseph Kabila » de réaliser son rêve d’un troisième mandat interdit. Lorsqu’il foule le sol congolais en janvier 2016, Kodjo ne pouvait ignorer que le second mandat de « Kabila » devait expirer au mois de décembre de cette année. Il ne pouvait ignorer également que la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance impose, en son article 17, aux Etats membres, à tenir régulièrement des élections transparentes, libres et justes. En bon « politicien africain », Kodjo a cru qu’il suffisait au chef de l’Etat congolais d’alors de « donner à manger » à ses opposants pour « retrouver le sommeil du juste ».
« Joseph Kabila est le père de la démocratie congolaise ». L’homme qui parle est un enseignant à l’université de Kinshasa. Il s’agit de Barnabé Kikaya bin Karubi. Ancien conseiller diplomatique de l’ex-Président congolais, Kikaya invoque, à l’appui de sa thèse, le fait que le prédécesseur de Felix Tshisekedi « a eu à organiser » trois consultations politiques en 2006, 2011 et 2018.
Nombreux sont les partisans de « Kabila » qui croient dur comme fer que la démocratie se limite à l’organisation des élections périodiques. Peu importe que le citoyen n’ait pas le dernier mot. Peu importe que les observateurs dénoncent des fraudes et des irrégularités. Peu importe enfin que les droits et libertés soient brimés.
Lors de la présidentielle de 2006, aucun observateur sérieux et impartial ne pariait sur la victoire du successeur inattendu de Mzee Kabila qui avait en face de lui Jean-Pierre Bemba Gombo.
Chouchouté par la très nébuleuse « communauté internationale », « Joseph Kabila », surnommé « l’homme à la grande capacité d’écoute », sortit « victorieux ». Et pourtant, le président-candidat n’avait guère battu campagne. Il n’a pas ouvert la bouche pour dire l’idée qu’il avait de la société congolaise de demain. Un « hold-up électoral », clamaient les partisans de Bemba.
A peine « élu », le nouveau président s’est empressé de révéler son vrai visage. Celui d’un tueur froid ayant le plus grand mépris de la vie et de la dignité de la personne humaine. Un prédateur des droits et libertés. En 2007 et 2008, des éléments d’une unité spéciale de la police dénommée « Bataillon Simba » ont canardé des adeptes du mouvement politico-religieux Bundu dia Kongo, rebaptisé Bundu di Mayala. Bilan: plus de 100 morts et autant de blessés.
Patron d’alors de la Mission onusienne au Congo, l’Américain William Lacy Swing et ses successeurs vont « s’asseoir » sur ce dossier. En juin 2010, le défenseur des droits humains Floribert Chebeya et son chauffeur Fidèle Bazana paieront de leurs vies. « Chebeya fait des rapports qui écornent l’image du régime », diront des kabilistes sous le sceau du secret.
FRAUDES ÉLECTORALES
Le 28 novembre 2011, « Kabila » est « réélu ». Son challenger n’était autre que l’opposant Etienne Tshisekedi wa Mulumba qui ne cessera de contester sa « défaite ».
L’Histoire retiendra qu’en janvier de cette année, le président sortant a fait réviser en catimini l’article 71 de la Constitution: « Le Président de la République est élu à la majorité simple des suffrages exprimés ». Le second tour de l’élection présidentielle était supprimé. Raison invoquée: le coût élevé des opérations électorales. Le pays est plongé à nouveau dans une crise de légitimité.
On est en juin 2012. « Coaché » par son mentor le Rwandais Paul Kagame, « Kabila » trouve une diversion. Celle-ci s’appelle la « rébellion du M23 ». Il s’agit, en fait, des anciens combattants du CNDP (Congrès national pour la défense du peuple) de Laurent Nkunda qui faisaient régner la terreur dans la province du Nord-Kivu. Que veulent-ils? Ils veulent la reconnaissance de leurs grades et leur intégration dans la force publique congolaise. Signe de temps: « Kabila » mettra plusieurs mois avant d’organiser la contre-attaque. Un félon à la tête de l’Etat.
Quelques mois avant son assassinat dans un hôtel à Johannesburg, l’ancien patron des « services » rwandais, Patrick Karegeya confia au quotidien bruxellois « Le Soir » daté du 6 novembre 2013 que « le CNDP comme le M23 » sont des créations du satrape rwandais. « C’est lui qui les soutient. Il tient les commandes. (…)« .
En tous cas, des officiers congolais de souche, en opération au Kivu, ne cessaient d’exprimer de l’agacement face aux ordres contradictoires qu’ils recevaient. « Chaque fois que nous avions l’avantage sur l’ennemi, on nous ordonnait de replier », se plaignaient-ils.
« KABILA AU POUVOIR JUSQU’EN 2020 », SELON MADAME ZUMA
Pseudo-démocrate et vrai dictateur, « Joseph Kabila » – dont le second mandat expirait le 19 décembre 2016 – eut l’idée d’organiser, en septembre 2013, les fameuses « concertations nationales ». But inavoué: la révision de la Constitution. Pour quoi faire? Primo: modifier le mode de scrutin de l’élection présidentielle par l’adoption du scrutin universel indirect. Secundo: nombre de mandat présidentiel illimité. Tertio: la durée du mandat passe de cinq à sept ans.
L’option pour une révision constitutionnelle ne sera jamais levée. Bien au contraire. Les participants aux concertations feront parvenir à « Kabila » une centaine de recommandations pour réformer son régime. En vain. Les observateurs avaient compris, dès ce moment, que « Joseph » qui considère le Congo-Kinshasa comme une « prise de guerre » cherchait à contourner les élections. Il lança l’idée d’un « dialogue politique inclusif ».
Des contacts sont pris avec quelques « amis ». C’est le cas notamment de Nkosazana Dlamini Zuma, alors présidente de la Commission de l’Union Africaine – dont le pays avait de nombreux intérêts au Congo-Kin à travers la Vodacom, le projet Inga III et le pétrole du Nord-Kivu – et le chef de l’Etat togolais Faure Gnassingbé. Celui-ci confiera cet épineux dossier à son bras droit Gilbert Bawara. Le Commissaire à la Sécurité Saïd Djinnit va rejoindre le groupe. Ce beau monde arrêta l’idée d’organiser une « transition », sous prétexte d’éviter la violence. « Kabila » devait rester à la tête de l’Etat jusqu’en 2020. Un « facilitateur » est aussitôt trouvé. C’est un Togolais. Son nom: Edem Kodjo.
En janvier 2016, la présidente de Commission de l’UA publie un communiqué dans lequel elle « appuie » l’idée d’un dialogue. « L’Union africaine appuie cette idée qui consiste à promouvoir l’harmonie et la paix dans le but de faire taire les armes jusqu’en 2020 ».
UNE PERSONNALITÉ AFRICAINE CONTROVERSÉE
Début février 2016, Edem Kodjo atterrit à Kinshasa. Après avoir consulté le personnel politique et les représentants de la société civile, il se rend à Bruxelles pour rencontrer le président de l’UDPS, Etienne Tshisekedi wa Mulumba. L’ancien Premier ministre togolais qui logeait à l’hôtel Métropole en plein centre de Bruxelles profita de cette occasion pour s’entretenir avec des membres de la diaspora congolaise de Belgique (Photo).
A ses interlocuteurs congolais, Kodjo n’aura qu’un message: « Les Congolais doivent se rencontrer pour trouver une solution qu’on pourrait appeler transition. J’ai dit aux Congolais qu’il il faut aller de l’avant sinon on bascule dans la violence ». La suite est connue.
On attendait Vital Kamerhe comme Premier ministre, c’est l’opposant Samy Badibanga qui sera débauché le premier et promu à ce poste. C’était en septembre 2016.
Comme pour toiser le personnel politique, « Kabila » donna, au cours de ce même mois de septembre, une sorte de procuration à son frère « Zoé ». Celui-ci déclara ces mots dans une interview accordée à Jeune Afrique: « Joseph Kabila n’a nullement l’intention de s’éterniser à son poste, mais nous ne sommes pas prêts à abandonner le pouvoir à n’importe qui… ».
Après Kodjo, les évêques catholiques prirent le relais. c’est le temps du dialogue au Centre interdiocésain. Une sorte de « rectification » de la mission confiée auparavant à Kodjo. Candidat chef du gouvernement, Felix Tshisekedi est rejeté par Kabila. Un autre opposant est débauché. Son nom: Bruno Tshibala. C’était en décembre 2016. Le nouveau « Premier » n’est pas n’importe qui. Il s’agit du secrétaire général adjoint de l’UDPS. C’était en décembre 2016.
Par la vénalité du personnel politique congolais, « Joseph Kabila » a gagné son pari. Il obtint le « glissement » de son second mandat jusqu’au 24 janvier 2019.
Tout en s’inclinant devant la mémoire d’Edem Kodjo, l’ancien Premier ministre togolais restera, aux yeux de nombreux Congolais, une personnalité africaine controversée. Et ce pour avoir mis son expertise au service d’un dictateur. Un dictateur qui a contourné l’ordre institutionnel de son pays. Et la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance dans tout ça?
Baudouin Amba Wetshi