Le dimanche 5 novembre 2017 dernier, Corneille Nangaa, le Président de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) signait la Décision No 065/CENI/BUR/17 du 05 novembre 2917 portant publication du calendrier des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales.
Cette décision a été diversement interprétée. Applaudie par la Majorité présidentielle (MP), son Gouvernement et une clique de politiciens du ventre ou des transhumants politiques devenus ses alliés, elle a été également saluée par la Communauté internationale, spécialement les Etats-Unis, la France et l’Union africaine mais rejetée par l’Opposition (RASSOP, MLC et UNC et alliés) et par une grande partie de la société civile.
Le débat a essentiellement tourné autour de la question de savoir si une telle décision est constitutionnelle, légale, conforme à l’Accord Politique Global et Inclusif du Centre Interdiocésain de Kinshasa du 31 décembre 2016 ou non. En vue d’éclairer ses lecteurs, votre Journal s’est joint à d’autres pour solliciter l’avis de l’un de meilleurs constitutionnalistes congolais et africains.
André Mbata Mangu ne se présente plus. Professeur de recherche à l’Université d’Afrique du Sud et professeur ordinaire à la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa, Directeur exécutif de l’Institut pour la Démocratie, de la Gouvernance, du Développement et de la Paix en Afrique (IDGPA), il est également le Rédacteur en chef de la Revue africaine de la démocratie et de la gouvernance, la première revue scientifique internationale publiée en RD Congo. Prof André Mbata a été en première ligne du combat pour la défense de la Constitution. L’histoire retiendra que grâce à sa contribution à ce combat mené avec d’autres compatriotes, il n’y aura pas eu référendum ni révision de l’article 220 de la Constitution.
En dehors des reproches qui lui ont été faits, le calendrier de la CENI a au moins le mérite de consacrer la victoire du camp de la défense de la Constitution sur celui de l’inanition de la Nation conduit par les thuriféraires, les tambourinaires du pouvoir et autres pseudo-intellectuels tapis dans les rangs de la MP. Répondant aux questions des journalistes, l’Universitaire congolais confirme que la décision de la CENI viole à la fois la Constitution, la Loi électorale (Loi no 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, municipales et locales telle que modifiée par la Loi no 11/003 du 25 juin 2011 et la Loi no 15/001 du 12 février 2015), et l’Accord Politique Global et Inclusif tout en reposant sur des contre-vérités.
VIOLATION FLAGRANTE DE LA CONSTITUTION
Selon l’article 73 de la Constitution, « Le scrutin pour l’élection du Président de la République est convoqué par la CENI, quatre-vingt-dix (90) jours avant l’expiration du mandat du Président en exercice ». En prévoyant la convocation de l’électorat le 23 juin 2018 (Opération No 21) pour un scrutin devant se tenir le dimanche 23 décembre 2018 (Opération No 50), presque un intervalle de six mois entre les deux opérations et deux ans après que le mandat du Président Joseph Kabila ait expiré le 19 décembre 2016, la Décision de la CENI constitue une violation flagrante de la Constitution.
Si le délai de 90 jours prévu par l’article 73 de la Constitution pouvait être respecté dans le calendrier de la CENI, le scrutin pour l’élection présidentielle devait avoir lieu le 23 septembre 2018 et non le 23 décembre 2018. On aurait ainsi gagné trois (3) mois. Mais tel ne pouvait être le souci d’une CENI totalement dépendante de la MP et préoccupée avant tout du maintien au pouvoir de son Autorité Morale.
Enfin, le fait même que la Décision de la CENI n’invoque nulle part l’article 73 de la Constitution alors qu’elle le fait des articles de la Loi électorale prouve que la CENI était bien consciente qu’elle agissait en violation de la Constitution.
UNE DECISION ILLEGALE
En dehors de l’article 73 de la Constitution, la non-convocation du scrutin pour l’élection présidentielle 90 jours avant l’expiration du mandat du Président en fonction viole l’article 102 de la Loi électorale. Puis viennent plusieurs autres violations.
Les articles 25 et 27 de la Loi électorale s’appliquent toutes les élections, qu’elles soient présidentielle, législatives ou provinciales. Fixer au 25 juillet 2018 la publication des listes provisoires des candidats aux élections provinciales (Opération No 25) et au 26 juillet – 05 août 2018 le contentieux de candidatures (Opération No 26) et attendre 24 août 2018 (Opération No 33) pour la publication des listes provisoires des candidats présidents et députés nationaux et entre 25 août – 4 septembre 2018 (Opération No 34) pour le contentieux des candidatures alors que toutes ces opérations devaient se faire au même moment constitue aussi une violation de la loi électorale. Entre la publication des listes définitives des candidats députés provinciaux (20 août 2018/ Opération No 29) et celle des candidats présidents et députés nationaux (19 septembre 2018/ Opération No 37), la CENI a créé un mois supplémentaire de glissement.
En outre, la CENI a été tellement obnubilée par le glissement qu’elle n’a même pas prévu une date pour l’annonce des résultats définitifs des élections législatives et provinciales comme elle l’a fait pour les élections des Maires et Maires adjoints (13 février 2020/Opération No 130), par exemple.
L’ACCORD POLITIQUE GLOBAL ET INCLUSIF VIOLE
En prévoyant la tenue des élections présidentielle, législatives et provinciales le 23 décembre 2018, la Décision de la CENI viole également l’Accord Politique Global et Inclusif qui fixait la tenue de ces élections le 31 décembre 2017 au plus tard. On ne pouvait pas s’attendre à mieux lorsque dans son préambule, la décision de la CENI se réfère à un Accord Politique Global et Inclusif inexistant du 31 décembre 2017 alors que le vrai Accord avait été signé le 31 décembre 2016!
Le Chapitre IV, point 2 de l’Accord invoqué dans le préambule de la Décision de la CENI est aussi inapproprié. Il autorise la CENI, le Gouvernement et le Conseil National de Suivi de l’Accord et du Processus Electoral (CNSA) à décider unanimement d’une date autre que le 31 décembre 2017 pour parachever le cycle électoral. Cependant, on ne « parachève » que ce qui a déjà commencé or dans ce cas, les élections ne se sont pas encore tenues. Aussi, le gouvernement (de BrunoTshibala) avait été nommé en violation de l’Accord Politique Global et Inclusif du 31 décembre 2016. Il en est de même du CNSA qui n’a pas encore d’existence juridique étant donné que la loi organique devant régir son organisation et son fonctionnement n’a pas encore été adoptée par le parlement. Dans ces conditions, affirmer que la Décision de la CENI est conforme à l’Accord de la St Sylvestre relève tout simplement d’une masturbation intellectuelle.
UN CALENDRIER FRAUDULEUX
La première opération prévue, celle de finalisation de l’indentification et de l’enrôlement des lecteurs dans les derniers centres d’inscription du Kasaï, Kasaï Central, Luilu et Kamiji (03 novembre 2017 – 31 janvier 2018/ Opération No 1) est présentée comme ayant démarré le 3 novembre 2017, soit deux jours avant la publication du calendrier alors que tout le monde savait qu’elle avait déjà duré un mois. La CENI entendait ainsi gagner un autre mois supplémentaire pour permettre au Président Kabila de se maintenir au pouvoir.
Y’aurait-il encore un juriste ou un intellectuel sérieux dans les rangs de la MP et ses alliés?
Aucune réponse. Cependant, la question vaut la peine lorsque l’on constate que la MP et ses alliés au sein du gouvernement et du CNSA semblent avoir été tellement aveuglés par le pouvoir au point que personne dans leurs rangs n’a été en mesure de relever la moindre faille d’un calendrier électoral manifestement inconstitutionnel et illégal.
Complicité des Etats-Unis, de la France, de l’Union européenne et de l’Union africaine!
Aussi curieux que cela ait pu paraître à certains, les gouvernements des pays fondés sur le respect de l’Etat de droit comme les Etats-Unis et la France se sont empressés de saluer le calendrier de la CENI en dépit du fait qu’il était inconstitutionnel, illégal, et qu’il violait l’Accord Politique Global et Inclusif endossé par la Résolution 2348 du Conseil de Sécurité où ces pays siègent comme membres permanents. Personne n’est pourtant dupe. La règle d’or des relations internationales avait été rappelée en son temps par le Général Charles de Gaulle: « Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ». Dans leur politique étrangère, les Etats n’hésitent donc pas de sacrifier la défense des valeurs telles que l’Etat de droit, la démocrate et les droits de l’homme sous l’autel de leurs intérêts économiques et stratégiques. L’on sait aussi que certains gouvernants et citoyens du Nord ont un tel mépris des Africains qu’ils en arrivent à penser – à tort hélas! – que l’Etat de droit, la démocratie et les droits de l’homme ne conviendraient pas aux peuples d’Afrique.
La position du Président de la Commission de l’Union africaine (AU) est venue confirmer la thèse qu’en dépit des changements intervenus, l’UA reste un club des dirigeants africains se soutenant mutuellement dans le but de se maintenir au pouvoir alors qu’on aurait pu s’attendre à ce qu’elle dénonce une situation s’apparentant à un cas de changement inconstitutionnel de gouvernements en violation de la Charte africaine de la démocratie et de la gouvernance.
LES ARTICLE 64 ET 28 DE LA CONSTITUTION AU CŒUR DU DEBAT
Dans leur rejet du calendrier de la CENI, l’Opposition politique et la société civile ont appelé le peuple congolais à recourir à l’Article 64 alinéa 1er de la Constitution alors que la MP et ses alliés leur brandissaient la menace de l’Article 64 alinéa 2. Interrogé pour départager les deux camps, le constitutionnaliste a d’abord tenu à rappeler le contenu de ces dispositions.
Selon l’Article 64 alinéa 1er, « Tout Congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation des dispositions de la présente Constitution ». Pour la MP et ses alliés, en demandant au peuple de s’opposer au régime, l’Opposition ferait une lecture partielle et partiale de cet alinéa étant donné que le Président Kabila avait été élu et n’avait donc pas accédé au pouvoir par la force.
Malheureusement, cette MP ignore superbement que l’Opposition ne vaut pas seulement contre tout individu ou un groupe d’individus qui prendrait le pouvoir par la force, mais aussi contre celui qui l’exercerait en violation de la Constitution. C’est le sens de la disjonction « ou » dans « qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce ». Tout Congolais devrait donc s’opposer non seulement à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force mais aussi à tout individu ou groupe d’individus qui l’exercerait en violation des dispositions de la Constitution bien qu’ayant accédé au pouvoir par voie démocratique.
En revanche, la MP brandit contre les opposants la menace de l’Article 64 alinéa 2 qui stipule: « Toute tentative de renversement du régime constitutionnel constitue une infraction imprescriptible contre la nation et l’Etat. Elle est punie conformément à la loi ».
Pour Prof André Mbata, l’Article 64 de la Constitution devrait être interprété de manière holistique, contextuelle, et téléologique et non pas exégétique, littérale ou grammaticale. Il vise à protéger l’ordre constitutionnel menacé par les tendances autoritaires ou monarchistes ravivées par les chants de Wumela ou Shikata (Reste …éternellement au pouvoir, Oh Raïs!) en l’honneur de l’Autorité morale de la MP. Aussi, ce qui constitue une infraction imprescriptible contre la Nation et l’Etat et qui est punie conformément à la loi, c’est toute tentative de renversement du régime constitutionnel et non pas un régime inconstitutionnel. Lorsque toutes les institutions politiques (Président de la République, Gouvernement, Assemblée nationale, Sénat, Gouvernements provinciaux, Assemblées provinciales…) sont devenues illégitimes alors que les élections sont constamment reportées, lorsqu’un régime se maintient et fonctionne en violation de la Constitution ou lorsque lorsqu’une simple institution d’appui à la démocratie comme la CENI s’arroge le droit du peuple souverain en pensant organiser les élections quand et comme elles veut pour prolonger indéfiniment le mandat du Président de la République, s’opposer à un tel régime inconstitutionnel évidemment par des voies de droit cesse d’être un crime pour devenir un devoir patriotique. Il s’agit d’un devoir civique qui devait être enseigné à tous et à chacun dans le cadre de la nouvelle citoyenneté instituée par la Constitution du 18 février 2006.
L’Article 64 de la Constitution fait partie intégrante de la Constitution adoptée par le peuple congolais lors du référendum des 18 et 19 décembre 2005 et promulguée par le Président Joseph Kabila qui avait lui-même juré « solennellement devant Dieu et la nation » d’observer et de défendre ladite Constitution (Article 74). Par conséquent, appeler le Citoyen congolais à assumer ses devoirs constitutionnels (Articles 62-64), spécialement celui consacré par l’Article 64 de la Constitution, ne saurait nullement constituer un crime, une incitation à la haine ou aux troubles comme ne cessent de le clamer les thuriféraires, les « artisans de l’inanition de la nation » et autres « Fous du Roi/Raïs ». Pour le Professeur des Universités, c’est l’unique interprétation plausible de l’Article 64 en droit constitutionnel. Toute autre interprétation relèverait de la géologie, de la psychologie, de la philologie, de la criminologie et de la politologie auxquels recourent souvent les juristes de la MP en croyant faire du droit constitutionnel.
Selon le constitutionnaliste, tout Congolais a le devoir de s’opposer à tout individu qui prend le pourvoir par la force ou qui l’exerce en violation de la Constitution, que cet individu exerçant un mandat public soit le Président de la République, un membre du gouvernement, un parlementaire, un juge, un gouverneur, un administrateur, un officier des forces armées, de la police ou des services de sécurité. Cependant, il a aussi le devoir de s’opposer à tout groupe d’individus qui parviendrait au pouvoir ou l’exercerait en violation de la Constitution. Un parti politique, un regroupement de partis politiques comme la MP, le gouvernement, l’Assemblée nationale, le sénat, la Cour constitutionnelle ou toute autre institution peut constituer un tel groupe d’individus. Dans le cas d’espèce, une CENI qui se moque de la Constitution et du peuple congolais dans l’organisation des élections ou qui a renoncé à son indépendance au profit du Président de la République et sa MP remplit parfaitement les conditions de ce « groupe d’individus qui exerce le pouvoir en violation de la Constitution » et auquel Tout Congolais a le devoir de s’opposer.
Pour Prof André Mbata, le devoir de l’Article 64 est étroitement lié à un autre devoir constitutionnel. Il s’agit du devoir prescrit à l’Article 28 qui stipule que « Tout individu, tout agent de l’Etat est délié du devoir d’obéissance, lorsque l’ordre reçu constitue une atteinte manifeste au respect des droits de l’homme et des libertés publiques et des bonnes mœurs ».
La Constitution précise que le pouvoir judiciaire est indépendant et la justice est rendue au nom du peuple (Article 149). La Police nationale (Article 183), les forces armées (Article 188), les services de sécurité et l’Administration publique (Article 193) sont apolitiques et au service de la Nation congolaise et les détourner à des fins personnelles ou partisanes constituerait un crime de haute trahison. Face à tentation de plus en plus grande des gouvernants de succomber à la folie du pouvoir en réprimant le peuple qu’ils devaient pourtant servir, les juges, les fonctionnaires et agents de l’Etat, les membres de l’Administration publique, de la Police nationale, des Forces armées et des services de sécurité ainsi que les animateurs des institutions publiques feraient mieux de s’abstenir de violer les droits et les libertés publiques consignés dans la Constitution et dans différents instruments internationaux ratifiés par la RD Congo, particulièrement après son admission douloureuse comme membre Conseil des Droits de l’ Homme de l’ONU.
Propos recueillis par Markens Bitenu
Doctorante à l’Université Libre de Kinshasa
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