PORTRAIT: Une journée de l’Echevine Lydia Mutyebele

En France, on les appelle « l’adjoint au maire ». En Belgique, on parle d’échevin. Il s’agit des membres de l’exécutif communal qui entoure le bourgmestre. Après Dorah Ilunga et Bertin Mampaka, Lydia Mutyebele Ngoi est le quatrième belge d’origine congolaise à siéger dans un « gouvernement communal » qui a en charge la gestion quotidienne de la municipalité. Le troisième s’appelle Jacob Kamuanga Tujibikile, échevin à la commune de Jette. Depuis 2020, « Lydia » dirige l’échevinat au « Logement, le patrimoine et l’égalité des chances » à la commune de Bruxelles, appelée aussi Ville de Bruxelles. A ne pas confondre avec la Région Bruxelles-Capitale. Contrairement au Congo-Kinshasa où l’entité commune joue un rôle dérisoire, en Belgique, cette collectivité politique occupe une place cruciale. Elle est le premier échelon du pouvoir politique. « (…), les autorités communales exercent des responsabilités qui sont celles de la puissance publique », écrit notamment le constitutionnaliste Francis Delpérée dans son ouvrage « Le nouvel Etat belge », publié en 1984 aux éditions Labor. Maintien de l’ordre, organisation des élections, levée d’impôt communal, urbanisme, protection de la famille, mise en valeur des atouts économiques etc. Voilà autant des compétences qui reviennent à la commune belge. Les moyens d’action proviennent notamment des impôts directs (fiscalité additionnels) et des impôts indirects. L’entretien avec l’Echevine Mutyebele a eu lieu non pas à son cabinet situé n° 1, boulevard Emile Jacqmain, mais à l’hôtel de ville de Bruxelles. ENTRETIEN.

Etre membre de l’exécutif communal, privilège ou charge? Au Congo-Kinshasa, la nomination à un poste politique est généralement perçue par le « nominé » comme un privilège. « En Belgique, c’est une charge! », répond sans vraiment réfléchir « Lydia » qui souligne au passage que les mandataires publics sont avant tout « au service de la population ». Il s’agit d’être à l’écoute des préoccupations des Bruxelloises et Bruxellois. L’irruption du Covid-19 ne permet plus de recevoir les gens sans rendez-vous. « Dès que les mesures de restrictions seront levées, je recevrai le public sans rendez-vous ». Elle est consciente des difficultés que la population rencontre pour se loger. Selon elle, le souhait de la Ville de Bruxelles est de construire 600 logements durant la législature en cours qui prendra fin en 2024.

Une journée-type. D’après « Lydia », elle commence sa journée de travail à 9h00. Celle-ci se termine à 18h00 ou 20h00. « Il n’y a pas vraiment de journée-type », précise-t-elle. Le conseil communal – qui réunit les échevins et les conseillers communaux se tient deux fois par mois pour traiter des problèmes de la commune. Le « collège », lui, a lieu tous les jeudis matin. Ici, tous les échevins sont réunis autour du bourgmestre. « Au bureau, je m’attèle à des tâches administratives mais l’essentiel de mon travail se déroule sur le terrain à la rencontre des habitants de Bruxelles, dit-elle. L’objectif est d’engager un dialogue afin d’identifier leurs véritables préoccupations ». Au cours de la semaine qui s’achève, Mme Mutyebele dit avoir passé une demi-journée dans une agence locative. « Je fais comme si j’étais un fonctionnaire. J’encode les dossiers de demande de logement. C’est pour voir comment ça se passe ». La régie foncière dispose d’un patrimoine de 3.700 logements. Selon elle, « c’est le plus gros patrimoine communal en Belgique qu’il faut gérer, entretenir et louer ».

Quid de l’égalité des chances? Outre le logement et le patrimoine, « l’égalité des chances » fait partie de ses compétences. Elle explique: « Ce secteur a pour mission d’aider les Bruxellois à améliorer leur vie collective ». La Ville de Bruxelles (32,61 km²) abrite 183.287 âmes appartenant à 184 nationalités. Selon « Lydia », la lutte pour l’égalité homme-femme, la lutte contre le racisme, l’homophobie et la sensibilisation au handicap font partie des actions menées dans ce cadre. « L’objectif in fine est de prendre en compte l’inclusion et la diversité en vue de promouvoir une vie collective harmonieuse », fait-elle remarquer.

Quid de l’accueil suscité par sa nomination? Selon Lydia Mutyebele, son élection à ce poste « a été très bien accueillie » au sein de sa famille politique. Pour elle, c’est une preuve que « le parti socialiste [francophone] n’est pas un parti communautariste ». Et d’expliciter sa pensée: « Par communautariste, je voudrais dire qu’on ne m’a pas choisi pour attirer les voix des Congolais ou des Africains. On m’a pris d’abord parce que je suis élu depuis 2006 à la Ville de Bruxelles. Ensuite, en tant que juriste de formation, j’ai un potentiel ». Elle imagine que le PS a dû tenir compte de tous ces faits pour porter son choix sur elle. Elle dit comprendre que sa nomination n’aient pas été du goût de tout le monde. « C’est la première fois que le responsable de la Régie foncière soit une femme, ricane-t-elle. La régie foncière et patrimoine sont des compétences très masculines ». Comme pour démontrer l’égalité homme-femme, elle n’hésite pas à aller sur le terrain. « Je vais sur les chantiers pour m’entretenir avec les architectes et les ingénieurs ».

Les Congolais et la Belgique. Les Congolais vivant en Belgique se considèrent chez eux. Quel est l’état des relations entre la Ville de Bruxelles et des municipalités kinoises? Selon l’échevine Mutyebele, une coopération existe entre la Ville et certaines entités. « Je sais qu’au niveau de l’état-civil, la Ville de Bruxelles a – dans le cadre d’un jumelage – apporté son assistance à la commune de Kimbanseke. Je me rappelle qu’en 2004, il y avait un partenariat en matière de propreté publique ». Selon « Mama Lydia », cette commune accorde des « aides ponctuelles » à des promoteurs des projets à exécuter à Kinshasa. A titre d’exemple, elle cite le soutien logistique apporté à l’Opération « S.O.S Goma » initiée par la communauté congolaise de Belgique. Selon elle, la Ville de Bruxelles avait donné une aide financière à l’association dénommée « Un jour nouveau » qui fabriquait des kits de survie à Goma. « Mon collègue Ahmed El Ktibi est mieux placé pour évoquer tous ces sujets qui font partie de ses compétences en matière de Solidarité internationale ».

La disparition des parents. En l’espace de deux années, la famille Mutyebele a connu trois rudes épreuves. D’abord la disparition du père (août 2019), Martin Mutyebele Lukanda, Pasteur de l’église « La Nouvelles Jérusalem ». Ensuite, le décès, en mars 2020 de la mère, née Rosiane Ngoy. Enfin, la mort de la fille aînée Titi Ilunga Mutyebele. « Lydia » avoue sa peine. Selon elle, ses parents furent ses « principaux soutiens » à chaque campagne électorale. Ils n’avaient pas cessé de l’encourager dans son combat politique. « J’aurai souhaité que mes parents soient présents lors de ma prestation de serment en tant qu’Echevine. Leur absence a été ma plus grande tristesse ». Elle se souvient de ce que ses parents lui répétaient: « Tu ne dois pas abandonner après deux ou trois tentatives infructueuses. Tu dois continuer ». Sur un ton empreint d’émotion, elle lâche: « Je sais que mes parents auraient été très fiers le jour de ma prestation de serment ».

 

Entretien réalisé par Baudouin Amba Wetshi

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