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Patient Sayiba Tambwe a finalement été arrêté lundi 20 avril. Depuis une douzaine de jours, l’homme jouait au chat et à la souris avec le parquet général près la cour de cassation. Le premier avocat général Etienne Mulumba Nkelenda a fini, en sa qualité d’officier du ministère public, par lui lancer un « mandat d’amener ». Et ce après deux « mandats de comparution » balayés du revers de la main par l’intéressé. Sous la présidence kabiliste, Sayiba faisait partie des « intouchables ». Directeur général de l’Ogefrem (Office de gestion du fret multimodal), ce « CEO » (chief executive officer) est étiqueté PPRD, le parti de l’ex-président « Joseph Kabila ». Des observateurs interprètent la « dérobade » de ce kabiliste moins comme un aveu de culpabilité qu’un refus de révéler des « secrets ». L’homme en sait sans doute beaucoup sur l’implication de la fratrie « Kabila » dans le dossier relatif à la construction du Port sec de Kasumbalesa, à plus ou moins 70 kilomètres de Lubumbashi.
Au moment d’entamer la rédaction de ce « papier », on apprenait que l’ex-président « Joseph Kabila » s’est rendu, mardi 21 avril, à N’sele pour s’entretenir avec le président Felix Tshisekedi à l’invitation de celui-ci.
A en croire le communiqué ayant sanctionné cette entrevue, l’ordre du jour n’aurait porté que sur la « pandémie Coronavirus au Congo et dans le monde ». Personne n’est dupe. En réalité, une sourde agitation règne au sein du « clan Kabila ». Et pour cause, les dossiers judiciaires en cours d’instruction impliquant certains caciques de la mouvance kabiliste.
Revenons à l’Ogefrem. L’accusation mise à la charge du DG Patient Sayiba Tambwe est grave: détournement de deniers publics. Il est suspecté d’avoir distrait la somme de $ 21 millions destinée aux travaux de construction tant du port sec de Kasumbalesa que de la Féri (Fiche électronique de renseignement à l’importation). Depuis lundi, « Patient » est en « détention provisoire ». Il jouit naturellement de la présomption d’innocence.
Qu’est-ce qu’un port sec? Un port sec est un peu l’équivalent d’un port en eau profonde. Sauf qu’il s’agit d’un terminal construit sur terre ferme. On apprend qu’à sa phase finale, « Kasumbalesa » sera en connexion avec plusieurs ports maritimes en Afrique de l’Est (Dar-es-Salaam) et en Afrique australe (Lobito, Beira, Durban, Port Elisabeth etc).
C’est au mois de juillet 2017 que Patient Sayiba – qui a fait toute sa carrière dans la « maison » – a été promu directeur général de l’Ogefrem. Il a succédé à Anatole Kikwa.
Coïncidence ou pas, Sayiba revenait de Dar-es-Salaam, en Tanzanie, où il était représentant de cette entreprise publique. Plus personne n’ignore l’attachement affectif que les membres de la fratrie « Kabila » témoignent au pays de Mwalimu Julius Nyerere. Pays qui les a vu naître et grandir. Pays sous le drapeau duquel « Joseph » et « Jaynet » ont effectué leur service militaire.
PROGRAMME DE 100 JOURS
Selon des informations parcellaires, c’est « Joseph Kabila » en personne, alors chef de l’Etat, qui a procédé, le 2 juin 2018, au lancement des travaux de ce port sec né d’un partenariat entre l’entreprise sud-africaine « Rail and Road Africa » (RRA) et l’Ogefrem. Coût de l’investissement: $ 300 millions. Les Congolais financent le projet à concurrence de 49% soit $ 147 millions. Dieu seul sait pourquoi les 51% sont mis à la charge des « Sudaf », soit 153 millions.
L’intérêt porté par le Président sortant à ce projet – dont la durée de réalisation était de 36 mois – avait surpris des observateurs. Ceux-ci attendaient voir plutôt l’autorité de tutelle en l’occurrence le ministre des Transports et des voies de communication que le chef de l’Etat sortant.
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Le 30 décembre 2018, les Congolais sont allés aux urnes. La suite est connue. Le 24 janvier 2019, la terre entière a assisté à la passation de pouvoir dite « pacifique » entre le successeur de Mzee et « Felix ». Au mois de mars 2019, le nouveau chef de l’Etat lança son « Programme de 100 jours ».
Dans une interview accordée à l’hebdomadaire parisien « Jeune Afrique » daté du 8 au 14 septembre 2019, Vital Kamerhe, directeur de cabinet du Président de la République, a laissé entendre que des projets initiés par le pouvoir sortant furent intégrés parmi ceux de « Fatshi ». On peut, dès lors, comprendre que le DG Sayiba Tambwe soit convoqué pour justifier la destination donnée aux $ 21 millions.
Depuis son accession à la tête de l’Etat congolais le 26 janvier 2001, « Kabila » et les membres de sa fratrie n’ont cessé de se comporter en « conquistadors ». Pour eux, l’ex-Zaïre en général et le « Grand Katanga » en particulier est réduit au rang d’une « prise de guerre ». Et l’intérêt porté sur le poste frontalier de Kasumbalesa dissimule à peine la volonté de « la famille » de faciliter la « sortie » des ressources naturelles pillées à destination notamment du port de Dar-es-Salaam, en Tanzanie.
LA BOULIMIE DE LA FRATRIE « KABILA »
Quelques faits parlent d’eux-mêmes. En 2011, on a assisté à la construction d’une « nouvelle station de péage » à Kasumbalesa dans le cadre des « Cinq chantiers du chef de l’Etat ». Selon certaines sources, un sujet chinois nommé Simon Kong serait chargé de la gérance de cette structure pour le compte de Zoé « Kabila ».
En date du 15 février 2019, un « lanceur d’alerte » signalait au nouveau chef de l’Etat la « baisse continue » des recettes fiscales et douanières dans la province du Haut-Katanga. Cette situation s’expliquerait, selon lui, par la décision de la Direction générale des douanes et accises (DGDA) de sous-traiter le poste douanier de Kasumbalesa à une entreprise privée dénommée « Trafigo ». La « firme » est quasi-introuvable sur le « Net » où l’on découvre une page assez vague avec cette adresse: 10b/avenue Munguza commune de Kampemba. Selon des sources bien informées cette « société » appartiendrait à Jaynet « Kabila ».
A la surprise générale, la société « Trafigo » qui semble avoir beaucoup de « cash » a lancé, dès mai 2018, des travaux d’élargissement du parking 2 réservé au trafic d’exportation. L’objectif serait de « moderniser totalement » ce poste frontalier afin d’intégrer le Congo-Kin dans l’économie tant de l’Afrique australe qu’orientale.
Sans vouloir disculper Patient Sayiba Tambwe, celui-ci arbore la mine d’un « pauvre bougre ». Un parfait bouc émissaire. Membre de l’équipe de défense du DG de l’Ogefrem, l’avocat Laurent Onyemba a déclaré lundi, ces mots: « Il y a une panoplie de politiciens qui en veulent à Patient Sayiba, au sujet du grand du port sec de Kasumbalesa ». Qui sont ces politiciens? Et si Sayiba était simplement victime expiatoire de la voracité de la fratrie « Kabila »?
Baudouin Amba Wetshi