Pierre Migisha: « J’encourage les électeurs belges d’origine congolaise à voter utile »

Comment allez-vous?

Tout se passe bien. Je suis un peu fatigué par rapport aux élections de dimanche prochain. On est constamment sur le terrain comptant rencontrer de nombreux citoyens de toutes les origines et en particulier  d’origine congolaise pour évoquer toutes les problématiques pour lesquelles nous nous battons.

Vous êtes né en Belgique, à Louvain. Combien de temps avez-vous passé au Congo?

Je n’ai pas passé énormément de temps. J’y allais très souvent en faisant des courts séjours d’un mois. J’ai de la famille à Jomba dans la province du Nord-Kivu. Devenu adulte, j’y suis retourné pour visiter la capitale. Je me suis rendu en 2009 avec RTL pour réaliser un reportage sur les camps de déplacés aux environs de Goma. Je suis allé par la suite à Kinshasa pour rencontrer mon épouse qui est originaire du Kasaï. Elle partage ma vie depuis douze ans. Je n’y ai jamais vécu de manière permanente. Je peux vous assurer que j’ai une bonne connaissance du pays et de ses réalités.

Face à la crise qui prévaut à l’Est de la RDC, on n’entend quasiment pas les voix des Belges pas d’origine congolaise. Qu’en dites-vous? 

On ne nous entend pas très souvent. C’est vrai! C’est une remarque qui pourrait être considérée comme une critique. Je ne vous cache pas que depuis dix ans, j’ai fait un pas de côté dans le sens où je n’étais plus mandataire. J’ai travaillé pour une députée fédérale CD&V, une autre famille politique. Cette situation m’a astreint à une forme de devoir de réserve. Tout ceci ne m’a pas empêché de dénoncer des actes de racisme contre Pierre Kompany et Cécile Djunga. J’ai manifesté, à plusieurs reprises, mon désarroi et ma gêne face à la position modérée de la Belgique sur la situation à l’Est du Congo. Une situation qualifiée d’agression d’un pays voisin qui apporte un soutien claire et nette aux rebelles. Cela fait bientôt trente ans que l’Est du Congo est déstabilisé. Il faut bien regretter – comme le chef de l’Etat congolais l’avait dit – que des citoyens congolais soient en intelligence avec l’agresseur.

Que voit-on? Ce sont des partis qu’on qualifiait jadis de « marginaux » – en l’occurrence le Parti du Travail de Belgique (PTB) et le Rassemblement national de Marine Le Pen – qui donnent de la voix pour dénoncer la crise à l’Est du Congo. Devrait-on conclure que les « partis traditionnels » belges préfèrent ménager le « choucho » Paul Kagame?

Je ne peux pas parler au nom de tous les partis que vous avez qualifié de « traditionnels ». Je dis clairement que je suis déçu par la position de la ministre des Affaires étrangères [Hadja Lahbib, ndlr]. Elle n’a jamais condamné clairement les actes commis par le régime du Rwanda. Je ne stigmatise pas le peuple rwandais qui doit être lui-même victime du pouvoir en place. Madame Lahbib a dénoncé ce conflit par un message enregistré dans son smartphone. Elle a été récemment à Kigali à l’occasion de la commémoration des trente ans du génocide. C’est comme si rien d’anormal ne se passait dans la Région des Grands lacs. Cette attitude est partiellement compréhensible. J’imagine que c’est la position d’un pays qui considère le Congo comme un Etat indépendant et souverain. Et que toute prise de position pourrait être perçu comme du néocolonialisme. Il s’agit ici des partis qui sont au pouvoir. Le PTB et le Rassemblement national dont vous avez parlé sont dans l’opposition. Ils sont assez libres pour s’exprimer. Je peux vous assurer que les « partis traditionnels » belges – c’est le cas des Engagés – ont déjà fustigé les atrocités au Nord-Kivu. L’information n’avait pas été vulgarisée dans le grand public.

« La Belgique ne veut pas prendre position de peur qu’elle soit accusée de néocolonialiste », dites-vous! Qu’en est-il de l’Ukraine agressée par la Russie?

La situation de l’Ukraine se passe à deux ou trois niveaux différents. Il y a d’abord la proximité géographique. Il y a ensuite la proximité de cette guerre par rapport à l’Union Européenne. Ces dimensions font que les pays de l’Union Européenne se sont impliqués. C’est le cas notamment de la Belgique qui va envoyer des F16. Sur le Congo, le Premier ministre Alexander De Croo s’était exprimé en mars dernier. Il faut appeler un chat un chat. Il faut reconnaitre que le régime du Rwanda a pris des longueurs d’avance sur la RDC dans le domaine du lobbying au niveau américain et européen. C’est le cas tant les milieux d’affaires que de la presse internationale.

Que répondez-vous aux électeurs d’origine subsaharienne en général et en particulier congolaise qui vous reprochent de n’être visibles qu’à la veille d’une consultation populaire?

Je peux leur donner raison. C’est vrai que nous sommes plus visibles en campagne. Nous devrions, à l’avenir, prévoir au moins deux rencontres par an pour évoquer toutes les problématiques au lieu d’attendre cinq ans. Au total, dire que nous sommes invisibles, ce n’est pas vraiment exact. Car chaque mandataire politique a une Permanence. Si je suis élu, je proposerais aux autres partis d’organiser des rencontres afin notamment de guider les gens.

Vous êtes 23ème sur la liste des « Engagés » à la Région. Que  pourriez-vous répondre aux Subsahariens qui considèrent tous les candidats belges d’origine subsaharienne de n’être que des « attrape-voix »?

La réalité d’il y a quinze ou vingt ans n’est plus la réalité d’aujourd’hui! Quasiment dans toutes les familles politiques, il y a deux ou trois élus subsahariens. A l’ex-CDh (les Engagés), il y a eu en 2019, Pierre Kompany et Gladys Kazadi ainsi que Bertin Mampaka, désormais actif sous les couleurs du MR. Des attrapes-voix qui finissent par siéger dans les Assemblées. On le voit, nous ne faisons pas que de la figuration.

Pourquoi l’électeur qui se trouve dans l’isoloir devrait voter Pierre Migisha?

En ce qui me concerne, je voudrais mettre en exergue ma grande expérience sur le terrain. J’ai été journaliste pendant dix-huit ans en Belgique. Je connais les réalités de nos pays la Belgique et le Congo. J’ai assumé le mandat de député pendant cinq ans. Sans omettre des passages dans des cabinets ministériels. Pour répondre directement à votre question, il y a l’expérience et le fait je pourrais concrétiser les promesses en actes concrets Il y a enfin mon accessibilité. Si j’étais électeur, je ferais mieux de concentrer le vote sur les candidats qui ont plus de chance. Toute dispersion de voix nous entraîne dans ce que vous appelez les « attrapes-voix ». Je demande aux électeurs de « voter utile ».

Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi

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