Vendredi 29 janvier. Des Kinois ont vécu un spectacle inhabituel. Des soldats en provenance, semble-t-il, des provinces troublées du pays en l’occurrence le Nord-Kivu et l’Ituri. Ces hommes de troupes ont choisi de manifester leur « mauvaise humeur » à un jet de pierre du Camp militaire Kokolo qui abrite le « QG » de la Première Zone de Défense du pays. Ils se plaignent d’avoir accumulé cinq à six mois de soldes impayées. Par un hasard de calendrier, c’est ce même vendredi que le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba s’est (enfin) résolu à déposer la lettre de démission de son gouvernement au chef de l’Etat. Coïncidence?
« Prière éviter les avenues Prince de Liège et Haut commandement. Mouvement de mécontentement de militaires. Ils commencent à accoster des automobilistes ». C’est le message en forme d’alerte qui a circulé vendredi 29 janvier au début de la soirée. Le conducteur qui l’a posté a pris soin d’y joindre une brève vidéo dans laquelle on voit un militaire, non armé, aborder des automobilistes pendant qu’une dizaine d’autres se trouve à une cinquantaine de mètres. Que veulent-ils?
Le militaire le plus avancé explique à un conducteur: « Nous ne sommes pas payés depuis cinq à six mois alors que nous avons nos numéros matricules. Nous demandons au gouvernement de nous soutenir en examinant notre situation », dit-il en lingala. Cette scène se passe à un jet de pierre du Camp militaire Kokolo où se trouve le siège de la Première Zone de Défense regroupant l’ex-Bandundu, la ville-province de Kinshasa et le Kongo Central.
Ce « poto-poto » (désordre en lingala) a provoqué une certaine peur dans la capitale. D’aucuns ont cru, à tort ou à raison, assister à l’éclosion d’un « mouvement insurrectionnel ». La « contre-offensive » tant redoutée de « Joseph Kabila » et sa mouvance dite « Front commun pour le Congo » (Fcc). Celle-ci a subi une succession de revers (remplacement des juges constitutionnels Noël Kilomba et Jean Ubulu, démission forcée du ministre de la Justice Célestin Tunda Ya Kasende, destitution du Bureau de l’Assemblée nationale dirigé par Jeanine Mabunda et renversement du gouvernement de Sylvestre Ilunga Ilunkamba). La dernière infortune en date n’est autre que le « basculement » de la majorité en faveur de la plateforme Cap pour le changement (Cach) que pilote Felix Tshisekedi.
Des témoins joints au téléphone à Kin se veulent rassurants: « Les militaires qui manifestaient n’étaient pas armés. Ils ne menaçaient pas les automobilistes. C’était une manifestation pacifique et spontanée ». Cette façon de voir est tempérée par d’autres témoins qui se sont souvenus des propos comminatoires débités ces dernières heures par des « durs » du Fcc-Pprd. Ceux-ci ont promis d’organiser des « manifestations publiques » aux quatre coins du pays pour s’opposer au pouvoir de l’actuel chef de l’Etat.
Un observateur kinois, qui a requis l’anonymat, s’est dit « atterré » par le « manque d’anticipation » de la part des services de renseignements militaires. Pour lui, l’ex-Demiap a été « pris au dépourvu » par ces protestataires d’un type particulier. « Ces soldats n’étaient pas menaçants? Le problème n’est pas là. Le problème est que les services de renseignements militaires n’ont pas fait preuve d’anticipation en surveillant cette menace potentielle qui aurait pu déstabiliser la capitale ». Notre interlocuteur peine à imaginer des militaires en tenue qui accostent des automobilistes sans qu’il y ait une réaction immédiate des services compétents pour mettre fin au « désordre ».
MOUVEMENT INSURRECTIONNEL VOUE A L’ECHEC A KIN?
Pour y voir clair, l’auteur de ces lignes a contacté un expert en matière de Défense. A en croire notre interlocuteur, ce n’est pas la première fois qu’un tel phénomène se produise en dépit du fait que l’armée est un « secteur prioritaire ». D’après lui, cette situation trouve son point de départ au changement d’affectation de certains officiers généraux. La plupart de ces derniers auraient emmené avec eux leurs troupes dont les soldes ne sont pas mécanisées. « Il faut dire qu’après le contrôle effectué par le Fonds monétaire international sur les effectifs de l’armée, il y a encore des militaires qui ne sont pas recensés ».
Selon cet expert, le problème de salaires impayés ne toucherait pas les soldats venus de l’Est. Des des professeurs français qui enseignent au CHESD (Collège des hautes études de sécurité et de défense) à Kinshasa seraient confrontés à la même situation. « L’ancien commandant du Collège est d’ailleurs rentré en France avec tous les matériels. Les primes prévues à charge de l’Etat congolais n’ont pas été versées par le ministre des Finances, Sele Yalaghuli », souligne-t-il.
D’après cette source, les militaires aperçus sur les deux artères précitées seraient, en réalité, des « déserteurs ». Ils appartenaient à la Force terrestre que dirige le général Fal Sikabwe Asinda, un fidèle parmi les fidèles de l’ex-président « Joseph Kabila ».
Selon lui, ces hommes de troupes devaient, sur proposition de l’ex-Demiap, rencontrer le chef d’état-major général de l’armée, le général Célestin Mbala Musense. Ce dernier leur aurait « posé un lapin ».
Devrait-on parler d’un mouvement insurrectionnel qui a échoué dans la capitale? Notre expert a eu ces mots: « En dix-huit ans de pouvoir, le président Joseph Kabila a confié les postes stratégiques de l’armée aux natifs du Katanga. La vigilance doit être de rigueur. Au moment où je vous parle, tout mouvement insurrectionnel à Kinshasa me parait voué à l’échec ».
Aux dernières nouvelles, on apprenait que des interpellations auraient eu lieu dans les milieux de ces « protestataires ». Affaire à suivre.
Baudouin Amba Wetshi