Felix Tshisekedi vient de totaliser onze mois à la tête de l’Etat. Qu’est ce qui a changé? C’est la question qui hante tous les esprits. Cadre belgo-congolais évoluant dans un groupe belge spécialisé en matière chimique, Patrick Yogo jette un regard sur la situation du pays. Dans un entretien réalisé en mai dernier, il avait déclaré, à Congo Indépendant, que « l’alternance n’a pas eu lieu ». Sept mois après, il n’a pas changé d’avis. Bien au contraire, il appréhende les difficultés que doit éprouver le président Tshisekedi Tshilombo à réaliser les réformes promises. Au motif que les hommes de l’ancien régime continuent à occuper les principaux postes. Yogo d’exhorter le chef de l’Etat congolais à mener une « lutte sans merci » contre la corruption. Pour lui, il faut consolider les institutions existantes (appareil judiciaire, Cour de comptes, Inspection des finances etc.) et non d’en créer d’autres. Il propose la mise en place de mécanismes destinés à protéger les « lanceurs d’alerte » en matière de corruption, blanchiment et fraude fiscale.
A Kinshasa, le ministre près le président de la République, André Kabanda Kana, s’active à organiser la commémoration de l’an I de l’alternance qui a vu la passation du pouvoir entre « Joseph Kabila » et son successeur Felix Tshisekedi Tshilombo. C’était le 24 janvier 2019.
Onze mois après l’avènement de « Fatshi » au sommet de l’Etat – dans le cadre de la coalition « Cap pour le Changement » et « Front Commun pour le Congo » -, les Congolais se tâtent. Ils cherchent à percevoir les changements intervenus dans leur vécu quotidien.
Il faut reconnaître que depuis onze mois, il règne une ambiance plutôt libérale dans le pays. Les pouvoirs publics font preuve d’une certaine tolérance à l’égard de ceux qui contrarient l’orthodoxie d’Etat. Hormis des « dérapages » constatés ici et là, les manifestations pacifiques ne sont plus réprimées à coup de gaz lacrymogènes et autres tirs à balles réelles.
Il faut reconnaître également que la corruption, elle, continue à gangrener la société congolaise rendant le climat des affaires invivables pour les investisseurs.
A l’Est, les bandes armées tant nationales qu’internationales continuent à répandre la terreur et à semer la mort. C’est le cas dans le Territoire de Beni au Nord-Kivu. Il en est de même à Minembwe au Sud-Kivu.
Il faut reconnaître enfin que les réformes promises par le nouveau chef de l’Etat tardent à se matérialiser tant au niveau de l’appareil judiciaire, de l’armée, de la police que des services de renseignements. Sans oublier la Cour constitutionnelle et la Commission électorale nationale indépendante. Ces grands corps de l’Etat sont toujours régentés par des femmes et des hommes qui doivent leur carrière à « Kabila ». Inutile de souligner que le gouvernement et les organes délibérants sont dominés par des « kabilistes » purs et durs.
Ce tableau fait dire à plus d’un observateur que l’alternance, la vraie, n’a jamais eu lieu. A preuve, l’ancienne majorité politique n’a pas été remplacée par une autre issue des élections du 30 décembre 2019.
A Bruxelles, le Belgo-Congolais Patrick Yogo ne dit pas autre chose dans une interview accordée à notre journal (voir vidéo). Économiste et juriste de formation, il maintient la thèse qu’il avait soutenue dans un précédent entretien: « L’alternance n’a pas eu lieu ». Il cite à l’appui le fait que « la classe politique n’a connu aucune mutation ».
Après avoir scruté la méthode de travail en cours à la présidence de la République, « Patrick » dit avoir détecté un certain empirisme. « La passion ne doit pas occulter la raison », dit-il. En clair, Felix Tshisekedi semble faire des annonces sans que celles-ci aient été précédées par des études préliminaires. « Avant de mener toute action, il faut nécessairement faire l’inventaire de la situation en identifiant toutes les parties prenantes et leurs motivations », fait-il remarquer. Et d’ajouter: « Il faut par la suite prévoir des actions correctives sur chaque segment en attaquant le problème à la racine ».
Patrick Yogo qui fait de l’éradication de la corruption son « dada », exhorte le chef de l’Etat à mener une « lutte avérée » contre ce phénomène. « Ce fléau est un des facteurs qui découragent non seulement les investisseurs mais aussi les institutions financières internationales », résume-t-il.
Dans le même registre, il invite le premier magistrat du pays à mettre en place un mécanisme spécial destiné à protéger les « lanceurs d’alerte » en matière de corruption. Pour lui, Jean-Jacques Lumumba est un modèle de référence. La suite dans la vidéo.
B.A.W.