Patrick Meso: « Les communes kinoises sont abandonnées à leur triste sort! »

Les citoyens belges et certains étrangers vivant en Belgique iront aux urnes ce dimanche 14 octobre afin d’élire les conseillers communaux des 589 municipalités du royaume de Belgique. Contrairement au Congo-Kinshasa où la commune n’est qu’une sorte de « dortoir », en Belgique, cette entité est le lieu de contact direct entre le citoyen et les pouvoirs publics. Les communes ont en charge les intérêts communaux. A savoir notamment: maintien de l’ordre public, gestion de l’état civil, gestion de la population, propreté, logement, santé, éducation, commerce, tourisme, culture, mobilité, action sociale (Centre public d’aide sociale). Les communes belges n’ont pas que des compétences. Elles sont dotées des pouvoirs fiscaux qui leur procurent une bonne part de leurs ressources financières pour impulser le développement économique et social à la base. Qu’en est-il des communes congolaises en général et kinoises en particulier? Coordonnateur de l’Association « Bana Barumbu » (ABB), le Bruxellois Patrick Meso Mutata décrit la situation de la commune de Barumbu. Une situation qui est révélatrice de l’état général de ces pouvoirs locaux. Une vraie sonnette d’alarme. Ville-province d’une superficie de près de 10.000 km², Kinshasa compte 24 communes. Interview.

Vous effectuez de temps en temps des séjours à Kinshasa. Comment se porte la Commune de Barumbu?

Je m’y rends effectivement de temps en temps pour suivre les activités de notre association. Je dirai, dans l’ensemble, que la Commune de Barumbu ne se porte pas bien. C’est un peu à l’image des autres municipalités de la capitale.

Quels sont les problèmes auxquelles sont confrontées ces entités?

Deux problèmes majeurs: l’insécurité et l’insalubrité.

Qu’en est-il des services sociaux de base tels que l’eau et l’électricité?

L’eau et l’électricité restent des denrées rares. Vous connaissez le phénomène « délestage » qui s’illustre par des coupures intempestives de l’électricité. La raison invoquée est la surcharge des cabines électriques.

Nous sommes toujours dans les « problèmes ». Parlons un peu du « social »…

Il n’y a pas d’emploi. Le taux de chômage est très élevé. Je devrai plutôt dire que les gens ne travaillent pas.

Quid de l’économie et du commerce?

Il n’y a aucune perspective économique. Il en est de même du commerce. Le problème fondamental de nos communes découle du fait que les autorités sont cooptées et non-élues. Ces dernières ne sont astreintes à aucune obligation de résultat. Elles viennent au bureau non pas pour servir la collectivité mais pour se remplir les poches. Le bien-être des administrés est le cadet de leurs soucis.

Et les infrastructures?

A Barumbu, les routes d’intérêt communal sont dans un piteux état. Le délabrement de l’avenue ex-Bokassa, rebaptisée Luambo Makiadi, en témoigne. Il s’agit pourtant de l’artère principale de cette municipalité. Cette route est impraticable de l’avenue Kabambare jusqu’au Grand Marché. Il n’y a que l’avenue Kasaï qui est encore en moins mauvais état. Les difficultés commencent à partir  de l’avenue Itaga jusqu’à l’avenue du commerce. Inutile de parler de l’avenue Kabambare elle-même. Son était est tout simplement effroyable.

Les écoles?

Il y a une multitude d’écoles privées. La grande majorité de ces établissements n’est pas agréée. Le personnel enseignant n’a pas le niveau requis. Il n’est pas non plus motivé. C’est un problème général dans la capitale. Pour moi, la ville de Kinshasa ressemble à une agglomération « privatisée ». C’est aussi le cas de l’Etat.

C’est-à-dire?

Les autorités politico-administratives ne sont d’aucun secours pour apporter aux populations des solutions concrètes aux problèmes de la vie quotidienne.

C’est le règne du chacun pour soi…

C’est bien cela! Le garant de l’intérêt général est introuvable.

Après le diagnostic, que proposez-vous comme remède?

Notre association avait proposé un plan pour lutter contre l’insalubrité. Nous sommes partenaire de la « RATPK » (Régie d’assainissement et des travaux publics de Kinshasa). Cette régie ne propose rien. Nous avons néanmoins conclu un accord avec elle pour sous-traiter le ramassage des immondices et ordures ménagères. Notre association attend toujours les subsides qui devaient venir de la BCECO (Bureau central de coordination). Le problème est que notre groupement n’a pas le bras assez long pour « ouvrir des portes »

Que proposez-vous pour réduire le chômage?

Il faut commencer par dispenser des « formations qualifiantes ». Pour le moment, il n’y a pas des centres de formation dignes de ce nom.

Il y a pourtant l’Institut national de préparation professionnelle, INPP…

C’est vrai! Sauf que l’INPP paraît incapable de résorber toutes les sollicitation au niveau d’une ville comme Kinshasa avec plus de 10 millions d’habitants. A mon avis, on devrait installer des « INPP » au niveau de chaque commune de la capitale.

Avez-vous pu identifier les compétences recherchées au niveau du marché kinois de l’emploi?

Bien entendu! A titre d’exemple, les cordonniers sont très demandés. C’est le cas également des plombiers, maçons, charpentiers etc. Notre association a fait des études là-dessus. Les moyens font défaut.

Combien ça coûte?

Il faut un budget annuel minimum de 15.000 USD.

Avez-vous déjà évoqué les problèmes épinglés ici avec le bourgmestre de la commune de Barumbu?

Le bourgmestre de Barumbu s’appelle Ernest Numbi. J’ai introduit plusieurs demandes d’audience auprès de son service de protocole. Sans succès. Ce n’est pas de sa faute. En fait, il s’agit d’un « système » perceptible à tous les niveaux de responsabilité à Kinshasa. « L’entourage » filtre les contacts du « chef » au point d’empêcher celui-ci d’être en contact et à l’écoute de la population. Les audiences sont quelquefois monnayées sous divers prétextes. Un jour, un agent du protocole m’a fait une proposition surréaliste: « Si vous me donnez dix dollars, je vais recharger le crédit de mon téléphone pour vous alerter dès que le bourgmestre sera au bureau… »

Si le bourgmestre Ernest Numbi était en face de vous, que lui diriez-vous?

Je lui dirai d’être proche de ses administrés. Je lui dirai également d’aller à la rencontre des gens dans les quartiers pour écouter leurs aspirations. Au début des années 80, nous avons connu des bourgmestres assez accessibles. Ils allaient à la rencontre de la population. Pour votre information, le bourgmestre actuel ne réside même pas sur le territoire de la  commune dont il a la charge. La population ne sait à quelle porte frapper en cas de survenance, la nuit, d’un événement imprévisible. Au total, les gens sont abandonnés à leur triste sort.

S’il vous était donné l’occasion de rencontrer le gouverneur de Kinshasa André Kimbuta, que pourriez-vous lui dire?

Je lui dirai de s’occuper de la population kinoise. Après réflexion, j’estime que Kimbuta n’est pas le problème. C’est encore le « système ». Pour votre information, tous les bourgmestres portent également la casquette de chef municipal (Interfédéral) du parti au pouvoir.

Etes-vous en train de dire que les bourgmestres nommés sont « exonérés » de l’obligation de rendre compte?

Absolument! Il n’y aura pas de changement aussi longtemps que nos gouvernants ne mettront pas de ligne de démarcation entre la gestion d’un service public – dont la vocation est de servir l’intérêt général – avec le militantisme politique. Il est urgent qu’on restaure l’élection comme mode d’accession au pouvoir communal. Comme je l’ai dit précédemment, les bourgmestres sont, pour le moment, cooptés. Ils estiment ne rien devoir à la population.

Un dernier message?

Notre association à proposer la mise sur pied d’une mutuelle de santé. Figurez-vous qu’en ce 21è siècle, des Congolais meurent encore du paludisme et de la fièvre typhoïde. Pour une famille de cinq personnes, nous proposons une cotisation mensuelle de dix dollars. Nous avons trouvé des médecins de Barumbu prêts à nous accompagner.

 

Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi

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