Paradoxe congolais

Le récent article du compatriote Tongele incite un commentaire de notre part. A cela il faut ajouter que nous venons de terminer le mois de février, un mois très important dans la vie de personnes à la peau noire qui vivent en Amérique du Nord (Etats-Unis et le Canada).

Il y a deux décennies, ma fille se rendit comme d’habitude à son école. Mais cette fois-là, la veille, leur enseignante leur avait demandé d’apporter quelques objets de leurs cultures d’origine. Elle s’habilla en africaine, étant de parents congolais, elle porta un pagne wax. En plus, elle porta un objet d’art, une pièce de sculpture: une pirogue dans laquelle s’asseyaient au-devant les enfants, la femme et diverses denrées alimentaires au milieu; et enfin le mari derrière, torse-nu, une culotte autour de la hanche, tenant sa pagaie dans la main. C’est le prototype d’une famille voyageant gaiement dans une pirogue sur un lac quelque part en Afrique de grands-Lacs. Autrefois, la vie allait à merveille et le pays était paisible.

Soudain, ma fille retourna à la maison avant même la fin de la journée scolaire. Eberluée, sa mère, mon épouse, l’accueillit et constata qu’elle était en sanglot. Que se passe-t-il? Lui demanda-t-elle. T’ont-ils chassé de l’école? Qu’as-tu fait de mal? C’est tout un interrogatoire que lui fit subir sa mère. Comme sait le faire une bonne mère africaine. Rien du tout! Notre professeure (une femme), m’a dit que les africains n’ont jamais inventé quoique ce soit. Encore moins une pirogue. Sa mère prit soin de la consoler. Cette histoire a laissé des séquelles dans les têtes de la mère et de sa fille. Voilà le non-dit, la coupe que nous fait boire la migration.

Quelques années avant l’évènement décrit ci-dessus, nous nous rendîmes dans un restaurant de l’université avec un ami sénégalais. Nous passâmes une commande de poulets. On prit trop longtemps à nous servir. Le sang bouillant en nous, hommes du tropique, nous incite souvent à l’impatience. La colère nous emballa et nous nous mimes à nous plaindre. A côté de nous, deux femmes professeures blanches savouraient bonnement leurs plats. Vexées par notre brutalité de langage, estimèrent-elles, décochèrent un missile verbal vers nous. Elles s’estimaient obligées de défendre la servante, parce qu’elle était blanche comme elles. Ne vous estimez-vous pas fortunés de manger du bon poulet? Nombreux de vos compatriotes n’en dégustent pas, nous firent-elles remarquer. Et mon ami de leur répondre, l’africain fut le premier à domestiquer le coq. Vous n’avez qu’à revoir vos notions du néolithique. Ce qui est dit de l’élevage de la volaille s’applique à la navigation navale. Les premières tentatives de navigation navale commencèrent en Egypte ancien sur des tas de roseaux. Qui a copié de l’autre? Bwatu, watu dans nos langues bantoues, et boat et bateau en anglais et français ne sonnent-ils pas pareils? Ce sont des mots d’une même origine. Allez y comprendre la suite.

L’ingéniosité de congolais n’est plus à prouver. Bien qu’il n’ait pas inventé la roue, il prend du plaisir à l’adopter et l’adapter à sa guise. Il s’en approprie. Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, Colette Braeckman a déjà rapporté le paradoxe du congolais. D’un côté, l’intellectuel failli, en dépit de ses longues années d’études, et de l’autre côté, l’homme ordinaire qui accomplit des merveilles. Elle a vanté le mérite des kinois ordinaires: des véhicules initialement conçus à rouler à base de moteurs à essence sont convertis aux moteurs en diesel. Et pourtant, Kinshasa jadis industrialisé avec sa pléthore d’usines de montage d’automobiles: INZAL, Iveco-FIAT, GMC, Goodyear, etc. a perdu son avance. Qui saurait encore que la mobylette (voire la vespa) était montée à Limete chez FNMA? M’a-t-on dit. Et pourtant, aujourd’hui nous importons de la Chine des milliers de motos chaque année. L’usine de montage de VW devait revenir naturellement à la RDC. Que l’Allemagne l’installe au Rwanda révèle notre médiocrité.

Mayoyo Bitumba nous a rappelé, sur ce site, qu’à son temps, à l’Air-Zaïre des pilotes furent des congolais noirs, à la CMZ fourmillaient des capitaines de bateaux congolais. Il y a bien longtemps, avant même l’indépendance des machinistes congolais conduisaient des locomotives. Ailleurs, disait MBTT, comme au Sénégal, les pilotes aviateurs et les capitaines de bateaux étaient des blancs français.

Enfin, un propriétaire d’un véhicule revint de la Zambie. Il nous trouva à Kolwezi. Son véhicule était en panne de moteur. Il se rendit à Lusaka, on ne put rien faire pour lui, car le modèle de son véhicule était dépassé, les pièces de rechanges introuvables. Quelqu’un lui aurait recommandé de traverser la frontière pour qu’il y trouve solution. Il lui proposa l’atelier de la Gécamines. Après 48 heures, on lui fit un piston de rechange, une adaptation locale. Le véhicule fut remis en marche. Que dire de ces infirmiers A3 et A2 font qui font des opérations chirurgicales? Et le pousse-café de Kabasele fit la fierté du congolais, etc.

Nous pourrons multiplier les exemples. Il n’y a que les supers ingénieurs qui n’ont pu fabriquer une aiguille, les juristes qui nous privent la justice, des sciences-po qui ont pondu des souris… à Likasi, l’Afridex, usine de fabrication d’explosifs mènerait à la fabrication de la bombe congolaise, nous miroitait-on. Shinkolobwe est dans sa cour arrière. Où sont passez nos chimistes, et les scientifiques en physique-nucléaire? Ni la paix, ni démocratie, ni développement, mais les diplômes pullulent: c’est le paradoxe congolais.

 

Par Nawej Katond
© Congoindépendant 2003-2018

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