L’Apareco (Alliance des patriotes pour la refondation du Congo) a soufflé, lundi 4 juin 2018, ses 13 bougies. Cet anniversaire a donné prétexte à une interview, par téléphone, avec son fondateur Honoré Ngbanda Ko Atumba. Au centre de l’entretien, la situation générale au Congo-Kinshasa. Sans omettre, les récentes déclarations du président angolais sur le processus électoral chez son grand voisin. Le bilan des treize années d’existence de l’Apareco a été évoqué. Fondée en 2005, cette organisation se définit comme un « mouvement de résistance contre l’occupation ». Ancien conseiller spécial en matière de Sécurité du maréchal Mobutu Sese Seko, Ngbanda est un homme qu’on ne présente plus. Officier de renseignements, il a effectué toute sa carrière dans les « services » où il a gravi tous les échelons. Il a occupé, par ailleurs, les fonctions de ministre de la Défense nationale dans le gouvernement de Bernardin Mungul Diaka (1991) et celui d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba (1992).
En tant que père et acteur politique, quelle a été votre réaction en apprenant le décès du Père de l’activiste des droits humains Rossy Mukendi Tshimanga deux semaines après l’inhumation de son fils, abattu par la police lors de la marche pacifique du 25 février dernier?
C’est une situation pénible. En tant que leader du mouvement de la résistance, je trouve cela révoltant! Voilà pourquoi, je ne cesse, dans mes prises de position, de dénoncer le fait de « sacrifier » le peuple pour rien. Le but de la politique est d’amener le peuple vers le bonheur. J’estime qu’il est criminel de pousser le peuple à des sacrifices inutiles, à des objectifs occultes et inavouables. Pour quelle raison mobilise-t-on les gens dans la rue? Quel est l’objectif atteint après la disparition de toutes ces victimes? Où sont les dirigeants qui les avaient amenés sur le terrain? Outre Rossy et son père, il y a eu plusieurs autres victimes. Derrière la mobilisation des jeunes gens dans la rue, il y a des tractations politiques pour le partage des postes. Avez-vous entendu un seul homme politique se soucier du sort de ces victimes? C’est ça que j’appelle sacrifier le peuple pour rien.
Voulez-vous dire que les « marches pacifiques » sont inutiles?
On doit organiser une marche pour attendre un objectif. Lorsque la population a manifesté en Tunisie, en Egypte ou au Burkina Faso, elle a atteint un objectif. L’objectif ici tient au fait que le peuple s’est libéré d’une situation d’oppression. Cela est loin d’être le cas chez nous. Parlons de « marches pacifiques » des laïcs catholiques que vous évoquez. On demande aux paroissiens de sortir sans objectif ni but politique à atteindre. En face, le pouvoir d’occupation ne cesse de se renforcer. Pour les Rwandais qui sont au pouvoir, ces manifestations constituent une occasion pour repérer les meneurs afin de les éliminer. C’est le cas notamment de « Rossy ». Nous avons besoin de nos jeunes gens pour un soulèvement populaire pour sortir le pays de la servitude. C’est ainsi que nous ne cessons de lancer un appel à tous ceux qui veulent réellement libérer le Congo à nous organiser ensemble pour élaborer un plan d’action.
Monsieur Honoré Ngbanda ne voudrait-il pas une chose et son contraire? Que répondez-vous à certains observateurs qui disent ne pas comprendre la logique de votre combat particulièrement lorsque vous invectivez des opposants tels que Félix Tshisekedi ou Moïse Katumbi?
Ceux qui font ce genre de réflexion ne comprennent rien à la vie politique congolaise. S’il y a deux hommes qui aident régulièrement Kabila à perpétuer la situation dans laquelle nous sommes c’est bien Félix Tshisekedi et Moïse Katumbi. N’est-ce pas Félix Tshisekedi et ses coéquipiers qui ont signé des accords secrets avec Kabila? C’est toujours les mêmes qui ont signé des « accords secrets » en Europe et partout ailleurs. Quand nous disons « mettons-nous ensemble », nous parlons des Congolais qui veulent réellement libérer leur pays. Aujourd’hui, vous conviendrez avec moi que plusieurs acteurs politiques sont en réalité des « collabos ». Des opposants continuent, comme à l’époque de Mobutu, à s’opposer le jour. Dès la tombée de la nuit, ils vont négocier des postes. Hier, on manifestait contre Mobutu. Aujourd’hui, on manifeste contre Kabila. C’est un petit jeu que je connais bien. Avez-vous déjà vu dans ce monde, deux prétendants au même poste de Président de la République devenir des alliés politiques? Les messieurs que vous avez cités prennent les Congolais pour des demeurés…
Ne trouvez-vous pas qu’on colle un peu trop facilement l’épithète « collabo » sur n’importe qui sans qu’on ait apporté le moindre début de preuve?
Lorsque vous vous dites opposant politique à un « régime d’occupation », cela voudrait dire que vous reconnaissez le système en place comme un pouvoir légitime.
Nombreux sont des Congolais qui partagent votre analyse selon laquelle le pays est « sous occupation ». Sur le terrain, il n’existe aucun mouvement de résistance comme ce fut le cas en France. Jusqu’ici le combat se limite au niveau des média. Selon vous, que faire concrètement pour « libérer » le pays?
Vous faites une fausse analyse. Beaucoup de Congolais pensent qu’il faut constituer une « armée de Rambos ». Nous avons des paramètres qui nous sont propres. Lorsque la France était occupée, plusieurs puissances sont venues à sa rescousse. En ce qui concerne le Congo-Kinshasa, la situation est plus complexe: il y a des puissances étrangères qui sont complices de l’occupation de notre pays. Nous nous battons pour que le peuple congolais prenne conscience qu’il doit se libérer. Je peux vous assurer que si une armée de mercenaires venait pour libérer le Congo, vous verrez que les « vautours » qui convoitent le pays vont revenir à la charge pour une nouvelle occupation. Le travail que je fais est une oeuvre de longue haleine. Nous visons le long terme.
N’avez-vous pas le sentiment que l’homme congolais parle beaucoup mais agit peu?
C’est vous qui parlez beaucoup et agissez peu. Moi, je parle et j’agi. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, il y a des gens qui opèrent sur le terrain. Il y a d’abord le travail au niveau de la mentalité. L’homme congolais souffre du « nombrilisme ». Chacun pense à sa famille, ses enfants, sa tribu, sa province. Tant que la mentalité d’un peuple n’aura pas changé, il va demeurer esclave. Je vais vous faire une révélation. A l’Est du pays, nous n’avons pas une armée qui protège le pays. Ce sont des « jeunes gens » qui font un travail de résistance. Sans ces derniers, le pays serait « parti » depuis très longtemps.
Vous avez suivi les déclarations du président angolais Joao Lourenço sur le processus électoral au Congo-Kinshasa. Quelle est la réaction de l’officier de renseignements que vous êtes et qui connait bien les relations entre notre pays et l’Angola sous Mobutu Sese Seko, Laurent-Désiré Kabila et « Joseph Kabila »?
Le Congo-Kinshasa d’aujourd’hui est toujours cette « terra nillius ». Soixante années après la proclamation des indépendances, les dirigeants africains demeurent encore les marionnettes des Etats-Unis. Dans les années 70, le Zaïre de Mobutu était le gendarme de l’Occident. Dans les années 86-95, le président ougandais Yoweri Museveni a joué ce rôle au Rwanda. C’est Paul Kagame qui joue aujourd’hui le gendarme pour le compte des Etats-Unis au Congo-Kinshasa. Aujourd’hui, l’Angola de Joao Lourenço joue le rôle de gendarme des Etats-Unis dans notre pays et dans la SADC. Voilà pourquoi nous devons nous battre afin que les peuples africains prennent conscience qu’eux seuls peuvent mettre fin à ce cycle infernal. Je tiens, par ailleurs, à signaler que nous devons faire très attention avec le président français actuel. Celui-ci est différent de ses prédécesseurs qui étaient des « représentants » du monde français des affaires. Emmanuel Macron, lui, est le produit direct du monde des banques et du CAC 40 [CAC 40: cotation assistée en continu, Ndlr]. Il n’y a que ça qui compte chez lui. La déclaration de Lourenço sur le Congo-Kinshasa est un non-événement. C’est tout simplement absurde de dire qu’on accorde le bénéfice de doute au président Kabila. Joao Lourenço connait bien la réalité de ce qui se passe. Son pays a contribué à l’installation du régime de Kabila. Le président angolais ne travaille nullement pour l’intérêt du peuple congolais. Il faut reconnaître une chose. A savoir que tous ces pays voisins ont intérêt à voir le Congo-Kinshasa demeurer dans l’état de liquéfaction actuelle. C’est une erreur que font des Congolais de penser que la solution aux problèmes de leur pays viendra de l’Angola ou d’un autre pays ». Nous faisons le jeu de ceux qui veulent nous asservir.
Une douzaine d’universitaires dont le docteur Denis Mukwege et les professeurs André Mbata Mangu et Alphonse Maïndo, battent actuellement « campagne » pour la mise en place d’une « Transition citoyenne sans Kabila ». Qu’en pensez-vous?
Je respecte beaucoup la combativité de mon frère le docteur Mukwege et de tous les autres frères que vous avez cités. Je crois en la sincérité de chacun d’eux. Quand j’entends des compatriotes évoquer l’idée d’une « Transition citoyenne sans Kabila », je me suis souvent posé des questions: par quel mécanisme pourraient-ils mettre Kabila à l’écart? Est-ce que le « système d’occupation » qui a installé ce dernier laissera faire? Une transition sans Kabila ne suppose-t-il pas la libération préalable du pays du système qui a placé cet homme au sommet de l’Etat?
Des hommes en uniformes ont attaqué à l’arme lourde, le vendredi 1er juin, à 1 h00 du matin, le siège d’un parti politique pro-Katumbi à Lubumbashi. « Joseph Kabila » et son ministre de l’Intérieur se trouvaient dans la ville au moment des faits. Devrait-on parler de « terrorisme d’Etat »?
La situation que vous décrivez occulte une seule vraie réalité. A savoir que le Congo-Kinshasa est sous occupation. Aujourd’hui, la vie d’un Congolais n’a plus de valeur. On tue impunément. Cette situation est cautionnée par la communauté internationale. Si le président Mobutu et ses proches avaient commis l’un millième de ce qui se passe maintenant dans notre pays, ils auraient subi le sort réservé au colonel Kadhafi…
L’Apareco vient de souffler ses 13 bougies. Pourriez-vous esquissez un bilan au regard des objectifs lui assignés en 2005?
Lors de la création de l’Apareco en 2005, je comptais beaucoup sur les militaires des ex-Forces armées zaïroises pour surprendre l’ennemi. On espérait sortir le pays de l’occupation en quelques mois ou années. Hélas, je me suis rendu compte que mes compatriotes militaires étaient facilement corruptibles. L’ennemi a été plus efficace. Nous avons perdu beaucoup d’hommes sur le terrain. Ils ont été trahis par des officiers qui devaient les amener au combat. Voilà pourquoi, nous avons jugé bon de mettre l’accent sur la conscientisation de notre peuple. Dans ce combat, nous affrontons des Africains et des Européens qui sont au service du « système ». Nous avons commencé ce travail contre nos propres frères. Ce n’est pas facile. Je peux vous assurer que nous avons réussi à réveiller la conscience des Congolais aussi bien dans la diaspora qu’à l’intérieur du pays. Quand nous avons commencé ce combat via l’Internet, d’aucuns s’étaient moqué de nous. Nos détracteurs d’hier ont fini par comprendre que l’Internet permet de contourner pas mal d’obstacles au niveau médiatique.
Auriez-vous des regrets?
Je regrette d’avoir placé ma confiance en mes compatriotes militaires. Il y a beaucoup d’actions entreprises qui n’ont pas abouti. Je prends cela positivement. Ne dit-on pas que l’expérience est la somme des échecs?
Vous avez été ministre de la Défense au début des années 90 sous la IIème République. A l’époque, on parlait des « forces spéciales » ou des « forces d’intervention spéciales ». Où sont passés tous ces commandos formés dans les meilleures académies militaires? Que sont-ils devenus vingt ans après?
Nous avions effectivement les meilleurs éléments formés notamment en Israël et aux Etats-Unis. J’ai été chargé de négocier la formation de nombreux d’entre eux. Quand le Tchad se disputait la bande d’Aouzou avec la Libye du colonel Moammar Kadhafi, nos troupes étaient intervenues du côté tchadien. Beaucoup de nos meilleurs éléments ont été décimés au cours des premières années qui ont suivi l’occupation. Pour être précis, c’est entre 1997 et 2000. Laurent Désiré Kabila, Kanambe et autre James Kabarebe avaient empoisonné la nourriture destinée aux militaires et officiers congolais à Mbanza Ngungu, Kitona et ailleurs. Certains de nos militaires ont préféré mettre leur savoir au service des Rwandais.
C’est la deuxième fois que vous accordez une interview à notre journal via le téléphone. Auriez-vous des craintes pour votre intégrité physique?
Je mène un combat difficile. Vous comprendrez le sens de ce combat peut-être plus tard quand je ne serai plus là. Ce combat ne consiste pas à défendre mes intérêts particuliers. C’est pour les générations à venir. Nous nous battons contre un monstre à plusieurs têtes. Toutes ces puissances dont je dénonce l’implication dans l’occupation de notre pays seront heureuses de me localiser. Je suis un homme à abattre. Les vice-présidents et les secrétaires généraux de l’Apareco font face aux mêmes menaces. Chaque jour, je reçois des messages de menace de toutes parts. Je n’ai pas peur. Je suis tout simplement prudent. Vous vous souviendrez de ce qui est arrivé au commandant afghan Massoud. Il avait commis une seule erreur. Dans les milieux sécuritaires, on dit: « la première erreur est la dernière ».
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi