Opposant burundais, président du MPD-FGLBU (Mouvement pour la paix et le développement – Force girafe pour la libération du Burundi), Jean-Marie Nduwamungu vit en exil. Analysant à chaud la disparition du président sortant Pierre Nkurunziza, il estime que « c’est une opportunité pour la paix au Burundi autant que dans la sous-région ». Pour lui, toute paix durable devrait passer par la tenue d’un « dialogue inclusif » impliquant le parti au pouvoir, la société civile, l’opposition et la communauté internationale. Il reste cependant perplexe sur la capacité du président élu, Evariste Ndayishimiye, à se faire obéir par les généraux. Interview.
Comment allez-vous?
Je vais très bien!
Vous allez bien alors que votre président sortant, Pierre Nkurunziza, est décédé?
Je ne peux en aucun cas me réjouir de la mort d’une personne. En tant qu’être humain, nous restons soucieux du bien-être de chacun et de chacune d’entre nous. Hélas, la situation est là!
Comment avez-vous accueilli cette nouvelle?
La disparition de Pierre Nkurunziza ne m’a guère étonné dans la mesure où chaque jour ou à chaque minute, de nombreux Burundais meurent au dans l’anonymat. Nous évoquons le décès de Nkurunziza simplement parce qu’il a été le numéro un du pays. Je peux vous dire que dans tous les villages et toutes les villes du Burundi, il y a des morts suite à cette pandémie de Coronavirus. D’ailleurs, je fais partie de ceux qui avaient recommandé que les élections générales du 20 mai soient reportées afin d’éviter la propagation du Covid-19. Je l’ai fait savoir dans un communiqué. Je tiens à rappeler, au demeurant, que ces consultations politiques n’étaient nullement inclusives.
Que va-t-il se passer maintenant, selon vous?
Le Burundi se trouve dans une incertitude. Le président Nkurunziza avait « taillé » les institutions du pays à sa mesure. La constitution lui donnait la faculté de devenir le « Guide suprême » à l’image de l’Ayatollah Khomeini d’Iran. Il jouissait de tous les privilèges. C’est lui qui a désigné son dauphin en la personne d’Evariste Ndayishimiye. Celui-ci a été élu Président de la République. Même si nous le contestons, il a été confirmé par la Cour suprême. Aura-t-il assez de marge de manœuvre pour gérer le pays? L’opposition qui a participé aux élections est une « opposition achetée ». Rien n’est réglé. De son vivant, Nkurunziza était le maître absolu du pays. Ndayishimiye aura-t-il la capacité de « maîtriser » tous ces « gangsters » incontrôlés?
Pensez-vous que des officiers pourraient être tentés de faire un putsch contre le Président élu?
Je ne peux pas être affirmatif. Mais tout est possible. De mémoire de Burundais, « Evariste » n’avait rien à dire aux généraux au sein du parti CNDD-FDD. Tout se décidait autour de Nkurunziza. Il faut bien reconnaître qu’un putsch ne pourrait en aucun cas résoudre la crise politique qui prévaut au Burundi. Bien au contraire. Cette crise ne pourrait trouver de solution par la mise en oeuvre d’un « dialogue inclusif ».
Voulez-vous dire qu’il faudrait une sorte de « conférence nationale »?
Absolument! Les filles et fils du Burundi doivent se parler à cœur ouvert. La crise burundaise pourrait connaitre un début de solution dès que chacun des protagonistes aura accepté de jouer la carte du dialogue. La communauté internationale s’était investie dans ce sens mais le pouvoir de Nkurunziza a inventé des artifices pour s’y dérober. Je ne dirai jamais assez que la paix au Burundi reste tributaire d’un dialogue regroupant tout le monde. A savoir: les confessions religieuses, les partis politiques, le parti au pouvoir, l’opposition, la jeunesse, la communauté internationale etc. Nous devons garder constamment à l’esprit d’où nous venons. Le Burundi a retrouvé la paix grâce à l’Accord d’Arusha signé le 28 août 2000, en Tanzanie. Celui qui remet en cause cet accord n’est pas favorable à la paix.
Quelle est l’ambiance qui règne à Bujumbura depuis l’annonce de la mort de Pierre Nkurunziza?
Comme je l’ai indiqué précédemment, c’est l’incertitude. D’abord, Nkurunziza est décédé lundi 8 juin. La nouvelle circulait de bouche à oreille. Ce n’est que le lendemain mardi que le secrétaire général du gouvernement, Prosper Ntahorwamiye, a publié un communiqué officiel. Au moment où nous parlons, nul ne connait la position du CNDD-FDD, le parti au pouvoir. Tout le monde attend. Selon les dernières nouvelles, tous les généraux seraient « en conclave ».
Que pourrait-on mettre au crédit de Pierre Nkurunziza en termes de réalisations?
Sans vouloir sous-estimer un chef d’Etat qui a exercé le pouvoir de 2005 à 2020, je dois vous dire que tout n’a pas été parfait.
Voulez-vous dire que le troisième mandat a été un « mandat de trop »?
Effectivement! Il y a eu non seulement un mandat de trop mais aussi une gouvernance qui ne souciaient pas de rencontrer les attentes de la population vivant dans les villages, les villes ainsi que la capitale. Nkurunziza a passé l’Histoire du Burundi par pertes et profits. Ce comportement nous a entraîné dans la situation actuelle. Et pourtant, son avènement à la tête de l’Etat en 2005 avait suscité de l’espoir. Les ennemis d’hier vivaient désormais ensemble. Il y avait une cohabitation. Pour votre information, le Burundi est seul pays au monde où une armée nationale a accepté d’intégrer dans ses rangs les anciens combattants de la rébellion. C’est grâce à l’Accord d’Arusha. Ancien chef d’un mouvement rebelle, Nkurunziza n’avait pas gagné la guerre. Il avait négocié le « vivre ensemble ». En 2010, les gens ont commencé à déchanter. En 2015, la déception était totale lorsqu’il a décidé de briguer un troisième mandat foulant aux pieds l’Accord d’Arusha qui a été soutenu par l’ensemble de Burundais. En lieu et place du vivre ensemble, il a instauré une dictature. La durée du mandat présidentielle qui était de cinq ans est passée à 7 ans. Lors des récentes élections, il a exclu des partis politiques et des Burundais de l’étranger. Pire encore, il a fait organiser ces scrutins au moment où le monde entier était en confinement du fait de la pandémie du Coronavirus…
A vous entendre parler, il n’y a donc aucune réalisation à mettre à l’actif du défunt Président…
En raisonnant par l’absurde, je dirais que l’unique « haut fait » accompli par Nkurunziza est celui d’avoir transformé le conflit ethnique récurrent entre Hutu et Tutsi en une « crise politique ». Ceux qui cultivent la terre continuaient à le faire sans s’inquiéter. Et ce aussi longtemps qu’ils ne se mêlaient pas de la politique. Le défunt Président aurait dû donner une meilleure qualité de vie à la population par une éducation et des soins de santé de qualité. Sans oublier le logement. A mon avis, Nkurunziza n’a pas fait « grand-chose ».
Il semble que le président Nkurunziza avait déclaré que le Burundi était épargné de cette pandémie par la « grâce divine »…
C’est ce qu’il disait. Ayant compris que les populations africaines sont très croyantes, nos dictateurs savent comment « berner » leurs concitoyens en invoquant des passages de l’Evangile. Nkurunziza savait que les Burundais, aussi bien les catholiques, les évangéliques que les musulmans, sont attachés à Dieu. A chaque activité, il poussait les gens à prier. C’est ça qui lui a permis d’avoir un ascendant sur la population.
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi