Banque à capitaux camerounais, « Afriland First Bank » serait-elle sur les pas de la BIAC? Cette ancienne troisième banque au Congo-Kinshasa – avec 500.000 comptes – a été mise en liquidation depuis 2016. Dans une correspondance adressée au gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC), le « groupement d’actionnaires majoritaires » de cet établissement bancaire, représenté par Jean Paulin Fonkoua Kake (président du conseil d’administration) et Jean-Paul Kamdem (Vice-Président Exécutif) dénonce la « décapitation » du conseil d’administration de cette banque commerciale par… la Banque centrale du Congo. Le groupe dénonce également des « mouvements de fonds incontrôlés » qui seraient devenus « pratique courante ». L’année dernière, cet établissement financier a défrayé la chronique. Deux de ses agents – devenus « lanceurs d’alerte » – avaient révélé l’existence d’un « réseau de blanchiment ». Et ce avec la connivence avec l’homme d’affaires israélien Dan Gertler dans le but de contourner les sanctions du département américain du Trésor. Que se passe-t-il à la représentation au Congo-Kin d’Afriland First Bank? Pour obtenir un début de réponse à cette question, nous avons contacté Navy Malela, ancien auditeur à ladite banque. INTERVIEW.
Partagez-vous l’opinion selon laquelle Afriland First Bank serait sur les pas de la BIAC?
Effectivement, sauf si des mesures correctives étaient appliquées rapidement.
Dans une lettre adressée à la gouverneure de la Banque centrale du Congo, la « communauté des actionnaires » fait état notamment de « mouvements de fonds incontrôlés » qui seraient devenus une « pratique courante »…
Ça ne m’étonne pas! Vous vous souviendrez que nous avions révélé que le directeur général adjoint actuel a été identifié comme le seul maître à bord…
Voulez-vous parler de Patrick Kafindo Zongwe?
Absolument! Patrick Kafindo Zongwe a été l’homme-orchestre du « système Gertler » au sein d’Afriland First Bank. A l’instar de Gertler, il y avait d’autres personnalités controversées qui avaient élu domicile dans cette banque. Kafindo est au centre de toutes les opérations illicites et de contournement des sanctions du département américain du Trésor. Sans omettre des détournements de deniers publics au sein de la banque. D’ailleurs, l’IGF (Inspection générale des finances) a écrit à Afriland First Bank au sujet d’un présumé détournement de sept millions de dollars d’argent public. Voilà comment fonctionne aujourd’hui cette banque. On ne peut pas comprendre que des actionnaires majoritaires d’une entreprise soient de leur pouvoir au profit de la Banque centrale.
Confirmez-vous que la grande majorité des députés nationaux ont leurs comptes bancaires chez Afriland First Bank?
Oui! C’est une situation qui ne date pas d’aujourd’hui. Cette banque a commencé à « accompagner » les parlementaires depuis la première législature (2006-2011). C’était lors de l’achat à crédit des véhicules « Nissan Patrol ». Il s’est établi une coutume ou plutôt un « partenariat » entre cette banque et l’Assemblée nationale.
Les clients d’Afriland First Bank devraient-ils, au moment où nous parlons, avoir des appréhensions?
Bien-sûr que oui! Afriland First Bank ne jouit plus du crédit de confiance dont elle bénéficiait auprès de sa clientèle. La confiance est le premier atout dont dispose une banque auprès de la clientèle. Il y a aussi l’image. Cette image-là est maintenant brouillée. Certains clients ont décidé de retirer leurs avoirs. Il n’en reste que très peu. C’est le cas surtout des institutions publiques et des fonctionnaires. Personnellement, je ne conseillerai personne à déposer ses avoirs à cette banque. A moins qu’il y ait des changements notables dans le sens de respect des normes requises pour une banque commerciale de cette envergure.
Vous avez connus des ennuis judiciaires avec votre collègue Gradi Koko pour avoir dénoncé des pratiques peu orthodoxes chez Afriland, devrait-on conclure que l’avenir a fini par vous donner raison?
Bien-sûr! Bien-sûr! Je ne suis nullement surpris par ce qui se passent dans cette banque. Je suis réconforté de voir le groupe des actionnaires qui nous avons traité jadis « d’escrocs » et de « voleurs de documents » se comporter en « lanceur d’alerte ». Je n’ai qu’un seul regret. Celui de constater que le groupe n’a pas eu le courage de nous citer pour avoir été les premiers à dénoncer les magouilles qui se passaient au niveau de la banque. Cela me conforte dans ma position autant que dans la lutte contre les fléaux que sont la corruption, le blanchiment et le détournement des deniers publics.
La situation qui prévaut à Afriland First Bank est connue. Qu’est-ce que la Banque Centrale du Congo aurait dû faire? Qu’est-ce qu’elle n’a pas fait?
En tant qu’autorité de régulation, la Banque centrale devait respecter les lois et ses propres textes.
Que dit la législation dans le cas sous examen?
En matière de gouvernance d’une banque commerciale, la Banque centrale n’a pas à s’immiscer dans les « affaires internes ». Elle devait se limiter à prendre acte de la lettre que le président du conseil d’administration d’Afriland First Bank lui avait destinée. Elle devait attendre que le conseil d’administration désigne d’autres animateurs de la banque. Je persiste et signe: la loi ne permet pas à la BCC d’agir comme elle l’a fait. En cas d’abus signalé dans une banque commerciale, la BCC doit se limiter à dépêcher une mission de contrôle. Ce n’est qu’au vu des conclusions qu’elle peut agir pour éradiquer les fléaux qui affectent le système bancaire congolais. Nous avons suivi les conclusions de l’enquête « Congo Hold-Up ». Nous avons pu constater les rapports ambigus existant entre les milieux financiers et le monde politique…
A quoi attribuez-vous la position adoptée par la Banque centrale du Congo dans ce dossier? Devrait-on parler d’incompétence?
La corruption reste le grand fléau qui gangrène la vie dans notre pays. La kleptomanie a élu domicile dans le chef de nos dirigeants. La Banque centrale du Congo est certes l’autorité de régulation. Mais elle dépend du ministère des Finances et du premier magistrat du pays. Il me semble qu’il y a des pratiques qui ont été mises en place depuis longtemps. La Banque centrale continue dans cet élan. Il faudrait que les autorités nationales donnent un coup d’arrêt à ces mauvaises habitudes.
Vous vivez en exil. Où en est-on avec le procès ayant abouti à votre « condamnation à mort » avec votre collègue Gradi Koko?
Depuis l’année dernière, nous avons fait une requête de prise à partie contre les trois juges qui nous avaient condamnés à mort. Jusque-là, il n’y a aucun fait nouveau. Aucune avancée. Je ne suis pas étonné de constater que les juges ont agi avec célérité pour prononcer notre condamnation. La corruption a, sans doute, joué son rôle. La réformation de cette décision inique bute à des manoeuvres dilatoires. L’Etat de droit ne pourrait voir le jour qu’au moment où les lois seront effectivement appliquées…
Comment se porte votre collègue Gradi Koko?
Il se porte très bien.
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi