Tous les regards seront braqués ce mardi 26 janvier sur le Palais du peuple le siège du Parlement congolais. En cause, le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba est attendu, à 13 heures, à la Plénière de l’Assemblée nationale. Et ce dans le cadre d’une motion de censure signée par 301 députés contre le gouvernement dont il est le primus inter pares. On apprenait, dimanche 24, que le chef du gouvernement a quitté Kinshasa. Il se trouve à Lubumbashi, chef-lieu du Haut-Katanga, où il devait s’entretenir avec l’ex-président « Joseph Kabila », « l’autorité morale » du Front commun pour le Congo (Fcc). Et si le « Premier » Ilunga ne se présentait pas à la séance plénière de la Chambre basse de ce mardi?
Fidèle entre les fidèles de l’ex-président « Joseph Kabila », le Premier ministre congolais Sylvestre Ilunga Ilunkamba, 73 ans, se trouve depuis dimanche 24 janvier à Lubumbashi. Il s’y est rendu illico presto afin de « consulter » « l’autorité morale » du Fcc (Front commun pour le Congo) sur la conduite à adopter face à la motion de censure contre lui et son gouvernement. Des observateurs sont affligés de voir ce politicien expérimenté doublé d’un professeur d’Economie appliquée se laisser « trimballer » par un « blanc bec ».
Dans une « déclaration », non signée, datée du 24 janvier, Ilunga Ilunkamba (?) justifie son déplacement par le fait que c’est « Joseph Kabila » qui avait proposé son nom au poste de Premier ministre « ce qui a permis ma nomination par son excellence Monsieur le Président de la République ».
Depuis le mois de novembre 2019, il y a une crise persistante entre l’institution Président de la République et le « clan kabiliste » représenté par le Premier ministre Ilunga et les présidents de deux chambres du Parlement. A savoir Alexis Thambwe (Sénat) et Jeanine Mabunda Lioko (Assemblée nationale). Début décembre, cette dernière a été déchue avec l’ensemble des membres de son Bureau suite à une pétition. Un Bureau d’âge a été désigné pour expédier les affaires courantes. A savoir, organiser notamment l’élection du Bureau définitif.
Par lettre n°1872/RDC/AN/CP/D/JLO 062/2021 datée du 23 janvier 2021, le président du Bureau d’âge, Christophe Mboso N’kodia Pwanga, a transmis à Sylvestre Ilunga la motion de censure signée par 301 députés contre le gouvernement qu’il dirige depuis début le mois de septembre 2019. « (…), je vous prie de vous présenter à la séance plénière du mardi 26 janvier 2021, à 13 heures », précise le président du Bureau d’âge.
Lundi 25, le tout-Kinshasa politico-médiatique se posait deux questions. Primo: le Bureau d’âge est-il compétent pour diligenter le « contrôle parlementaire »? Secundo: Et si le Premier ministre Ilunga ne se présentait pas à la séance plénière de ce mardi 26 janvier, à 13 heures?
A la première interrogation, nombreux sont des chroniqueurs qui répondent par l’affirmative en apportant une nuance. Ils citent à l’appui l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 15 janvier 2021 – en interprétation de l’article 101 de la Constitution – habilitant le Bureau d’âge à gérer les affaires courantes en organisant l’élection du Bureau définitif mais aussi, « vu l’urgence », à exercer le contrôle parlementaire. Pour ces chroniqueurs, le Bureau d’âge est parfaitement compétent pour jouer son rôle de « courroie de transmission » de la motion de censure dont l’initiative revient à la Plénière.
Intervenant lundi 25 à l’émission « Bosolo na politik » avec d’autres collègues, le député national Cherubin Okende Senga, proche de Moïse Katumbi, semble partager l’avis des chroniqueurs. Se reportant sur l’alinéa 26 de l’article 23 du Règlement d’ordre intérieur de l’Assemblée nationale, « Cherubin », qui est juriste de formation, soutient que le contrôle parlementaire relève de la compétence de la « Plénière » et non du Bureau définitif ou d’âge. Pour lui, la mise en cause de la compétence du Bureau d’âge est un débat qui n’a pas lieu d’être. Autrement dit, le « Premier » a affaire avec cet organe suprême de l’Assemblée nationale.
LE PREMIER MINISTRE ILUNGA FAIT DE LA RESISTANCE
Le Fcc est loin de partager ces avis. Dans une déclaration faite sur la radio Top Congo, la députée nationale Geneviève Inagosi considère que le Bureau d’âge est « illégal ». « Il faut un Bureau définitif pour examiner cette motion de censure », a-t-elle martelé sans citer à l’appui une base juridique. Pour elle, le Premier ministre Ilunga ne répondra pas à l’invitation lui transmise par Christophe Mboso. « En ce qui me concerne, la seule personne mandatée pour parler en mon nom, c’est mon porte-parole(…)« , écrivait le Premier ministre Ilunga dans sa déclaration précitée. Que valent, dès lors, les propos de la dame Inagosi? N’empêche, cette dernière a sans doute dit tout haut ce qui se murmure tout bas au sein du « Comité de crise » mis en place par « Kabila ».
Qu’en est-il de la seconde interrogation à savoir l’hypothèse de l’absence du Premier ministre à la Plénière de ce mardi 26? Selon des chroniqueurs et quelques juristes, la réponse est contenue dans l’article 199 du Règlement d’ordre intérieur de l’Assemblée nationale. Pour l’essentiel, on retiendra qu’en cas de refus ou de présentation tardive de l’interpellé, la Plénière va rédiger un rapport assorti des « recommandations ». Il reviendra au Bureau d’âge de transmettre ledit rapport au Président de la République. Un vote pourrait intervenir en clôture des débats.
En ce qui concerne le cas Ilunga Ilunkamba, certains parlementaires disent vouloir appliquer la « jurisprudence Kabund ». Il s’agit, en fait, du « précédent Kabund ». Premier vice-président de l’Assemblée nationale, l’Udps Jean-Marc Kabund-A-Kabund fut déchu en mai 2020 suite à une pétition. « L’absence de Kabund ne nous avait pas empêché d’examiner la pétition dont question et de procéder au vote », soutiennent certains députés.
En se rendant à Lubumbashi, 48 heures avant la date de sa convocation à la Plénière de la Chambre basse du Parlement, le Premier ministre Ilunga a, sans conteste, fait un pied de nez tant au président Felix Tshisekedi Tshilombo qu’à la représentation nationale. L’homme parait décidé à faire de la résistance.
L’attitude du chef du gouvernement vient rappeler la crise institutionnelle qui « paralyse » l’Etat depuis le mois de novembre 2019. Une crise qui tire son origine dans le non-respect des institutions. Cette crise explique la bruyante décision du président Felix Tshisekedi Tshilombo de dénoncer la coalition Fcc-Cach et de lancer une sorte de « rassemblement des patriotes » dénommée « Union sacrée de la Nation ». L’envol de ce projet accuse une certaine lenteur. Une chose paraît sûre: le « clan kabiliste » n’a peut-être pas encore dit son dernier mot…
Baudouin Amba Wetshi