Membre de la garde rapprochée du président Laurent-Désiré Kabila, Georges Mirindi, alors lieutenant, fut arrêté et torturé au « GLM » au lendemain de la mort de ce dernier. C’était le 16 janvier 2001. L’homme vit actuellement en exil dans un pays scandinave. Kivutien, proche du commandant Anselme Masasu Nindaga, Mirindi et ses camarades ont « accompagné » « Papa Kabila » de Goma à Kinshasa dans le cadre de la guerre dite de « libération ». Accusé de préparer un coup d’Etat, Masasu fut exécuté en décembre 2000 à Kantonia, près de Pweto. Le 16 janvier 2001, Mzee Kabila est trouvé mort dans son bureau. Le crime fut aussitôt imputé aux « Kadogo » venus du Kivu « pour venger » leur leader Masasu. Une version officielle qui camouflait ce qui ressemble bien à un « coup d’Etat de palais ». Pour Mirindi, la mesure de clémence décidée par le chef de l’Etat à l’endroit des condamnés dont Eddy Kapend est un moment propice pour faire éclater la vérité sur les circonstances exactes de la mort non seulement du président LD Kabila mais aussi d’Anselme Masasu Nindaga. Pour lui, il faudrait une « enquête libre et indépendante ». INTERVIEW.
Comment allez-vous?
Je vais bien cher journaliste. Et vous?
On sent que vous êtes très en forme…
Pourquoi pas? Le changement a commencé dans notre pays. Nous avons désormais toutes les raisons d’espérer et d’être en forme.
Que pensez-vous de la rupture de la coalition Fcc-Cach?
En fait, je m’y attendais. Je suis arrivé à cette conclusion en comparant la lutte de l’UDPS et les valeurs qu’incarnaient Etienne Tshisekedi wa Mulumba et les antivaleurs que charrient Joseph Kabila et tous les vautours qui gravitaient autour de lui au cours de ces vingt dernières années. J’avais du mal à imaginer que « Felix » devienne un allié de Joseph Kabila. J’attendais cette rupture avec impatience.
Le président de la République vient d’accorder une « grâce amnistiante » au colonel Eddy Kapend ainsi qu’à ses co-accusés. Quelle est votre réaction?
Ces personnes ont été, en réalité, des « otages » d’un individu. Le crime qui leur a été imputé n’a jamais été démontré par l’accusation. Monsieur Joseph Kabila les a maintenues en détention à la prison de Makala d’abord sous la surveillance des militaires zimbabwéens. Il a, par la suite, chargé ses propres gardes de prendre le relais. C’est à croire qu’il s’agissait d’une affaire privée. Les bénéficiaires de la mesure de clémence du chef de l’Etat sont des innocents. Il reste qu’il y a parmi eux des « monstres tueurs ».
Qui par exemple?
C’est le cas d’Eddy Kapend et de toute sa bande qui sévissaient au GLM [GLM: immeuble Groupe Litho Moboti]. Les membres de cette bande se vantaient eux-mêmes d’avoir ôter la vie à des Congolais autant qu’à des étrangers. Ils ont commis des massacres à travers le pays. Anciens bourreaux, ils ont été « mal condamnés » en figurant parmi les victimes. C’est au nom des victimes, que Kapend et sa bande de tueurs ont le droit de sortir de prison simplement parce qu’ils n’ont pas été jugés et condamnés pour des faits infractionnels commis par eux. Le procès sur l’assassinat de Mzee Kabila qui s’est terminé le 8 janvier 2003 n’a été qu’une farce. Les crimes réellement commis n’ont pas été jugés. Je suis formel: la mort de Masasu est intimement liée avec celle de LD Kabila.
Que voulez-vous dire?
Il sera impossible de connaitre la vérité sur la mort de l’un sans connaitre les circonstances exactes de la mort de l’autre. Le régime a utilisé la mort de Masasu pour justifier la disparition de Mzee Kabila. Voilà pourquoi je considère que cette mesure d’amnistie tombe au bon moment. Le président Tshisekedi voudrait promouvoir l’Etat de droit. C’est très bien! Nous estimons maintenant que le moment est venu d’ouvrir le procès Masasu. Il faudra qu’on nous explique pourquoi Mukuntu [Ndlr: Timothée Mukuntu, actuel auditeur général des Fardc] a été un jour cherché Masasu à sa résidence pour le conduire, disait-il, au Palais de marbre où le Mzee l’attendait pour lui confier le commandement de l’armée. Pourquoi Mukuntu – qui aurait reçu un appel de Kapend semble-t-il – a conduit Masasu non pas au Palais de marbre mais plutôt à son bureau à lui situé à la Cour d’ordre militaire? Kapend est arrivé sur le lieu en compagnie du lieutenant Yav Diteng. Les deux compères vont conduire Masasu au GLM. C’est à partir de ce lieu que Masasu sera été transféré au Katanga où Joseph Kabila et John Numbi l’attendaient. C’est là-bas qu’il sera exécuté.
Que répondez-vous à ceux qui demandent la réouverture du procès sur l’assassinat de Mzee Kabila?
Le peuple congolais a le droit naturel de connaitre la vérité sur ce qui s’est passé le 16 janvier 2001 d’autant plus que Laurent-Désiré Kabila était président de la République en exercice. Des voix s’élèvent aujourd’hui pour exiger un procès public, juste et équitable. Il est temps que ce dossier soit examiné. Le général Nawele Mukongo, alors président de la Cour d’ordre militaire, avait annoncé que le procès n’est pas clos…
Dans votre ouvrage « La mort de LD Kabila: Ne nie pas c’était bien toi », vous présentez Eddy Kapend avec ironie comme le « sauveur du régime ». Que vouliez-vous dire?
Lorsqu’Eddy Kapend se présente, le 16 janvier 2001, à la télévision nationale, il passait pour le « sauveur du régime » sous prétexte qu’il y avait une tentative de coup d’Etat fomenté par Masasu. Dans ses déclarations fallacieuses, Kapend prétendra qu’il y avait des « ennemis » à Kinshasa. Et qu’il est intervenu pour sauver le régime. C’est faux et archifaux! Il n’y avait pas un seul « ennemi » dans la capitale. En réalité, les ennemis se trouvaient au sein du régime. Ils ont éliminé le Mzee tout en multipliant des « contre messages » pour brouiller les pistes. Ils ont prétendu que le Palais de marbre grouillait des militaires prêts à passer en action. Ce qui était parfaitement faux. Tout au long du procès devant la Cour d’ordre militaire, Eddy Kapend n’a cessé de répéter qu’il avait « sauvé le régime ».
Comment expliquez-vous l’interpellation d’Eddy Kapend, le 24 février 2001, alors qu’il se trouvait dans le camp du nouveau pouvoir incarné par « Joseph Kabila »?
Selon les informations en ma possession, ce sont les militaires zimbabwéens qui seraient à la base de son arrestation. C’est l’exécution des onze Libanais sur ordre de Kapend, de Joseph Kabila et du général Yav Nawej qui a servi de goutte d’eau qui fit déborder le vase. Ces militaires zimbabwéens avaient peur de porter la responsabilité de la mort de ces étrangers. Et pourtant, 300 « Kadogos », originaires du Kivu, furent massacrés dans l’indifférence totale de ces mêmes militaires zimbabwéens. Je crois pouvoir dire que l’ex-aide de camp de Mzee a été « sacrifié » par ses « amis ». Curieusement, « Joseph » n’a pas été inquiété alors qu’il avait chargé son bras droit, le capitaine Eric Lenge, de participer à l’ensevelissement des 11 Libanais. Les Zimbabwéens auraient été choqués par une série d’exécution (Masasu, Kivutiens, Libanais) qui se passait sous l’égide du « GLM » où Eddy Kapend était le seul maître à bord. Le camp où les 11 Libanais furent enterrés était sous son autorité. C’est ainsi que les Zimbabwéens ont fait arrêter non seulement Kapend mais aussi le général Yav Nawej. J’apprendrai plus tard que les Zimbabwéens avaient eu vent des remarques que j’avais faites à Nono Lutula [Ndlr: Constantin Nono Lutula assumait les fonctions de conseiller spécial du chef de l’Etat en matière de Sécurité]. A savoir qu’il faut une enquête libre et indépendante pour faire éclater la vérité. Le GLM en était incapable.
Dans votre ouvrage, vous écrivez également que le président LD Kabila « a été bel et bien tué avant des balles soient tirées sur son cadavre ». Maintenez-vous cette version?
Absolument! Les coups de feu qui ont été entendus au Palais de marbre étaient tirés sur un cadavre. Je mets quiconque au défi de démontrer que Mzee Kabila était en vie au moment où crépitaient les balles au Palais. Les coups de feu entendus à midi au Palais de marbre avaient pour but d’accréditer la thèse officielle selon laquelle « le chef de l’Etat était victime d’un attentat ».
Qui, selon vous, serait le commanditaire de l’assassinat de Mzee Kabila? Des étrangers? Des nationaux?
Je ne pourrais exclure personne. Je tiens cependant à vous dire que j’ai été témoin des « manœuvres dilatoires » de Joseph Kabila. Il en est de même d’Eddy Kapend et de Mwenze Kongolo. Le crime a eu lieu à midi au Palais de marbre à Kinshasa. C’est en ce lieu que doit être menée une enquête sérieuse. Mzee Kabila a été éliminé le 16 janvier 2001. Je vois directement trois personnes au centre du « grand secret »: Joseph Kabila, Eddy Kapend et Jeannot Mwenze Kongolo. Je vois également John Numbi et d’autres personnes qui ont contribué à couvrir ce crime.
Des sources concordantes indiquent que, sur ordre de Mzee, « Joseph Kabila » se trouvait le 16 janvier 2001 en « résidence surveillée » à Lubumbashi. Et ce suite à la prise de Pweto par les combattants du RCD-Goma épaulés par des troupes rwandaises…
Effectivement! Il pouvait se trouver à Lubumbashi. Il reste que c’était un chef militaire qui pouvait être à Kinshasa et faire commettre des actes à Goma. Il pouvait être à Lubumbashi et être toujours le chef de l’armée à Gbadolite. Il est vrai qu’à Lubumbashi, « Joseph » n’était pas un homme libre. Quelques semaines avant sa mort, Mzee Kabila a failli le faire fusiller.
Pourquoi?
Après la prise de Pweto par le RCD-Goma, tous les doigts accusateurs étaient pointés sur Joseph Kabila. Il était accusé d’avoir fait tomber cette localité entre les mains des rebelles. Le Mzee était très furieux parce que la chute du verrou de Pweto était perçue comme le début de la fin de son régime. Contrairement aux rumeurs, nous apprendrons que Mzee Kabila n’a jamais donné l’ordre de faire exécuter Masasu. Je tiens à souligner que n’eut été l’intervention du gouverneur du Katanga de l’époque, Augustin Katumba Mwanke, Joseph Kabila aurait été fusillé. C’est ce gouverneur qui le prendra sous sa protection. Ce qui explique les pouvoirs sans limites que Katumba aura juste après la mort de Mzee. Joseph lui devait beaucoup. C’est probablement ces pouvoirs illimités qui ont conduit à sa propre élimination.
Etes-vous en train d’insinuer que Katumba Mwanke a été assassiné?
Augustin Katumba Mwanke n’est pas mort dans un crash comme l’on prétend. J’ai eu beaucoup d’informations selon lesquelles il s’agit d’un assassinat camouflé.
Qui lui reprochait quoi?
Il faudrait une commission d’enquête pour répondre à cette question. Après les événements de Pweto, j’ai assisté au camp Kimbembe à Lubumbashi à une causerie morale au cours de laquelle le Mzee avait blâmé les responsables militaires katangais. C’était à la fin du mois de décembre 2000. Il avait annoncé, à cette occasion, sa résolution de sanctionner certains officiers supérieurs. John Numbi fut envoyé « en formation » au Zimbabwe.
Voulez-vous dire que la menace brandie par le président LD Kabila à l’encontre de ces responsables militaires katangais ait pu servir d’élément déclencheur ou mobile à son assassinat?
Je n’ai aucun doute que le Mzee avait signé son arrêt de mort après avoir annoncé sa volonté de chambarder l’armée devant des hauts gradés katangais. Je l’ai d’ailleurs écrit dans mon livre. Le président LD Kabila paraissait résolu à opérer un changement fondamental au sein de l’armée. Joseph Kabila, John Numbi et Eddy Kapend devaient se sentir visés. Kapend était déjà dans le « viseur » de Mzee suite au détournement présumé de plusieurs millions de dollars. Le président LD Kabila n’avait pas encore passé l’éponge sur cette affaire. J’ai la conviction que les officiers qui se sentaient concernés avaient pris le Mzee de vitesse…
Dans votre livre toujours, vous écrivez notamment: « Joseph Kabila, Augustin Katumba Mwanke, Emile Mota, Eddy Kapend et Mwenze Kongolo savent et gardent pour eux-mêmes les vérités sur le comment et le pourquoi Mzee Kabila est mort ».
Je l’affirme! Je les ai vus en action. Et leurs actions ne m’ont laissé le moindre doute. Ils ont fait disparaitre les preuves et éliminer les témoins gênants. Ils ont créé des versions cousues de fil blanc. Mwenze Kongolo a donné plusieurs versions sur l’arrestation et la mort des 11 Libanais. S’agissant de la mort de Mzee, le même Mwenze a expliqué aux membres du gouvernement d’alors que le présumé assassin, Rachidi, « se dirigeait dangereusement vers les appartements » de Mzee. Dans une autre déclaration, il s’est contredit en laissant entendre que « l’assassin » avait un « plan de fuite ». Que voulait-il cacher? Je me demande pourquoi Joseph Kabila n’a rien fait pour faire éclater la vérité sur les circonstances exactes du décès de Mzee? Pourquoi ce beau monde a tenté de me faire taire au lieu de me laisser apporter ma part de vérité? Comment peut-on expliquer que l’arme que détenait Rachidi, le présumé assassin, n’ait jamais été retrouvée alors que les faits se sont déroulés dans le périmètre du Palais de marbre? Qui détient cette arme?
Quand comptez-vous rentrer au pays?
Je me propose de regagner le pays dès que les « conditions de retour » seront réunies. Je serais très heureux de me rendre à Kinshasa et faire une « petite visite » à l’immeuble « GLM » où eurent lieu des tortures et des massacres. Je serais content d’y être avec Joseph et Eddy Kapend pour leur poser des questions. Je piaffe d’impatience de visiter ce lieu.
Quelles sont les conditions de votre retour?
Le président Tshisekedi tente d’impulser le changement dans notre pays. Au moment où nous parlons, Joseph Kabila garde intact sa capacité de nuisance. Il est à la tête d’une immense fortune qui lui permet de causer du tort à qui il veut. Il dispose des complices ici et là. Nous espérons que le changement annoncé va s’accélérer davantage. Nous suivons de très près la situation. Je serais heureux de rentrer au pays en cas d’ouverture d’un procès juste et équitable sur cet épineux dossier pour que je donne enfin mon point de vue.
S’il vous était donné l’occasion de rencontrer le président Felix Tshisekedi, que lui diriez-vous?
Je lui dirais de faire initier le plus vite possible des enquêtes sur l’assassinat de Masasu et la mort de Laurent-Désiré Kabila. Il n’y a jamais eu d’investigations dignes de ce nom. Vous avez sans doute suivi le plaidoyer de docteur Denis Mukwege au sujet de la suite à donner au Rapport Mapping. Il sera difficile de promouvoir l’Etat de droit dans notre pays aussi longtemps que des criminels vont parader à la tête des richesses de notre pays. Un tel procès devrait être l’occasion d’ouvrir tous les dossiers criminels qui handicapent l’essor du Congo-Kinshasa.
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi