Avocat pénaliste au barreau de Bruxelles et à la CPI (Cour pénale internationale), Guylain Mafuta-Laman était en janvier dernier un des communicants de la plateforme politique « Lamuka ». Il avait accordé un entretien à Congo Indépendant en cette qualité. Onze mois après l’investiture de Felix Tshisekedi à la tête de l’Etat congolais, le juriste se veut « pragmatique ». Pour lui, « Fatshi » est un Président issu de l’opposition. Et il faut le soutenir. INTERVIEW.
Comment allez-vous?
Je vais bien.
En janvier dernier, vous faisiez partie des communicants de « Lamuka ». Etes-vous toujours membre de l’équipe de communication de cette plateforme politique?
J’ai envie de dire qu’il y a un temps pour la lutte politique. L’époque à laquelle vous faites allusion était dominée par un contexte électoral. C’était dans le cadre de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018. Lamuka et d’autres composantes représentaient l’opposition au « pouvoir sortant » de Monsieur Kabila. Je m’inscrivais justement dans ce contexte électoral dans le seul but de mettre le régime de Kabila hors de la gestion de la chose publique. Il y a un temps pour les élections et un temps pour évaluer le chemin parcouru. En tant qu’opposition, avons-nous gagné ou perdu l’élection face au Président sortant? Je le dis avec force: l’opposition a gagné l’élection présidentielle.
Qu’entendez-vous par opposition? Etes-vous en train de parler de toutes les organisations politiques « acquises au changement » y compris la coalition « Cap pour le Changement » (Cach) du duo Tshisekedi-Kamerhe?
Bien entendu! Nous avons à la tête de l’Etat un Président issu de l’opposition en la personne de Felix Tshisekedi Tshilombo.
Au lendemain de la proclamation des « résultats provisoires » de l’élection présidentielle, vous avez déclaré, au cours d’un entretien avec Congo Indépendant, que « Felix Tshisekedi est un président sans pouvoir ». Que pensez-vous de ceux qui pourraient y voir une certaine incohérence dans votre démarche?
Je ne vois aucune incohérence en disant cela. Et ce dans la mesure où l’on se trouve face à un ancien Président qui tente de confisquer toutes les manettes du pouvoir pour gêner l’action de son successeur. L’avenir me donne pratiquement raison. Nous avons le président Tshisekedi qui dirige le pays. En face, il y a le Front commun pour le Congo (Fcc) qui n’arrête pas – il faut le dire – de multiplier des « attaques » contre le chef de l’Etat actuel chaque fois que l’ancien pouvoir est confronté à son propre bilan. Je tiens à féliciter le président Felix Tshisekedi pour avoir, jusqu’ici, fait preuve d’une certaine maturité politique. Une maturité nécessaire pour avancer dans ses réformes. Je pense ici à la gratuité de l’enseignement primaire dans le secteur public.
C’est un droit inscrit dans la Constitution en vigueur…
Il fallait encore l’appliquer. En dix-huit ans d’exercice du pouvoir d’Etat, Kabila n’a pas été capable de matérialiser cette volonté du constituant. Felix Tshisekedi a fait preuve de « volonté politique ». J’ai envie de dire que la volonté est le chemin de la réussite. J’applaudis cette action du Président de la République.
Selon vous donc, onze mois après son accession à la magistrature suprême, « Felix » exerce bel et bien la plénitude des prérogatives dévolues au Président de la République…
Il exerce pleinement les prérogatives du chef de l’Etat. Il a la signature. Les tractations qui ont eu lieu lors de la formation du gouvernement en témoignent. Le chef de l’Etat n’a pas manqué, à l’occasion, de demander au Fcc de « revoir sa copie ».
Que répondez-vous à ceux soutiennent la thèse contraire en citant à l’appui deux ordonnances présidentielles – portant nomination des membres des comités de gestion de la Gécamines et de la SNCC – qui restent « sans effets » depuis le mois de juin?
Le cas que vous avez épinglé relève de la mauvaise foi du « camp Kabila ». Cette situation ne grandit nullement cette mouvance politique. Je crois que le président Tshisekedi ne doit pas baisser les bras face aux « indisciplinés ». Bien au contraire. Il doit aller jusqu’au bout de son action et veiller à ce que son pouvoir soit respecté par le Fcc.
Qu’avez-vous retenu du discours présidentiel sur l’état de la nation?
De façon générale, j’ai perçu une réelle volonté de changer les choses. La volonté de lutter contre la corruption, le détournement des deniers publics et tant d’autres antivaleurs. Le Président a évoqué ce qu’il a fait et ce qu’il compte faire.
Selon vous, quelles sont les réalisations déjà accomplies?
Outre la mise en œuvre de la gratuité de l’enseignement primaire, le chef de l’Etat a montré que personne n’est au-dessus des lois.
C’est de la rhétorique…
Pas du tout! L’actualité récente est plus parlante. Tout comme moi, vous avez sans doute appris que des proches du président Tshisekedi ont été incarcérés à Makala pour avoir été suspectés d’avoir commis diverses infractions. Ces personnes bénéficient naturellement de la présomption d’innocence. N’empêche, elles ont été détenues à titre préventif avant d’être libérées sous certaines conditions. Pourriez-vous me citer un seul exemple d’un proche de l’ancien chef de l’Etat qui ait été gardé à vue à Makala?
A vous entendre parler, on est tenté de se demander si vous êtes toujours membre de la plateforme politique Lamuka…
En politique, il faut être « pragmatique ». Le pragmatisme aujourd’hui commande qu’on regarde « en face ». Il s’agit de juger sereinement et objectivement ce qui se passe « en face ». J’ai la conviction que le président Felix Tshisekedi s’inscrit dans le « changement ». Et je ne peux qu’applaudir les actions posées au profit de l’intérêt général. Il faut être de mauvaise foi pour commencer à nier ce qui se fait. Je ne peux que le féliciter et l’encourager à continuer dans cette direction. Il me semble que la présidence sous l’actuel chef de l’Etat a permis à la politique de revêtir une certaine noblesse. On ne s’engage pas en politique pour se servir, La politique est un service à rendre à la collectivité. Pendant dix-huit ans, nous avons constaté qu’on s’engageait en politique pour se mettre plein les poches. En fait, nous sommes passés du mutisme des gouvernants à l’explication de l’action politique sous le nouveau Président.
A propos de la « noblesse » que revêtirait la politique, une certaine opinion attend toujours de connaitre la vérité sur la destination donnée aux 15 millions USD « disparus » d’un compte de l’Etat à la Rawbank…
Il ne faudrait pas surcharger la Présidence de la République. En démocratie, il y a le principe de séparation entre le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. Le pouvoir judiciaire doit être indépendant. Le Président de la République ne peut pas se substituer au procureur dont la mission consiste à engager des poursuites en cas de violation de la loi.
Le ministre de la Justice dispose néanmoins du fameux « pouvoir d’injonction positive » sur le ministère public. On attend du chef de l’Etat de donner l’impulsion…
Effectivement! En tant que magistrat suprême, le Président de la République doit donner l’impulsion aux autres organes de l’Etat. Il le fait très bien. Je crois que le pouvoir judiciaire doit se saisir des dossiers sur lesquels il détient des éléments. Il y a, d’ailleurs, comme un frémissement dans la bonne direction. Nous avons vu les poursuites judiciaires engagés contre le ministre provincial de l’Intérieur Dolly Makambo. Il y a encore peu les individus de cet acabit se croyaient « intouchables ». On ne peut que faire confiance à la parole du chef de l’Etat.
Depuis onze mois, on entend dire ici et là que « Felix » promet beaucoup mais agit peu. Votre réaction?
Felix Tshisekedi n’est pas un magicien. Il est à la tête du pays depuis onze mois. Pensez-vous décemment que le nouveau chef de l’Etat pouvait corriger durant ce laps de temps les errements commis, dix-huit ans durant, par l’ancien président Kabila? Je dis: il faut donner le temps au temps. Il faut laisser au chef de l’Etat le temps de mettre en œuvre son programme. Dans quatre ans, il présentera son bilan.
Au lendemain de la proclamation des « résultats définitifs » de l’élection présidentielle par la Cour constitutionnelle, la « communauté internationale » avait préconisé que Felix Tshisekedi et Martin Fayulu, le candidat malheureux à ce scrutin, « devaient faire un pas vers l’autre ». Qu’en pensez-vous, onze mois après?
En démocratie, on n’est pas obligé de travailler ensemble. Nous avons acquis des mauvaises habitudes avec tous ces « dialogues » dont la finalité est toujours le « partage du gâteau ». Il faudrait un moment donné jouer la carte de la démocratie de sorte qu’il y ait d’un côté des gouvernants et de l’autre, des opposants. Le chef de l’Etat l’a dit qu’on ne peut pas empêcher Monsieur Fayulu de pouvoir s’opposer librement…
Et de continuer à exiger la « vérité des urnes »?
C’est sa liberté! La même liberté doit être reconnue au chef de l’Etat qui doit agir efficacement pour l’intérêt général. Il s’agit de permettre au pays d’aller de l’avant.
Peut-on franchement dire qu’il y a eu « alternance » le 30 décembre 2018 au Congo-Kinshasa?
On peut le dire. J’ai dit précédemment que l’opposition a remporté l’élection présidentielle. Kabila n’est plus à la tête du pays. Nous avons au sommet de l’Etat Felix Tshisekedi qui vient de l’opposition. Nous avons jadis mené des actions politiques avec « Felix » dans le cadre de notre Asbl « Tshisekedi for President ». C’était en 2010. Cette structure soutenait la candidature d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba à l’élection présidentielle du 28 novembre 2011. Nous avions créé cette association avec d’autres confrères avocats. Nous avions dans ce cadre organisé des conférences tant en Belgique qu’en France. J’ai pu personnellement remarqué que Felix avait des principes acquis auprès de son père. J’ai la conviction qu’il est animé d’une réelle volonté de changement. On ne doit pas oublier l’homme est issu du peuple. Il n’est pas un assoiffé de l’argent…
Il semble justement que le pouvoir change les hommes…
« Felix » a l’âme du peuple. L’application de la gratuité de l’enseignement primaire met en lumière un pan de la personnalité humaniste de l’actuel chef de l’Etat.
Revenons à l’alternance. A vous entendre parler, l’alternance a eu lieu du fait du changement intervenu à la tête de l’Etat. Que pensez-vous de la définition selon laquelle l’alternance c’est « le remplacement d’une majorité par une autre »?
Je persiste et signe: l’opposition a gagné l’élection présidentielle. Ce serait une aberration de dire que Felix Tshisekedi ne vient pas de l’opposition. Je ne cesserai d’affirmer que nous avons à la tête du pays un Président issu de l’opposition. J’estime, par conséquent, qu’il y a eu alternance dans notre pays.
Que répondez-vous à ceux qui allèguent que le président Felix Tshisekedi éprouve des difficultés à mener une « politique de rupture » du fait notamment que l’ancienne majorité a gardé sa position dominante au niveau des assemblées délibérantes?
Le chef de l’Etat ne cessera pas d’agir pour autant. Il importe de noter que le Fcc caresse l’idée d’introduire le suffrage universel indirect pour l’élection présidentielle. Dans son allocution sur l’état de la nation, Felix Tshisekedi a dit à haute voix qu’on ne pourrait en aucun cas toucher aux dispositions intangibles de la Constitution. C’est le cas spécialement de l’article 220. Le premier alinéa de l’article 70 énonce que « le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois ». L’analyse de l’esprit de ce texte signifie que lorsqu’on a accompli deux mandats consécutifs, on ne peut plus se représenter. En clair, l’ancien président Kabila ne pourra plus revenir aux affaires…
Fallait-il célébrer « l’alternance » par l’émission d’un billet de banque dit collector avec les effigies de l’actuel chef de l’Etat et de son prédécesseur?
C’est un choix qui a été fait. C’est une manière d’immortaliser l’événement survenu le 24 janvier 2019 au cours duquel le régime en place a perdu « pacifiquement » l’imperium. En dix-huit ans de pouvoir, je n’ai jamais entendu Monsieur Kabila dire qu’il a un bilan à présenter au peuple congolais. Felix Tshisekedi, lui, ne cesse de répéter qu’il doit rendre compte à la fin de son quinquennat. L’actuel chef de l’Etat sera jugé par rapport à son bilan. On peut, d’ores et déjà, mettre à son actif la mise en œuvre du premier alinéa de l’article 43 de la Constitution: » Toute personne a droit à l’éducation scolaire. Il y est pourvu par l’enseignement national ». Aujourd’hui, nos enfants peuvent aller gratuitement à l’école.
Devrait-on dire, pour conclure, que l’avocat bruxellois Guylain Mafuta-Laman a rejoint le Cach du duo Tshisekedi-Kamerhe?
Je ne peux que répéter ce que l’ai dit précédemment. A savoir qu’en politique, il faut être pragmatique. Je suis pragmatique. Après une « présidence distante » qui a duré dix-huit ans, je constate que nous avons aujourd’hui un Président de la République proche des gens. Un Président qui entend rendre compte aux 80 millions de Congolais. Il faut le soutenir.
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi