Statuant, lundi 6 novembre, sur la conformité de la décision rendue en appel contre Vital Kamerhe, la Cour de cassation a créé l’événement en accordant la « liberté provisoire » à l’ancien directeur de cabinet du président Felix Tshisekedi. Condamné à 20 ans d’emprisonnement en première instance – dans l’affaire dite « Procès 100 jours » -, « VK », comme l’appellent ses amis et proches, est allé en appel. La Cour d’appel a réformé sa peine à 13 ans des travaux forcés. Non satisfait, il a saisi la Cour de cassation. Cette haute juridiction lui a accordé favorablement la « liberté provisoire ». Une décision accueillie pas la clameur publique d’une certaine opinion congolaise. L’association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ) parle de « scandale judiciaire ». Noël Tshiani que l’on ne présente plus estime, pour sa part, que « l’état de droit et la lutte contre la corruption et les détournements des fonds publics » ne sont plus que des « slogans creux ». Sur son compte Twitter@engulu23, l’avocat Léon-Richard Engulu soutient une thèse contraire: « Le pourvoi en cassation décline le pouvoir d’appréciation du juge à accorder la liberté à l’accusé sur requête de celui-ci ». Il explicite son argument. INTERVIEW.
Quelle a été la réaction du juriste que vous êtes en apprenant la « liberté provisoire » accordée à Vital Kamerhe par la Cour de cassation?
En tant que juriste et praticien des questions judiciaires, je me suis penché sur le cadre légal qui décline cette procédure. En principe, lorsqu’il y a pourvoi en cassation, le juge de cette haute juridiction ne statue pas sur le fond de l’affaire. Ici, le rôle du juge ne consiste nullement à confirmer ou infirmer la culpabilité du justiciable. Cette question a été réglée au niveau du juge d’appel. Le juge de la cassation, lui, s’intéresse à la procédure ayant conduit le juge d’appel à statuer sur la culpabilité du condamné.
Pour une bonne compréhension de nos lecteurs, vous êtes en train de dire que le juge de Cassation se limite à examiner la « conformité à la loi » de la décision judiciaire contestée…
C’est bien ça! Je tiens à préciser que le législateur de 2014 qui a défini la procédure devant la Cour de cassation décline dans la loi y afférente en son article 47, que le condamné peut, par une requête, saisir le juge de Cassation aux fins de liberté provisoire. C’est une procédure qui est totalement prévue devant la Cour de cassation. Le juge a le pouvoir d’apprécier de l’opportunité de cette liberté provisoire moyennant caution ou pas.
Qu’entendez-vous par le « législateur de 2014 »?
Il s’agit de la loi qui décline la procédure devant la Cour cassation. Elle date de 2014. Je pense aux alinéas 5,6,7 et 8 de l’article 47 qui déclinent justement cette possibilité pour le condamné de saisir le juge de cassation par une requête préalable en liberté provisoire. Le juge apprécie souverainement. Il peut répondre favorablement ou la rejeter. En cas de réponse favorable, le juge peut exiger ou non une caution. Dans le cas d’espèce dans l’affaire Vital Kamerhe, le juge n’a fait que dire le droit. Je tiens à souligner Monsieur Vital Kamerhe n’a pas été acquitté. Le juge ne remet nullement en cause l’arrêt de condamnation prononcé par la juridiction d’appel.
Avez-vous eu vent des motivations à l’appui desquelles le juge de Cassation a fait droit à la requête de Kamerhe? D’aucuns parlent de l’état de santé. Qu’en dites-vous?
Evidemment, le dispositif doit toujours être motivé. C’est une exigence légale. Je n’ai pas lu, au stade actuel, les motivations invoquées par le juge. J’imagine que le requérant avait des raisons. Je me rappelle qu’au niveau de la juridiction d’appel, il avait fait état des raisons de santé. La demande fut rejetée tant au niveau du Tribunal de grande instance que de la Cour d’appel. Sans doute qu’il a invoqué le même motif. Le juge de Cassation y a accédé favorablement. Au-delà de ce fait, il faut préciser que Vital Kamerhe a offert des garanties qu’il n’allait pas se soustraire à la justice du fait qu’il a une résidence connue à Kinshasa. Je crois que les avocats ont gardé la même ligne de défense au niveau de la Cassation pour solliciter la « liberté provisoire ».
Dans un Tweet, l’Association congolaise d’accès à la justice a qualifié la liberté provisoire octroyée à l’ancien directeur du cabinet président Tshisekedi de « scandale judiciaire ». Qu’en pensez-vous?
Je suis réservé! Je suis réservé quant à la lecture de mon cher confrère Georges Kapiamba, président de l’ACAJ. Je suis réservé du fait qu’il n’y a pas de « scandale » dans la mesure où le juge a dit le droit. Le législateur, lui-même, a reconnu au Pouvoir judiciaire la compétence d’apprécier l’opportunité d’une liberté provisoire au niveau de la Cassation. Tout comme cela se fait déjà au niveau des juridictions du premier et du second degré. Qu’il s’agisse de la Cour d’appel ou à la Cassation, le juge apprécie toujours l’opportunité de lever la détention préventive. La liberté est la règle, la détention est l’exception. Si l’exception a été prononcée au premier et au second degré, il n’est pas interdit, au niveau de la Cassation, que l’on puisse relever le principe de la liberté – en ce moment-là – provisoire et non définitive. Je ne vois pas où se trouve le « scandale » du moment que le juge n’a fait qu’appliquer son pouvoir en la matière.
Que pensez-vous de ceux qui clament qu’à partir de ce jour, l’état de droit cher au président Felix Tshisekedi n’est plus qu’un « slogan creux »?
Pas du tout! Pas du tout, je ne rejoins pas leur lecture que je dénonce d’ailleurs parce qu’elle me semble faussée sur plusieurs points. L’état de droit, c’est d’abord « l’indépendance du pouvoir judiciaire ». Le pouvoir judiciaire ne va pas dire le droit sur pied de l’émotion. Dans le cas d’espèce, il y a des procédures qui sont définies par le Législateur. Et le Pouvoir judiciaire va emprunter la procédure lui octroyée par législateur pour dire le droit. C’est ce qui se fait actuellement dans le cadre de plusieurs procès relatifs aux détournements de fonds où il est toujours possible au Pouvoir judiciaire d’accorder lune liberté provisoire et de ne pas toujours ordonner la détention préventive. Il serait d’ailleurs plus grave, si nous constations que la détention préventive était érigée en règle. C’est là qu’on devrait se poser des questions. En faisant droit à la requête en liberté provisoire, le juge a prouvé son indépendance. L’état de droit n’est ni plus ni moins que le respect des textes. Malheureusement, ceux qui ne maîtrisent pas la technicité du droit – ce n’est pas de leur faute – estiment, avec beaucoup d’émotivité, qu’il n’y a pas d’état de droit. Non! Il y a état de droit lorsque les règles sont appliquées.
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi