Président du RCD/ K-ML, ancien ministre des Affaires étrangères et de la coopération régionale, Antipas Mbusa Nyamwisi a rejoint l’opposition après l’élection présidentielle du 28 novembre 2011. Il fait partie de la coalition politique « Ensemble pour le changement ». Natif de Butembo (Nord Kivu), il donne sa lecture des événements sanglants qui se déroulent dans cette partie du pays depuis le mois d’octobre 2014. Pour lui, « les dirigeants actuels n’incarnent pas » le Congo-Kinshasa. Ils ont « trahi » la confiance de la population. Interview.
Quelle est votre version des faits sur les événements sanglants qui ont lieu le samedi 22 septembre à Beni?
Avant de répondre à votre question, je tiens à exprimer mes condoléances les plus sincères aux parents et proches des victimes. Je connaissais personnellement certaines de ces victimes.
Selon les informations en ma possession, les faits se sont passés de 17 heures à 23 heures. Le samedi 22 septembre vers 17 heures, la population a aperçu des présumés rebelles ougandais « ADF » roder aux abords de la mission catholique de Beni, appelée « Païda ». Ils étaient accompagnés des femmes et des enfants. Les hommes portaient des tenues militaires identiques à celles des forces régulières de l’armée congolaise. Certains d’entre eux étaient munis des gilets pare-balles et des casques. Les prêtres ont alerté les « services » sur la présence inquiétante de ces individus. Aucune disposition n’a été prise. Il s’en est suivi des attaques qui ont duré toute la nuit dans la ville de Beni. Une agglomération qui compte environ 500.000 habitants. Les assaillants ont parcouru, sans heurts, près de cinq kilomètres jusqu’au centre-ville. Une situation incompréhensible dans la mesure où les autorités de Kinshasa avaient claironné le déploiement de 16.000 hommes dans la région. Les casques bleus, eux, sont estimés à 3.000 unités.
Comment expliquez-vous cette absence de réaction tant de la part des Fardc que des forces onusiennes?
C’est tout simplement stupéfiant! Plus grave encore, les assaillants ont quitté la ville sans avoir perdu un seul homme. Les Fardc n’ont fait aucun prisonnier…
Suspectez-vous des complicités au sein de l’armée?
Depuis le déclenchement de ces tueries en octobre 2014, je n’ai jamais cessé d’affirmer que les présumés « ADF » étaient en réalité l’arbre qui cache la forêt. Au-delà des complicités, on peut gager que notre armée est gangrenée par des « brebis galeuses ». Celles-ci reçoivent des « ordres contraires ». Notons que quelques soldats ont péri été lors de ces attaques. Il n’est pas exclu que les soldats qui ont été tués fassent partie des assaillants. Comment pourrait-on les distinguer au vu de l’uniformité de la tenue militaire? Depuis quatre semaines, il y a des attaques à Beni à chaque fin de semaine. Nous sommes à la cinquième semaine. Le weekend d’avant, les casques bleus étaient venus à la rescousse de la population à l’endroit même où le colonel Mamadou Ndala fut tué. Les forces onusiennes avaient procédé, à cette occasion, à l’arrestation de quatre assaillants qui ont été mis à la disposition de l’auditorat militaire. Après vérification, il s’agit de quatre éléments des Fardc pris en flagrant délit par les casques bleus.
Qui sont ces éléments? Seraient-ils issus de « brassages » et autres mixages »?
Peu importe! Une chose parait sûre: ces brebis galeuses ne peuvent pas agir si elles ne sont pas sûres de bénéficier pas d’une « couverture interne ».
Quel est, selon vous, l’objectif poursuivi par ces pseudos rebelles ougandais des « ADF »?
Il est impensable d’imaginer qu’un rebelle dit ougandais puisse mettre sa vie en péril en venant affronter les Fardc à Beni au lieu d’aller « libérer » son pays. A ce jour, personne ne sait pourquoi des « Ougandais » attaquent des localités congolaises. Depuis le mois d’octobre 2014, date du premier massacre, je n’ai pas hésité d’indiquer que ces fameux « ADF » étaient l’arbre qui cache la forêt.
C’est-à-dire?
Ces attaques procèdent d’une action menée par des « institutions congolaises » contre des Congolais. Les agresseurs se font passer pour des « ADF ».
La question reste plus que jamais posée: A quel dessein?
Vous devriez poser cette question aux commanditaires de ces actions. Seule une enquête indépendante pourrait faire éclater la vérité. L’idée n’a jamais été acceptée par le gouvernement. Et pourtant, des demandes dans ce sens ont été formulées par des parlementaires et des organisations non gouvernementales.
Vous avez parlé précédemment de « brebis galeuses » au sein des Forces armées congolaises. Pourriez-vous expliciter votre pensée?
Je ne peux pas fournir des détails sans passer par une enquête.
Que répondez-vous à ceux qui se disent déconcertés par le mutisme des plus hautes autorités du pays, alors que sous d’autres cieux le chef de l’Etat ou le Premier ministre se serait adressé à la nation pour exprimer la « compassion nationale » tant aux parents qu’aux amis des victimes et annoncer les dispositions arrêtées?
En tant que membre de l’opposition, je n’ai jamais fait mystère de mes sentiments à l’égard du pouvoir en place. C’est un pouvoir qui n’incarne pas le Congo-Kinshasa. Je l’ai dit et redit que les dirigeants actuels ne sont pas à leur place. Ils affichent un comportement qui frise la trahison. Comme je l’ai dit précédemment, depuis cinq semaines, la population de Beni subit des attaques à chaque weekend. Le mode opératoire est toujours le même. Le weekend passé, le même phénomène s’est produit en Ituri. Il y a eu huit civils et neuf soldats tués. Que voulez-vous qu’on dise? Ces événements tragiques passent désormais pour des « faits divers ». C’est dramatique pour notre pays!
L’Ougandais Jamil Mukulu qui a été arrêté en Tanzanie et transféré en Ouganda est présenté comme étant le leader des « ADF ». Dans une précédente interview accordée à notre journal, vous avez affirmé que cet homme est une « vieille connaissance » au général-major « Joseph Kabila ». Maintenez-vous cette allégation?
Avez-vous reçu un quelconque démenti?
Non!
Je constate simplement que ceux qui « portent la parole » du pouvoir en place ne disent rien. Pourquoi restent-ils muets? Je vous avais communiqué l’adresse de la résidence où logeait sieur Mukulu. C’était sur l’avenue Bocage n°55 à Ma Campagne. Je vous avais dit également que cette habitation appartenait à « Monsieur X », un général de l’armée congolaise. Maintenant que celui-ci est devenu chef de l’Etat, il ne peut pas dire qu’il ne connait pas ce sujet ougandais. Les deux hommes sont-ils restés en contact? Voilà pourquoi je considère qu’il faut chaque fois écrire l’acronyme ADF avec des guillemets. Les « ADF » dont on parle n’est ni plus ni moins qu’une « duplication » des véritables rebelles ougandais au même titre que la « FRPI » (Forces de résistance patriotique de l’Ituri) qui opère en Ituri. C’est encore l’arbre qui cache une forêt mortelle. C’est au nom de cette deuxième « FRPI » qu' »ils » ont opéré des massacres en Ituri. C’était la semaine passée. J’ai la conviction qu’il y a des gens qui utilisent ces « labels » pour commettre des crimes notamment à Beni. Je comprends les difficultés que rencontrent les casques bleus. Ils sont là pour appuyer les forces congolaises. Que peuvent faire les forces onusiennes face au « flou » entretenu au sein de notre armée? La ville de Beni est située à onze kilomètres de l’aéroport de Mavivi. Il y a, chaque jour, des attaques sur la route. Le personnel de la Monusco ne s’y hasarde plus de peur d’être kidnappé en chemin. Les agents onusiens se sentent eux-mêmes menacés.
Ces événements sanglants interviennent à moins de 100 jours de la date des élections générales? Les assaillants ont-ils voulu transmettre un message?
La violence a toujours servi au régime actuel comme moyen politique. On l’a vu après les élections bâclées de 2011 dans la même région. On assiste à cette violence jusqu’aujourd’hui. Nous faisons face non seulement à la « machine à voter » et au « fichier électoral corrompu » mais aussi à « l’insécurité ». L’insécurité entretenue dans certains coins du pays dérive de la « stratégie du chaos ». Je crois que cette région a besoin d’une intervention humanitaire.
N’est-ce pas la mission dévolue notamment à la Monusco?
La formule actuelle de la Monusco est loin d’être adaptée à la situation. Les forces onusiennes ont perdu plusieurs de leurs éléments suite à des attaques « suspectes ». La formule actuelle de la Monusco devrait être « revue ».
Que répondez-vous à ceux qui disent que face à l’impuissance publique frisant la connivence, les populations victimes des pseudo-ADF et pseudo-FRPI doivent se défendre?
Vous savez autant que moi que la mission première d’un Etat est d’assurer la sécurité des personnes et des biens sur son territoire. Dès lors que les citoyens prennent en charge leur propre sécurité cela veut dire que l’Etat est en faillite. Il fut un moment où des jeunes gens venus de Lubero étaient entrés dans la brousse dans l’intention d’affronter les fameux « égorgeurs », comme on les appelle. La région avaient connu trois mois d’accalmie. Au lieu de les utiliser comme une « milice », l’armée a fini par opposer ces jeunes les uns contre les autres. Des jeunes gens qui connaissent pourtant mieux la région et la forêt qui l’entoure. A Beni, plus personne ne croit au « salut » qui viendrait de l’Etat.
Que faire?
Comme je l’ai dit précédemment, il faut une intervention humanitaire. Tout au moins dans les régions situées au Nord-Est du pays. C’est la condition nécessaire pour l’organisation des élections apaisées dans cette partie du territoire national.
Je reviens sur le cas de l’Ougandais Jamil Mukulu. Lors de son arrestation en 2015, ce dernier était en possession de six passeports dont celui du Congo-Kinshasa. Comment expliquez-vous que l’Etat congolais ne s’est jamais constitué partie civile au procès en cours à Kampala?
J’ai déjà dénoncé cette abstention. Cette une question que vous devriez poser au porte-parole du gouvernement congolais…
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi