Lutte contre la corruption: mythe ou réalité ?

Criminel à col blanc

Depuis « le mal zairois » de Mobutu Sese Seko, en passant par la « tolérance zéro » de Joseph Kabila, les discours de nos responsables sur la lutte contre la corruption, sur la « moralisation » et le « changement des mentalités » sont récurrents dans notre pays. Récurrents mais sans le moindre effet.

La tolérance zéro a été accompagnée par la nomination de premiers ministres et autres dirigeants parmi les plus cupides de l’histoire de notre pays. Liés par le pacte honteux « enrichissement personnel à volonté et impunité contre soumission totale au parrain », ils se livrent à une prédation sans limites de toutes les ressources du pays et sont à la base de la disparition de l’Etat de droit. Depuis près de vingt ans, ce pacte a permis l’enracinement du pouvoir du parrain et la corruption à tous les niveaux. Le même pacte lie également les hommes en uniforme et en toge, ceux-là même qui devraient être les garants de la sécurité des biens et des personnes et les défenseurs de l’Etat de droit.

Le type de gouvernance basé sur le principe: « feu vert à la corruption et impunité contre soumission » a connu une nouvelle dimension avec les fraudes électorales qui ont mené à la nomination du Président de la République et de la majorité des membres des Assemblées et exécutifs nationaux et régionaux. Le devoir de soumission des nommés est rappelé régulièrement lors de convocations par le parrain et lors des pèlerinages grégaires et obséquieux au plateau des Batékés. Les dirigeants de CACH se sont également soumis en échange de quoi ils ont pu se ruer avec voracité sur le budget de la présidence et ont immédiatement passé des marchés de gré à gré pour des centaines de millions de $US dans les conditions les plus opaques.

Considérant leur part du gâteau du budget de la nation trop petit pour leur appétit glouton, nos criminels en cols blancs de la présidence et de la primature ont artificiellement doublé le budget. Sachant que leur budget est prioritaire et que les dépassements de 100 à 200% sont la règle, au détriment des autres secteurs, ils verront leur butin multiplié. Lorsque la vérité du budget s’imposera, la part des autres secteurs sera cette fois réduit d’autant.

Dans ce contexte, les multiples initiatives – essentiellement des discours et des « projets » – visant à « lutter » contre la corruption n’ont pas eu les effets escomptés. Elles n’ont en réalité eu aucun effet. Au contraire, le mal ne fait que s’aggraver.

Comment prendre au sérieux les annonces répétées de la priorité de la lutte contre la corruption lorsqu’en même temps le nouveau Président et son « dircab » annoncent qu’une rétro-commission de 15 millions est une pratique normale. Comment comprendre que des retraits en cash du même montant, en complicité avec une grande banque de la place n’ont provoqué la moindre réaction ni de la BCC (Banque centrale du Congo) ni de la justice alors que le constat a été fait par l’inspection des finances? On comprend mieux quand on sait que l’affaire des 15 millions n’est que la part visible de l’iceberg qui porte sur 100 millions de USD et que la banque complice s’est accaparée de plus de 20 millions de commissions et intérêts.

Dans ces conditions, on peut considérer que la lutte contre la corruption, jusqu’à ce jour, relève du mythe ou plus précisément de la mascarade ou pour ceux qui l’ont connu du « théâtre de chez nous ».

La mainmise de la mafia sur la plupart des institutions du pays, quant à elle, est une triste réalité.

Faut-il désespérer pour autant ?

Nullement. Malgré la puissance de la mafia et son contrôle de l’appareil sécuritaire et judiciaire il y a plusieurs éléments justifiant un relatif optimisme.

D’abord, il y a des hommes qui malgré les pressions et les violences s’élèvent avec courage et détermination contre la mafia au pouvoir, responsable de la situation déplorable de nos populations. Des membres de la LUCHA (Lutte pour le Changement) et d’autres organisations de la société civile font partie de ces hommes courageux. Il en est de même du Dr Denis Mukwege qui est admiré et écouté partout dans le monde. Malgré l’opposition de ceux qu’il interpelle constamment, sa voix commence à porter à l’étranger et au sein de nos populations. A sa voix s’ajoutent celles de quelques princes de l’église, courageux et frustrés par les directives démobilisatrices du Vatican lors des élections et par la reconnaissance (en même temps que toute la CI) de l’énorme fraude électorale pourtant démontrée par leurs propres organisations. N’oublions jamais les nombreux jeunes, embastillés, torturés et tués par les sicaires de nos criminels en col blanc pour avoir eu le courage de résister.

Un autre signe d’encouragement vient d’autres pays.

L’attitude vis-à-vis de la corruption évolue dans plusieurs pays. Au Royaume Uni où les frais de corruption était encore déductible des impôts il y a moins de vingt ans, plusieurs institutions poursuivent maintenant la corruption et autres crimes économiques même s’ils sont commis à l’étranger. Il en est de même dans de nombreux autres pays ainsi qu’au niveau des Nations Unies et de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Les sites de Transparency International et de la FATCA des Etats-Unis révèlent chaque jour les condamnations et amendes infligées à des multinationales, à des banques et à des hommes d’affaires et se chiffrant en milliards de $US. La BNP a été poursuivie et frappée d’amendes de plusieurs milliards, Ericsson plus récemment pour 1,2 milliards.

En Afrique du Sud, Jacob Zuma et ses complices sont actuellement poursuivis pour corruption. Au Gabon plusieurs ministres viennent d’être arrêtés pour corruption. En Algérie, deux anciens Premiers ministres ont été condamnés. Même la Suisse, pourtant considérée comme « paradis fiscal » vient de lancer des poursuites contre un homme d’affaires impliqué dans le trafic de minerais de la RDC, suite à l’initiative d’une ONG.

Le salut ne viendra jamais de l’étranger mais l’expérience montre que des institutions étrangères peuvent appuyer des initiatives menées par la société civile. Des actions pourraient être initiées contre des personnes et des institutions complices de malversations financières. Les retraits bancaires de millions de $US en cash avec la complicité évidente de certaines banques congolaises ne sont qu’un exemple parmi d’autres malversations et sont passibles de poursuites par des institutions étrangères comme l’OFAC (Office of foreign assets control) aux Etats Unis et la SFO (Serious fraud office) au Royaume Uni.

Un dernier signe encourageant est la création d’une plateforme de lutte contre la corruption réunissant plusieurs ONG nationales et internationales. Cette plateforme vient de lancer une campagne appelée « Le Congo n’est pas à vendre ». A condition de montrer sa détermination par des actions concrètes à l’encontre de nos criminels en cols blancs cette plateforme pourrait créer une vaste mobilisation citoyenne qui permettrait de réunir les preuves nécessaires aux poursuites judiciaires.

Ainsi le mythe pourrait se transformer en réalité.

 

Par Jean-Marie Lelo Diakese

Happy
Happy
0 %
Sad
Sad
0 %
Excited
Excited
0 %
Sleepy
Sleepy
0 %
Angry
Angry
0 %
Surprise
Surprise
0 %