Intervenant jeudi 11 juillet dans le cadre de la cérémonie commémorative de la « journée africaine de lutte contre la corruption », le président Felix-Antoine Tshisekedi Tshilombo a annoncé, comme à son habitude, une « série de mesures » qu’il se propose de prendre pour « lutter efficacement » contre la corruption au Congo-Kinshasa. Peut-on franchement éradiquer la corruption rien que par des boniments non suivis d’action et surtout d’exemplarité?
« J’ai un cap que je me suis fixé. Je veux le changement. Le changement, alors radical en mettant fin aux mauvaises habitudes telles que la corruption, l’impunité. Je suis déterminé. Rien ne m’empêchera de le faire ». Le président Felix Tshisekedi Tshilombo a fait cette déclaration lors de l’interview qu’il avait accordée aux médias hexagonaux France 24 et RFI. C’était le samedi 29 juin dernier.
Dans son intervention faite jeudi 11 juillet, le chef de l’Etat congolais a commencé par annoncer sa volonté de signer, « dans un avenir proche », les instruments de ratification de la convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption. « Cette ratification permettra sans nul doute à la RDC de récupérer les avoirs et les produits de transactions de la corruption disséminés dans les paradis fiscaux au détriment du bien-être du peuple congolais », peut-on lire dans une dépêche de la très officielle Agence congolaise de presse.
Sous le régime de « Joseph Kabila » (2001-2018), les gouvernants – chef de l’Etat en tête – avaient la fâcheuse habitude de croire qu’il suffisait de voter quelques textes légaux pour qu’un problème soit résolu. Par exemple, il suffit de créer un « guichet unique » pour engendrer l’embellie au niveau du climat des affaires. Alors que le phénomène est plus complexe.
« GADGET »
L’ancien régime avait une autre fâcheuse habitude consistant à mettre sur pied des organismes qu’on pourrait qualifier des « gadgets ». C’est le cas notamment de la « Commission nationale de droit de l’Homme » (CNDH). Créée par la loi organique n°13/011 du 21 mars 2013 et dotée de moyens dérisoires, la CNDH brille par son inefficacité pour accomplir sa mission essentielle: promouvoir le respect des droits humains.
La naissance de ce « machin » n’a guère embarrassé le despote « Kabila » à faire « canarder » des manifestants notamment en janvier 2015 et le 31 décembre 2018. Sans oublier les répressions menées le 21 janvier et le 25 février 2018 par des éléments de la garde présidentielle épaulée par des anciens combattants du M23 en tenue civile.
Dans son speech, « Fatshi » a annoncé sa décision de mettre sur pied, au niveau de son cabinet, un « service spécialisé » dénommé « Coordination pour le changement de mentalité », en abrégé « CCM ». Ce nouveau « gadget » sera chargé de plusieurs missions. A savoir: assurer la prévention, sensibiliser et lutter contre toutes sortes d’antivaleurs. L’exécutif va-t-il marcher sur les plate-bandes des autorités judiciaires? Au nom de quel principe?
Plus concrètement, le président Tshisekedi a pris l’engagement de faire modifier la loi électorale en ce qui concerne le mode de scrutin au niveau provincial et sénatorial.
S’agissant de l’appareil judiciaire, il a promis des moyens accrus et « conséquents » pour permettre aux autorités judiciaires de donner un rendement optimum. Il a exhorté celles-ci « à rendre une justice équitable sans pour autant céder à la tentation de corruption ». Sera-t-il entendu? Rien n’est moins sûr.
Dans le cadre de la lutte contre la corruption, le successeur de « Joseph Kabila » estime qu’il y a urgence de « revisiter l’arsenal pénal » en mettant en place des « sanctions plus dissuasives ». Il a enfin exhorté « les intouchables corrupteurs et corrompus à la reconversion par la stricte application de la loi ». On croirait entendre un « prédicateur » qui conseille à un « pécheur » de ne plus pécher pour avoir le salut.
S’il est vrai que pour être vertueux, l’homme a besoin d’un minimum de bien-être, il n’en demeure pas moins vrai que l’homme est en quête permanente des modèles de référence à imiter. « Les attitudes sont contagieuses », disent les psychologues.
Peut-on prétendre combattre la corruption sans promouvoir la bonne gouvernance qui a notamment pour pivot la « transparence » impliquant notamment l’observation stricte de la législation en matière de passation des marchés publics? Peut-on franchement lutter contre la corruption en recourant à des contrats de gré à gré réputés pour leur opacité?
Près de six mois après son investiture à la tête de l’Etat, Felix Tshisekedi Tshilombo et son proche entourage peinent à briller par l’exemplarité. Des cas abondent où la Présidence de la République s’est érigée en centre d’ordonnancement des dépenses publiques en lieu et place du gouvernement. Et ce en violation de l’article 91-2 de la Constitution. L’absence d’un exécutif de plein exercice confère-t-elle au chef de l’Etat le droit de poser des actes de gestion alors qu’il est constitutionnellement exempté de l’obligation de rendre compte devant la représentation nationale?
PRÊCHER PAR L’EXEMPLARITÉ
En juin dernier, deux contrats de gré à gré signés au profit respectivement des entreprises DCHTCC S.A.R.L.U. (pour les travaux de construction et de réhabilitation du bureau et la résidence du Président de la République – coût: 180.000.000 €) et Zawal (pour la construction des dépôts et stations-services de carburant à Mbuji-Mayi, Kananga et Mwene-Ditu, montant: 2.000.000 $ x 12) ont défrayé la chronique. Deux lettres signées par le « dircab » et son adjoint au sujet de ces deux marchés ont circulé sur les réseaux sociaux. « Ces lettres sont falsifiées », déclarait le porte-parole à la Présidence Tharcisse Kasongo Mwema. Le directeur de cabinet adjoint Désiré-Cashmir Kolongele Eberande, lui, parlait carrément de « torchon ». Qui croire?
En ce mois de juillet, un nouveau courrier, daté du 20 juin 2019, est destiné au « DG » de la Direction générale de contrôle des marchés publics. Le document circule sur les réseaux sociaux. Il émane du « dircab » Vital Kamerhe. Il porte sur la construction de 3.000 maisons préfabriquées pour militaires et policiers/ville de Kinshasa. « Sur instruction de son excellence Monsieur le Président de la République, (…), je vous transmets en annexe(…)le projet mieux indiqué en rubrique, exécuté en procédure de gré à gré avec la société Husmal, SARL, dans le cadre du Programme urgent de 100 jours, en vue d’obtenir votre avis de non objection ». Coût du projet: 57.000.000 $.
Qui oserait s’opposer à l’allocation des logements décents à nos agents publics? Faudrait-il encore que l’attribution d’un tel marché soit entourée de transparence. On apprenait que l’attributaire de ce contrat n’a été immatriculé que le 23 avril 2019. Il n’est plus rare d’entendre ici et là que « ces gens de la Présidence de la République sont occupés à faire du fric avant l’entrée en fonction du gouvernement ».
Une certitude: la corruption ne sera jamais vaincue par des mots. Le président Tshisekedi devrait quitter la rhétorique en posant des actes. « Le chef de l’Etat doit faire ce qu’il dit en prêchant par l’exemplarité. Il doit également veiller au respect strict du principe de séparation des pouvoirs. Il doit enfin réformer et renforcer l’indépendance de la Justice. Il en est de même de la Cour des comptes et de l’Inspection générale des finances », commente un chercheur en sciences po. « Les incantations ne suffisent pas pour combattre le fléau qu’est la corruption », conclut-il.
B.A.W.